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jeudi, 31 octobre, 2024

Paysan

paysan-morena.png, oct. 2024Édouard Morena, Paysan, Anamosa, 2024, 112 pages, 9 €

Paysan. La collection « Le mot est faible » propose de « s’emparer d’un mot dévoyé par la langue du pouvoir » et l’ouvrage d’Édouard Morena offre une belle illustration de cette démarche. Après une thèse consacrée à la Confédération paysanne, le politiste s’est consacré à l’étude des acteurs de la lutte contre le changement climatique, et notamment des philanthrocapitalistes (Fin du monde et petits fours, La Découverte, 2023). Il revient pour ce livre à la question paysanne suite au mouvement agricole de l’hiver 2024, qui vit tout un pays célébrer ses « paysans ». Dans l’interprétation de la gauche paysanne, la reprise par le Premier ministre Gabriel Attal du slogan « Pas de pays sans paysan » était une simple récupération, alors que par ailleurs le gouvernement s’engageait dans le soutien à une agriculture de plus en plus capitalisée et concentrée économiquement. Morena propose de refaire l’histoire du mot pour comprendre les affinités de la figure du paysan avec la droite comme avec la gauche, avec les milieux conservateurs comme avec les modernisateurs et les progressistes.

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lundi, 7 octobre, 2024

Géopolitique de l’état d’exception

geopol_etat-dexception-1400-254x400.jpg, oct. 2024Eugénie Mérieau, Géopolitique de l’état d’exception. Les Mondialisations de l’état d’urgence, Le Cavalier bleu, 2024, 176 pages, 21 €

Après La Dictature, une antithèse de la démocratie ?, dans lequel elle démystifiait les régimes autoritaires et les mythes autour des dictatures, la juriste et politiste Eugénie Mérieau propose de regarder dans l’arrière cour des régimes libéraux à travers la notion d’état d’exception. On a souvent coutume d’évaluer les caractères démocratiques d’un régime au regard de sa Constitution et de la soumission de l’État aux règles du droit. Or, comme Mérieau le montre tout le long de cet ouvrage synthétique, l’État de droit s’est souvent accompagné d’un double moins présentable, l’état d’exception.

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mardi, 1 octobre, 2024

Le Double

naomi-klein.jpg, sept. 2024Naomi Klein, Le Double. Voyage dans le monde miroir, traduit de l'anglais (Canada) par Cédric Weis, Actes Sud, 2024, 496 pages, 24,89 €

Lors du confinement, en mars 2020, je me souviens avoir bien vite écarté les soupçons d’après lesquels le surgissement du Covid serait dû aux mauvaises intentions de la Chine (ou, plus étrangement, d’Emmanuel Macron), aidée notamment par l’idée popularisée par Naomi Klein dans La Stratégie du choc que les acteurs politiques et économiques les plus puissants n’ont pas besoin de manufacturer des catastrophes pour en profiter. Il leur suffit d’attendre qu’elles arrivent, ce qu’elles ne manquent pas de faire. Je me demandais alors ce que Klein aurait à dire de la période.

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vendredi, 6 septembre, 2024

Le Féminisme libertaire

feminismelibertaire_1400-254x400.jpg, sept. 2024Irène Pereira, Le Féminisme libertaire. Des apports pour une société radicalement féministe, Le Cavalier bleu, 2024, 136 pages, 18 €

Irène Pereira, autrice de travaux sur l’anarchisme et sur les pédagogies critiques, propose un livre bienvenu sur le féminisme libertaire. Si l’anarchisme et le féminisme sont des mouvements anciens, qu’on peut dater de la deuxième moitié du XIXe siècle, il n’en est pas de même de l’anarcha-féminisme ou féminisme libertaire, qui s’est constitué dans les années 1970. L’anarchisme a pu être féministe (ou pas, le misogyne Proudhon n’a pas été un cas isolé) avant cela, ce que Pereira rappelle à propos de plusieurs autrices et auteurs pour qui le féminisme en tant que tel était un engagement bourgeois mais qui se sont engagé·es en anarchistes pour l’égalité femmes-hommes. Au fil de cette histoire par petites touches de l’anarchisme, et d’un rapide tour d’horizon contemporain, apparaissent quelques questions qui furent objets de discussion d’une période à l’autre : les libertés amoureuses, sexuelles et reproductives, la prostitution.

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jeudi, 25 juillet, 2024

La Dictature, une antithèse de la démocratie ?

couv_irdictatures_2ed_1400-233x400.jpg, juil. 2024Eugénie Mérieau, La Dictature, une antithèse de la démocratie ? 20 idées reçues sur les régimes autoritaires, Le Cavalier bleu, 2024, 239 pages, 13 €

D’un côté, un gouvernement qui vient d’établir une discrimination entre ses citoyen·nes en fonction de leur origine ethnique et qui entend limiter la capacité de la Cour suprême à faire respecter la Constitution au motif que les juges, contrairement aux député·es soutenant la « coalition d’extrême droite, messianique et ultraorthodoxe » au pouvoir, ne sont pas élu·es et qui s’est vu opposer pendant des mois en 2023 un mouvement social d’une vigueur rarement observée dans le pays. De l’autre, un gouvernement élu en 2006 mais qui l’année suivante opère un coup de force contre son principal opposant dans un État fragile, parfois qualifié de proto-État. Depuis lors, aucune large manifestation de rue, comme celles de 2019 et 2023, n’a réussi à faire bouger le régime. En août 2023, les gouvernements israélien et palestinien de Gaza étaient en guerre contre leur propre peuple qui aspirait à une démocratisation du régime. On connaît la suite.

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samedi, 20 avril, 2024

Écolos, mais pas trop…

comby.png, avr. 2024Jean-Baptiste Comby, Écolos, mais pas trop… Les Classes sociales face à l’enjeu environnemental, Raisons d’agir, 2024, 186 pages, 14 €

Dans ce livre rapide et incisif, le sociologue Jean-Baptiste Comby analyse la manière dont les classes sociales, et au sein de celles-ci les pôles économique et culturel, interprètent diversement les problèmes écologiques actuels. Bourgeoisie, petite bourgeoisie et classes populaires font l’objet de trois grandes parties nourries par deux enquêtes, qualitative et quantitative, le tout étant illustré par des parcours biographiques et des extraits d’entretiens qui donnent à entendre le propos des enquêté·es. L’ouvrage commence avec une autre étude, celle d’entrepreneurs en écologisme au sein de la bourgeoisie culturelle, une association de « créatifs » attaché·es à une transition écologique consensuelle, très désireux et désireuses d’apparaître du côté de la raison, notamment économique, du compromis par opposition au militantisme – tout en restant très attentifs/ves à leurs intérêts économiques car s’ils et elles peuvent investir professionnellement le champ écolo, c’est dans l’idée de ne pas trop perdre en statut. Ils et elles sont « à l’intersection de l’écologie et du marché », visiblement très content·es de pouvoir écologiser un monde de l’entreprise par ailleurs peu sensible aux discours militants. Un chapitre qui prend la température de l’écologisme bourgeois pour en dégager quelques traits qui seront repris plus loin.

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vendredi, 29 mars, 2024

Vide à la demande

VIDE-A-LA-DEMANDE.png, mar. 2024Bertrand Cochard, Vide à la demande. Critique des séries, L’Échappée, 2024, 176 pages, 17 €

Je l’avoue tout de suite, j’ai bingé Vide à la demande. Telle la lumière bleue des écrans qui retarde l’endormissement, le livre de Bertrand Cochard peut vous faire perdre quelques heures de sommeil. Dans le paysage des ouvrages sur les séries télévisées, il y a les ravi·es de la crèche, pour beaucoup des philosophes de gauche qui changent de sujet de recherche avec les modes. Et puis il y a les ronchons qui n’ont jamais suivi une série et qu’on imagine très bien conspuant la télévision ou avant cela la radio au motif que c’était mieux de leur temps. Cochard n’est heureusement ni l’un ni l’autre. Technocritique, lecteur d’Anders, d’Arendt et surtout de Guy Debord mais pas réactionnaire (à part quelques ronchonneries pas argumentées (1)), l’auteur semble avoir passé beaucoup de temps à regarder des séries et des produits des industries culturelles, au point d’aller voir Barbie en avant-première dresscode pink. J’avoue que je ne le suis pas sur ce coup-là, j’ai arrêté Game of Thrones après la première saison et je n’ai jamais regardé jusqu’au bout que The West Wing et The Wire (2).

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vendredi, 2 février, 2024

Chères collaboratrices

9782348077609.jpg, fév. 2024Sandrine Holin, Chères collaboratrices. Comment échapper au féminisme néolibéral, La Découverte, 2023, 240 pages, 19,50 €

Voici un livre dont on a envie de partager la lecture avec beaucoup d’amies et de camarades, en raison de son sujet qui en France reste assez rarement abordé. S’il est facile de mépriser certains féminismes, il est plus difficile en revanche de poser le doigt sur ce qui pose réellement problème. Ainsi du féminisme pour cadres sup qui a trouvé en Sheryl Sandberg, ex-dirigeante de Facebook et milliardaire, son égérie (voir ici une critique par bell hooks, citée dans Chères collaboratrices). Sandrine Holin, survivante du féminisme en entreprise, remonte à la source du phénomène.

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jeudi, 28 décembre, 2023

Le Prix de la démocratie

prix-démocratie.png, déc. 2023Julia Cagé, Le Prix de la démocratie (2018), Folio, 2020, 629 pages, 10,90 €

Ces derniers jours, vous avez été assailli·es de propositions visant à contribuer à l’existence d’associations diverses et vous avez peut-être eu du mal à choisir entre toutes : celles qui surveillent l’état des droits humains et des libertés civiles en France, celles qui diffusent une information de qualité et font vivre des débats dignes, celles qui sont les seuls porte-paroles qu’a notre milieu naturel, etc. Si vous avez la chance d’être imposable, vous avez peut-être la satisfaction d’entraîner avec quelques euros la contribution de l’État à hauteur du double, la somme étant déduite de vos impôts. Satisfaction peut-être légèrement érodée par le rappel que les multimilliardaires que compte désormais la France font de même. À la différence qu’eux ne donnent ni à Lundi matin, ni à la Ligue des droits humains ou à la Quadrature du Net. Et qu’ils donnent beaucoup plus.

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dimanche, 19 novembre, 2023

Faire justice

FAB_22_11x16_8_DECK_MARSAULT_faire-justice_OK.jpg, nov. 2023Elsa Deck Marsault, Faire justice. Moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes, La Fabrique, 2023, 168 pages, 13 €

Les milieux les plus radicaux que je fréquente ou que j’ai fréquentés ont du mal à proposer une critique très acérée de la justice telle qu’elle est couramment pratiquée. Une fois l’État accusé de maintenir une « justice de classe », les arguments se font rares. C’est certes un gros morceau, que de comprendre, documenter et expliquer comment la justice est rendue en faveur des classes dominantes, de la répression des classes exploitées (émeutiers, Gilets jaunes) jusqu’aux affaires familiales (« tribunal des couples » qui paupérise les femmes ou difficile prise en compte des violences sexuelles contre les femmes et les enfants), et sert surtout à préserver un ordre fondamentalement injuste (1). Mais il reste encore à penser la place des victimes, utilisées à l’occasion mais toujours dans l’intérêt de l’État (réparer les torts qui leur sont faits est la dernière préoccupation des juges alors que ce devrait être la première) ou la vision de l’être humain qui sous-tend le système judiciaire (au mieux à réformer, au pire à exclure du corps social tel une mauvaise tumeur), toutes les idées souvent pourries mais parfois intéressantes (2) qui font la justice d’État.

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mercredi, 8 novembre, 2023

La Tentation écofasciste

Tentation_ecofasciste.jpg, nov. 2023Pierre Madelin, La Tentation écofasciste. Écologie et extrême droite, Écosociété, 2023, 272 pages, 18 €

Après deux ouvrages consacrés à l’écologie politique (Après le capitalisme. Essai d’écologie politique) et à une de ses branches parmi les plus intrigantes ou questionnables (Faut-il en finir avec la civilisation ? Primitivisme et effondrement), le philosophe Pierre Madelin a choisi d’interroger l’écofascisme, mis sur le devant de la scène en 2019 par deux meurtres de masse, à Christchurch en Nouvelle-Zélande et Houston au Texas, justifiés par les discours écofascistes de leurs auteurs. Son ouvrage commence par une recherche de définition de ce qu’est l’écofascisme. Plus souvent insulte qu’argumentaire étayé, l’accusation d’écofascisme n’est pas plus claire que celle de fascisme. Les discours dominants assimilent l’écofascisme avec toute critique de la modernité et de l’industrialisme. Les écologistes, d’EELV aux sphères anti-indus et radicales, seraient donc des écofascistes en puissance, foulant aux pieds l’héritage monolithique des Lumières et son universalisme éclairé (pas si simple). Leur attachement aux notions d’autonomie et de liberté est évacué, pendant que leur discours sur les limites écosystémiques est assimilé à l’acceptation des diktat de la nature. Les écologistes, au premier rang desquels Bernard Charbonneau et André Gorz, ont pour leur part appelé écofascisme la tentation de régler les problèmes d’accès à des ressources naturelles devenues plus rares par un contrôle bureaucratique et un partage autoritaire. Enfin, une dernière définition de l’écofascisme tient à certaines pensées écocentriques, accusées de mépriser la vie humaine.

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dimanche, 1 octobre, 2023

Tout plaquer

tout_plaquer_w.jpg, oct. 2023Anne Humbert, Tout plaquer. La désertion ne fait pas partie de la solution... mais du problème, Le Monde à l’envers, 2023, 72 pages, 5 €

Autour de vous, beaucoup ont peut-être choisi de déserter leur emploi dans le tertiaire pour en exercer un autre « qui a du sens » dans l’artisanat ou l’agriculture et sortir du salariat. Peut-être même faites-vous partie de ces déserteurs et déserteuses qui depuis quelques années font parler d’elles et d’eux, avec des pics d'attention inattendus.

Anne Humbert, ingénieure non déserteuse, a choisi de consacrer un livre au phénomène (encore un) mais celui-ci prend le parti de le critiquer, à partir d’échanges avec des ami·es ayant déserté et de lectures qui vont de la grande presse à des auteurs comme le sociologue Richard Sennet, critique de la standardisation du travail. Outre quelques articles, comme celui-ci dans Lundi matin, cette option reste à ma connaissance assez peu conventionnelle dans les milieux alternatifs plus ou moins radicaux subjugués par la notion de désertion (Reporterre a, selon Humbert, consacré vingt-et-un articles au discours des étudiant·es qui bifurquent d’AgroParisTech). Ces trajectoires ont suscité plus d’intérêt que le « refus de parvenir » auquel était consacré il y a quelques années un excellent bouquin, toujours disponible.

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mardi, 15 août, 2023

Toxic Data

toxicdata.jpg, août 2023David Chavalarias, Toxic Data. Comment les réseaux manipulent nos opinions (2022), Champs Flammarion, 2023, 290 pages, 10 €

Il y a une quinzaine d’années, je traînais dans une méchante revue écologiste qui publiait encore des articles énamourés sur les médias sociaux, synonymes de démocratie. Maintenant que tout le monde pouvait savoir (savoir quoi ?), le peuple était au pouvoir et tout irait pour le mieux. Les pires plumes de la revue étaient restées scotchées sur un imaginaire datant de quinze ans de plus (le web comme espace nécessairement décentralisé donc démocratique) sans arriver à tirer les conclusions des premiers mouvements sociaux Facebook, comme la révolution iranienne manquée de 2009 qui donna au contraire le loisir aux autorités d’exercer une répression féroce sur les comptes ayant relayé le message des manifestations.

À l’époque il me semblait seulement que ces niaiseries péchaient par excès d’optimisme, confondant savoir et pouvoir, révolte et concertation, se faisant des illusions sur l’horizontalité produite par Internet et sur sa capacité subversive. La droite de l’époque et cette gauche radicale technophile avaient en commun le rêve qu’Internet produise une société sans corps intermédiaires, la première en connaissance de cause pour mieux gouverner et la seconde par manque de vision politique et utopisme mal digéré. Voilà ce que j’écrivais à ce sujet en plein surgissement des printemps arabes et peu avant le mouvement des places. Eh bien je me trompais. C’était bien pire ! C’est ce que nous explique cet ouvrage publié en poche cette année.

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dimanche, 9 juillet, 2023

La France qui a faim

franceafaim-57be5.jpg, juil. 2023Bénédicte Bonzi, La France qui a faim. Le Don à l'épreuve des violences alimentaires, Seuil, 2023, 448 pages, 22 €

En 2020, la précarité alimentaire explosait, touchant de nouvelles couches de population. La thèse de Bénédicte Bonzi a été soutenue avant, alors que l’aide alimentaire s’était déjà durablement installée dans le paysage français. L’anthropologue a mené un travail de terrain aux Restaurants du cœur, participant à des distributions diurnes ainsi qu’à des maraudes de nuit, quand l’association va auprès de personnes en grande difficulté pour leur offrir des repas chauds. Les distributions concernent plutôt des marchandises à préparer chez soi, elles nécessitent une démarche volontaire et souvent considérée comme humiliante. Bonzi décrit l’ambivalence de cette situation, le témoignage d’humanité dans le don et l’échange qu’il impulse (voir les travaux de Mauss, Godelier et Godbout) mais aussi tout ce qui rend le don amer.

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lundi, 15 mai, 2023

Contre l'alternumérisme

contre-l-alternumerisme.jpg, fév. 2020Julia Laïnae, Nicolas Alep, Contre l'alternumérisme, La Lenteur (2020), 2023, 144 pages, 10 €

Je reprends ici la chronique, parue juste avant la crise sanitaire, d'un ouvrage republié ce mois-ci.

Julia Laïnae et Nicolas Alep tapent large en consacrant un petit livre à l'« alternumérisme ». Large mais toujours juste, car chaque cible est précisément définie et sa contribution à une « autre informatisation possible » fait l'objet d'une critique sérieuse et bien documentée. Des utopistes d'Internet aux inquiet·es des écrans, ces tendances ont ceci en commun qu'elles ne refusent ni les outils numériques, ni leur omniprésence dans la vie sociale, mais souhaitent en encadrer l'usage. Voyons plutôt.

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mardi, 28 mars, 2023

Fin du monde et petits fours

findumonde.jpg, mar. 2023Édouard Morena, Fin du monde et petits fours. Les ultra-riches face à la crise climatique, La Découverte, 2023, 168 pages, 21 €

Il y a quelques années surgissait une écologie people. Les stars s’engageaient pour la planète : Mélanie Laurent co-réalisait le film Demain avec Cyril Dion, Leonardo DiCaprio invitait sur son yacht géant le petit Pierre Rabhi, Aurélien Barrau et Juliette Binoche engageaient, avec leurs ami·es du monde du cinéma, l’humanité à se ressaisir et les autorités à prendre des mesures coercitives s’il le fallait (1). Tous leurs discours avaient en commun une écologie niaise, faisant l’impasse sur notre organisation sociale et sur la liberté donnée aux plus gros acteurs économiques d’user et d’abuser des ressources naturelles (2). Le livre du politiste Édouard Morena n’est pas consacré à ces petits fours-là mais la lecture de son livre donne des clefs pour comprendre qu’il ne s’agit pas là de niaiserie mais d’une stratégie de classe très consciente appuyée sur la niaiserie de certaines personnalités.

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lundi, 30 janvier, 2023

Le Mythe de l’entrepreneur

entrepreneur.jpg, janv. 2023Anthony Galluzzo, Le Mythe de l’entrepreneur. Défaire l'imaginaire de la Silicon Valley, « Zones », La Découverte, 2023, 240 pages, 20 €

Auteur de La Fabrique du consommateur, Anthony Galluzzo nous livre ici le pendant de sa remarquable histoire de la consommation, une analyse du mythe de l’entrepreneur aux USA. Son histoire commence par la fin, avec la célébration de Steve Jobs. Galluzzo tente une histoire du succès d’Apple par plusieurs angles. Et si cette entreprise devait tout à Steve Wozniak, l’ingénieur de talent associé à Jobs depuis les fameux débuts de l’entreprise dans un garage ? Ou bien à Mark Markkula, l’homme qui réussit à intéresser les investisseurs au destin de la start-up, avec un succès tel qu’elle dut vite refuser des propositions d’entrée dans le capital ? Ou bien à la Silicon Valley, ce tissu d’entreprises dont Hewlett-Packard où Wozniak fit ses premiers pas et Xerox qui inventa dès 1973 l’interface graphique qui fit le succès d’Apple ? Ou bien à l’État, très volontaire dans la création de ce cluster de laboratoires de recherche fondamentale financés par le public, complété par des entreprises qui en valorisaient l’innovation ? Un peu de chaque, évidemment. Le mythe de Steve Jobs illustre bien ce que François Flahaut appelait le « paradoxe de Robinson », cette image de l’homme qui ne doit rien à personne – mais qui survit grâce au bateau échoué dont la cale contient tous les outils nécessaires, pour ne rien dire des savoirs acquis en Angleterre et que le naufragé a emportés avec lui sur son île déserte.

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mardi, 18 octobre, 2022

Le Genre du capital

9782348075803LD.jpg, oct. 2022Céline Bessière et Sibylle Gollac, Le Genre du capital, La Découverte, 2022 (2020), 400 pages, 14 €

La réédition de cet ouvrage en collection de poche me donne l'occasion de republier cette chronique, précédemment parue en juin 2020.

L'adhésion aux constats que dressent les féministes est souvent compliquée par ce fait que les femmes et les hommes vivent ensemble et s'aiment : deux époux de sexe opposé, un père sa fille, une sœur son frère. Le racisme, les haines de classe peuvent advenir quand des groupes sociaux sont séparés, ne se connaissent pas ou peu et admettent des intérêts divergents mais le sexisme, vraiment ? Vraiment. C'est le tableau que dressent Céline Bessière et Sibylle Gollac dans leur ouvrage Le Genre du capital, résultat de deux décennies de recherches (fois deux) sur comment deux moments importants de la vie économique des personnes, l'héritage et le divorce, appauvrissent les femmes en comparaison aux hommes. Au point que les inégalités de patrimoine entre femmes et hommes sont passées de 9 % en 1998 à 15 % moins de vingt ans plus tard. Celles-ci tiennent en partie à la place des femmes dans le monde du travail, domaine arpenté depuis quelques décennies par des sociologues féministes et dont les autrices rappellent rapidement quelques aspects. Les femmes en couple avec des enfants travaillent 54 heures par semaine dont seulement 20 sont rémunérées. Les hommes 51 dont 33 sont rémunérées. La répartition des richesses, elle aussi inégalitaire, tient à ce facteur mais également à d'autres moins connus et moins bien compris, que Bessière et Gollac mettent en lumière dans leur livre.

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mercredi, 24 août, 2022

Des lobbys au menu

Daniel Benamouzig et Joan Cortinas Muñoz, Des lobbys au menu. Les entreprises agro-alimentaires contre la santé publique, Raisons d’agir, 2022, 176 pages, 9 €

C’est un court ouvrage mais qui rend compte d’une recherche très ambitieuse sur l’influence des entreprises agroalimentaires sur le débat et les politiques publiques en France. Cette influence se déploie dans trois dimensions avec trois outils privilégiés. Les think tanks investissent le champ scientifique, les organisations de représentations d’intérêt les instances étatiques, les fondations d’entreprise la société civile. Leurs efforts se sont particulièrement concentrés ces dernières années sur trois sujets : la mise en œuvre du Nutriscore, les états généraux de l’alimentation et dans une moindre mesure la discussion de l’interdiction de publicités télévisées pour les aliments transformés à l’attention des enfants. Ces trois moments ont été l’occasion d’influences plus directes qui mobilisent des liens créés et entretenus en continu par l’industrie en ordre plus ou moins dispersé car au-delà des entreprises, les filières (profession du lait ou du sucre) et l’ensemble de la profession (Association nationale des industries alimentaires, la discrète Ania) mènent des actions en ce sens.

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mardi, 7 juin, 2022

Désastres touristiques

DESASTRES TOURISTIQUES - Couv.jpg, juin 2022Henri Mora, Désastres touristiques. Effets politiques, sociaux et environnementaux d’une industrie dévorante, L’Échappée, 2022, 208 pages, 17 €

38 milliards d’euros, c’est le montant du soutien accordé à l’industrie touristique française en 2020 et 2021. À cette somme il faut encore ajouter 15 milliards de soutien à l’aviation avant de comparer avec les 100 milliards du plan dit « France Relance » pour avoir une idée de l’importance du tourisme dans nos sociétés. Derrière l’emblématique tourisme international (ces arrivées comptabilisées depuis l’étranger qui font la fierté de la France, pays le plus visité au monde), Henri Mora dessine les contours d’une industrie tentaculaire. Le tourisme, c’est les transports interurbains, l’industrie des loisirs, l’hôtellerie et la restauration, les bars et les boutiques (pas seulement de souvenirs puisqu’on vend des destinations pour leur offre de shopping). Dans les annexes du livre, inscrites dans le contexte des pays catalans, Miguel Amorós ajoute le marketing territorial. Le tourisme, c’est la pointe émergée d’un iceberg fait de compétition territoriale, d’organisation des transports à tous niveaux, y compris métropolitain (la ligne A du RER, qui dessert Disneyland, comme celle qui se promettait de desservir Europacity), de services, ubérisés ou sommés de rester ouverts le dimanche dans les destinations touristiques. Des grands projets inutiles qui ont réuni un front commun d’opposition, combien dédiés au tourisme, qu’il s’agisse d’infrastructures de loisirs (tel le projet de Center Park de Roybon, qui a donné lieu à une lutte à laquelle Mora a participé et sur laquelle il a précédemment écrit (1)) ou de transports ? Pas de critique du tourisme sans critique de la société industrielle capitaliste et c’est à cela que s’attelle Mora.

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