dimanche, 5 septembre, 2021

Misère du cyclisme urbain

« Connasse, t’as qu’à te pousser dans le caniveau, je te double si je veux ! » C’est pas lui qui me gueule ça, c’est moi qui verbalise à voix haute son dring-dring parce que je prends toute la place sur cette piste cyclable trop étroite pour y rouler à deux de front. (Oui, dans la France d’avant – avant le 5 décembre 2019 – on imaginait des cyclistes épars·es se suivre de loin en loin et personne n’avait prévu des pistes suffisamment larges pour doubler.) Il me dépasse quand même, en me frôlant et en me faisant savoir qu’il est vexé que j’aie pu le confondre avec un automobiliste de base. Lui, il est beaucoup mieux. Il fait du vélo, il mange peut-être bio pour sauver la planète en rentrant à 18 h de son boulot de bureau bien payé, si j’en juge par son joli équipement. Il est probablement « déconstruit » et titulaire d’un livret éthique qui partage ses maigres bénéfices avec Pierre Rabhi, un peu comme moi. Sauf que moi, je suis capable de gérer ma frustration et de rester à rouler tranquillement derrière une vieille dame ou un gros monsieur, tant que je n’ai pas la place de les dépasser. Je le retrouve plus tard, j’étais passée devant lui suite à un mauvais choix de sa part au carrefour et il me double de nouveau. On roule à peu près à la même vitesse mais le moindre différentiel lui est insupportable, c’est son droit humain de doubler quiconque le ferait à peine ralentir, dès qu’il estime que « ça passe ». Aujourd’hui c’est lui, un barbu trentenaire ou quadra. Hier c’était elle, une meuf plus jeune en Vélib (1) pour qui s’était vital, de se placer devant moi, j’avais donc roulé deux kilomètres sur l’avenue sagement derrière elle après son dépassement dangereux. Avant-hier c’était un autre gars avec un vélo sportif, dans un virage, et qui roulait sur la piste malgré une vitesse élevée.

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dimanche, 31 mai, 2020

En toute impunité (1)

J'ai subi un crime de haine qui est resté impuni. Il y a quelques années je rentrais chez moi à vélo dans le centre de Lille avec un ami. Nous roulions en file indienne, alors qu'il nous était permis de rouler de front, dans un rond-point urbain, la place Philippe Lebon à Lille. Je ne m'explique pas pourquoi, au feu rouge, je remets en question ma position sur la chaussée. Peut-être parce que je me sens déjà menacée par une voiture tout près de nous. Oui, je suis bien placée, je prends ma place sur la chaussée pour éviter d'être fauchée à chaque sortie d'automobile à droite. Un tutoriel de la Sécurité routière suisse explique ici qu'il faudrait même rouler « au milieu de la voie ». Lorsque le feu passe au vert, nous redémarrons. Devant un nouveau feu rouge, cinquante mètres plus loin, parvis Saint-Michel, un automobiliste fait une queue de poisson à mon ami qui est placé devant. Mon ami le prend à partie en tapant sa voiture du plat de la main (note : ce n'est pas comme ça qu'on abîme les carrosseries, c'est seulement pour produire un peu de bruit et capter l'attention).

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En toute impunité (2)

Un an plus tard, mon agresseur court toujours avec sa haine, toujours capable d'un passage à l'acte violent. Un an plus tard, je me décide à faire d'autres démarches, cette fois sans attendre la police. Grâce à un ami et à l'excellent site Service-public.fr, je saisis le procureur de la République par une lettre recommandée et attire son attention sur ma plainte en déshérence. Celui-ci peut juger que « mon agresseur » n'est pas que mon agresseur mais une menace pour d'autres encore, autres personnes à vélo ou à pied où dont la tête ne lui revient pas et qu'il souhaite punir comme il a puni mon ami puis moi. J'ai porté plainte pour mon assurance (mais je ne me suis pas assez bien assurée) et pour ça. Mon agresseur n'appartient pas à mon cercle de connaissances, je ne peux rien négocier avec lui, ses proches ou les miens, rien exiger comme réparation. Dans une société anonyme, je ne peux faire appel qu'à la police. Puis à la justice, qui ne bouge pas. Sans réponse du procureur, je porte plainte auprès du doyen des juges d'instruction et demande en raison de ma pauvreté l'exemption d'une provision que sans ça je devrais faire dans le cas où ma plainte serait calomnieuse. Cette exemption m'est accordée et une juge d'instruction est saisie de l'affaire.

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jeudi, 5 décembre, 2019

À vélo, les préjugés tuent

Le poing qui illustre ce billet est une contribution au mouvement social qui démarre en ce jeudi 5 décembre 2019. (Merci Agnès.)

Souvent je dis « pardon » ou « merci » quand je croise sur la route des personnes attentionnées. Et parfois je me comporte comme une merde. Et pourtant, c'est seulement quand je suis à vélo qu'on m'engueule. Pas quand je n'ai pas bien regardé avant de traverser en-dehors des clous ou que je bouscule d'autres piéton·nes par inattention ou parce que je marche trop vite. Comme si être urbain·e en ville était une affaire de mode de transport : les cyclistes seraient par essence grossier·es et dangereux/ses, les autres des modèles de civisme. Qu'on se plaigne d'avoir été mis·e en danger par un conducteur de car qui nous engueule ensuite car on ne roulait pas sur la piste cyclable (1), et on prend pour tou·tes les autres cyclistes de la terre. Qu'on commente un accident dans lequel un·e cycliste a été blessé·e et on entend ces « Oui mais les cyclistes roulent n'importe comment » qu'on n'ose plus dire à propos des femmes agressées (« Oui mais elles le cherchent bien »). Les cyclistes rouleraient de manière délictueuse et n'auraient que ce qu'elles et ils méritent en cas d'accident.

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lundi, 25 novembre, 2019

Sorry We Missed You

Sorry We Missed You, un film de Ken Loach (Royaume-Uni, 2019)

« Sorry we missed you », c'est cette note qui vous attend quand vous avez raté le passage du colis que vous avez commandé sur Internet. Ricky, le héros du dernier Ken Loach, est un travailleur indépendant qui travaille pour une compagnie de transports de colis. Il sillonne les rues des Newcastle pour livrer à des particuliers des colis, plus ou moins gros, plus ou moins urgents. Des achats sur Amazon ou une autre plate-forme de vente en ligne aussi bien que des repas, des colis à livrer dans la journée et d'autres dans une fourchette d'une heure. Il a acheté sa camionnette pour ne pas la louer à l'entreprise qui lui donne ses missions et passe sa journée pressé par un objet connecté (à la fois scanner, téléphone, GPS) qui bippe quand il quitte le camion plus de deux minutes. Sur le papier, l'entreprise donneuse d'ordres est sa cliente. En vrai, vu le dispatcher qui est toujours sur son paletot, la boîte ressemble étrangement à un employeur, aussi exigeante et peu accommodante que les pires petits patrons décrits par le cinéaste anglais.

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lundi, 27 mai, 2019

« Les cyclistes ont tous les droits »

Ça fait longtemps que j'ai envie de parler de mon expérience de cycliste et de violence routière. Parce que je fais du vélo et que côtoyer tous les jours 10 % d'automobilistes qui me mettent en danger par négligence ou malveillance fait mal… J'ai aussi été fauchée délibérément par un automobiliste énervé, devant sept témoins, sans que le propriétaire dûment identifié de la voiture soit mis en cause (affaire à suivre). Cette violence et d'autres, on les subit tous les jours. Vous les subissez tous les jours si vous habitez en ville. Peut-être que c'est à pied, en voiture ou en scooter. Peut-être que vous avez décidé que c'est un type d'usagèr·es qui en est coupable (« les vélos », « les bagnoles »).

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mercredi, 12 décembre, 2018

Quelque chose du gilet jaune

C’est bientôt Noël et c’est déjà l’overdose. Des pubs qui dégoulinent de rouge, des passant·es avec leurs gros sacs en papier remplis de cadeaux venus du cœur et d’usines où le travail est bon marché, des questions existentielles sur ce qu’on aimerait recevoir alors qu’il faut bien l’admettre, on n’a franchement besoin de rien… ou bien de tout. C’est la grande bouffe et il y a du monde à table. Des week-ends en avion dans une ville où on n’a personne à aller voir (à part un hôte AirBnB) aux changements d’équipement parce qu’un nouveau vient de sortir qui est tellement mieux (et pas parce que l’ancien ne marche plus), tout déborde.

Et à côté de ça, les histoires de ces familles qui payent les activités de leurs enfants, vingt euros l’année grâce aux aides municipales, en trois fois sans frais ou de ce petit garçon qui raconte à ses copains de classe qu’hier il a dîné – parce que c’est pas tous les soirs que ça arrive.

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mardi, 8 mai, 2018

Covoiturage : bienvenue dans un capitalisme de crevards

Les dernières grèves à la SNCF (c’est ici pour contribuer aux caisses de soutien) m’ont donné l’occasion de me remettre à ce truc que je déteste : le covoiturage. Covoiturer, c’est d’abord avoir le déplaisir de recourir à un moyen de transport moins sûr, moins écologique et moins efficace que le train, ce bien commun financé avant l’ère de la voiture individuelle, avant que nous soyons riches à ne plus pouvoir prendre les transports en commun ou assumer l’entretien d’un réseau ferré. C’est faire un tour dans la culture automobile : me retrouver dans un McDo d’autoroute où, en désespoir de cause, je prends une frite ou bien côtoyer un conducteur tellement occupé par le réglage de ses deux GPS (deux !) qu’il ne voit pas le panneau Paris et se précipite dans la mauvaise direction.

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mardi, 14 novembre, 2017

Se mettre dans la peau d'un·e cycliste

La semaine dernière, je roulais à vélo dans une rue assez étroite quand une voiture me doubla en me passant très près. Après un sprint mémorable, je retrouve l’automobiliste au feu rouge et lui demande des comptes. Celui-ci, après m’avoir accusée de rouler « au milieu de la route », accepte quand même de m’écouter. « Au milieu de la route », je lui explique, c’est une distance qui permet de ne pas se faire faucher par une portière qui s’ouvre. Les portières s’ouvrent sans précaution et il appartient aux cyclistes de ne pas être à leur portée. Une distance de sécurité d’un mètre est la seule prévention. Le jour où une portière ouverte m’a envoyée à l’hôpital, je n’ai pas eu le temps de freiner, rouler trop près a été ma seule erreur. Et cette erreur, la plupart des cyclistes la font tout le temps. Il faut dire que la plupart des automobilistes les contraignent à se mettre en danger : dès que le respect de cette distance de sécurité ne permet plus de doubler, l’automobiliste fait ronfler son moteur tout près, klaxonne ou double dangereusement, accusant de rouler « au milieu de la route ». Doubler un véhicule plus lent est perçu comme un dû. Eh bien non, c’est rentrer chez soi sans séjour à l’hôpital qui l’est. Elles sont pourtant rares, les villes où on peut espérer que les automobilistes frustré·es de ne pas pouvoir doubler restent plus loin et ne se comportent pas de manière plus ou moins agressive…

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jeudi, 29 septembre, 2016

Cartographie participative du vélo potentiel à Kuala Lumpur

Kuala Lumpur a, vu du ciel, des airs de plats de spaghetti où s’emmêlent les autoroutes à deux fois trois ou quatre voies. Dans les quartiers, les automobiles garées sur les trottoirs, les embouteillages où les pare-chocs se touchent presque et la priorité donnée aux voitures sur les piétons rendent improbable l’idée de faire du vélo dans la capitale malaisienne. C’est pourtant le cas, même si les cyclistes sont assez rares pour qu’on puisse passer une journée sans en voir un… Mais cela ne s’improvise pas, il est déconseillé de partir à l’aventure sans une idée précise de son itinéraire. Pour cela, l’apprenti·e cycliste peut désormais compter sur une carte qui l’aidera à circuler dans la jungle urbaine : Cycling KL Bicycle Map.

La suite sur le site Visions carto.

jeudi, 17 mars, 2016

Contact

Matthew Crawford, Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver, La Découverte, 2016, 283 pages, 21 euros

Il est question d’Emmanuel Kant et de Walt Disney, de philosophie politique et de machines à sous. Crawford manie des concepts philosophiques parfois un peu ardus mais toujours éclairés par des exemples concrets, l’idée étant de comprendre pourquoi, dans un univers toujours plus commode, nous nous trouvons toujours plus désemparés. L’exemple qui m’a le plus frappée est celui des vieux Disney, dans lesquels les personnages sont aux prises avec des objets qui répugnent à leur obéir, au point de sembler animés d’une vie propre : des ressorts qui ne cessent de se détendre, des portes de s’ouvrir… Aujourd’hui, dit-il, les dessins animés de la même firme montrent des personnages béats servis par des machines complaisantes. Je me demande quelles intrigues ce dispositif peut servir. L’absence de conflit, outre qu’elle est assez pauvre politiquement, l’est aussi sur le plan narratif.

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lundi, 16 novembre, 2015

Les autres ont aussi leurs raisons

Parmi la litanie de faits désespérants, il en est qui intriguent et inquiètent, quand bien même ils sembleraient anecdotiques. Ainsi les agressions d’automobilistes sur cyclistes. Cela fait vingt ans ce mois-ci que je fais du vélo en ville (Décembre 1995 a commencé en novembre) et je suis plus que familière avec l'insouciance qui consiste à arbitrer entre quelques secondes de gagnées et la mise en danger d’une personne à vélo. Mais au-delà de la négligence et de l’incivilité souvent constatées, il s'agit d'insulter, de menacer, de descendre pour frapper un cycliste ou d’utiliser comme arme par destination (1) une tonne de métal motorisée. L’occasion est arrivée de mettre noir sur blanc les vagues cogitations suscitées par la prise de conscience que ce phénomène a pu prendre une certaine ampleur.

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samedi, 11 octobre, 2014

L’Europe à portée de train

Il y a quelques semaines, une campagne publicitaire battait son plein dans les couloirs de métro parisien (et peut-être ailleurs). La grande vitesse mettait l’Europe à portée de train de Paris. L’Allemagne, la Suisse, l’Espagne à portée de train ? Mouais. À condition de confondre l’Allemagne avec un pays situé entre Cologne et la France alors qu’il s’étend, dit-on, jusqu’à la frontière polonaise. À condition de confondre l’Espagne avec la Catalogne. À condition de rester en-deçà des mille bornes.

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lundi, 3 mars, 2014

A qui de nous faire préférer le train ?

Même aux USA, pays du libéralisme économique, il est possible de prendre le train à des prix qui ne font pas dresser les cheveux sur la tête. Et heureusement, car si les cars (1) Greyhound ont une belle réputation, que l'on doit à des films hollywoodiens comme Macadam Cowboy, il faut revoir ce film et les autres avec un peu moins de paillettes dans les yeux : le Greyhound, c'est pour les pauvres et tou-te-s celles qui ne peuvent pas faire le trajet en avion. L'imaginaire américain prétend que vous aurez de fortes chances de faire le voyage (interminable) aux côtés d'une personne malodorante et/ou en grande détresse. Au Canada, un voyageur a ainsi fini son trajet la tête coupée par son binôme de car (faut dire que c'est long). Le plus grand désagrément que j'aie connu, c'est de faire les deux heures entre Seattle et la capitale de l'état dans un car aux vitres tellement crades que je n'ai pas pu voir le Mt Rainier de plus près. Ah, oui, et la demi-heure de queue avec un vigile grossier qui nous a demandé d'ouvrir nos bagages à main pendant qu'il commentait le contenu – des bagages des passager-e-s du wagon à bestiaux précédents. C'est le genre d'expérience qu'on apprécie d'avoir fait, mais qui ne vaut pas la peine d'être répétée.

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mardi, 5 novembre, 2013

Une autre histoire du vélo

Iain Boal se lave les dents au moins deux fois par jour, mais n'accepte pas pour autant l'étiquette de brosse-à-dentiste. Il refuse également celle de cycliste, quand bien même, en sus de cette hygiène de vie qu'apporte le pédalage, il aurait à son crédit la fondation avec d'autres de la première masse critique contemporaine, à San Francisco. On comprend bien vite qu'on a affaire à un intellectuel hétérodoxe et qui cultive le décalage. Son histoire du vélo, en préparation depuis 2005, risque fort de ne pas ressembler aux autres.

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vendredi, 21 juin, 2013

Des droits et des devoirs

La petite bourgeoisie s'amuse n°4

La petite bourgeoisie, communément appelée classe moyenne, c'est cette classe sociale qui, privée de pouvoir économique, n'est pas responsable de l'abjection ambiante mais profite toutefois de ses retombées. Une classe sociale repue de droits et qui ne se reconnaît aucun devoir.

Puisque c'est dans ces termes que j'ai posé ma critique de la petite bourgeoisie, il est temps aujourd'hui de se pencher plus en détail sur la notion de droits et de devoirs, qui me semble centrale pour décrire son rapport au monde. Et cela à travers l'entrée que constitue le code de la route, si si.

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mardi, 12 mars, 2013

Une expérience cycliste et politique

I want to ride my basikal, I want to ride my
Basikal! Basikal!

Queen

L’économiste du développement Ha-Joon Chang (1) admet que les populations des pays pauvres ont moins d’éducation et de compétences formelles que celles des pays riches, mais n'en fait pas la raison de leur différence de revenu. La cause est à chercher dans un système d’exploitation qui s’est généralisé ces derniers siècles (songeons qu’en 1830, l’écart de richesses entre un pays comme la France et un pays comme l’Algérie était de un à deux). Et s’il faut comparer les compétences d’un chauffeur de taxi de Göteborg et celles de son confrère de Bangkok, on a le choix entre considérer leur niveau d’éducation, leur aisance écrite et leur culture gé, ou leur aisance au volant. Et là, sans conteste, le chauffeur de taxi de Bangkok l’emporte. Parce qu’à conduire dans des conditions chaotiques, avec des règles de circulation peu contraignantes, une rue partagée entre de multiples usager-e-s (automobilistes, deux-roues motorisés, cyclistes, pton-nes, etc.) et de multiples usages (atelier, marché, ferme sauvage, etc.), on en acquiert une vision périphérique, une attention qui dépasse largement les contrôles réguliers dans le rétro. 

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jeudi, 13 décembre, 2012

Portland, capitale vélo de l'Amérique du Nord ?

Jeudi 22 novembre 2012, Portland, devant le café coop de la 12e rue. Rendez-vous est pris pour une balade festive dans les rues de la ville, désertées pour cause de Thanksgiving. Une trentaine de cyclistes se sont réuni-e-s pour profiter du calme et « se mettre en appétit » pour le repas de 15 h. L'un des nombreux rendez-vous quotidiens qui animent la communauté des cyclistes de Portland, Oregon. Avec ses 500 000 habitant-e-s (deux millions dans toute l'agglo, qui s'étend jusque dans l'état de Washington), la petite métropole du Nord-Ouest fait figure de capitale vélo de toute l'Amérique du Nord.

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lundi, 28 mai, 2012

La dernière cible de l'inspecteur Harry

Connaissez-vous l'inspecteur Harry ? Un flic aux méthodes expéditives, qui a décidé de ne pas s'encombrer d'un code pénal, fait hurler sa hiérarchie – bien contente tout de même de voir les membres de la pègre californienne tomber sous ses coups sans encombrer les cours de justice. C'est Clint Eastwood qui, des années 70 aux années 80, incarne ce symbole de la justice arbitraire.

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samedi, 15 octobre, 2011

Peut-on verbaliser les cyclistes ?

A l'heure où les autorités lilloises nous promettent un mouvement sans précédent de verbalisation des cyclistes, il est bon de se demander si l'on peut légitimement coller aux personnes à vélo les mêmes prunes qu'aux automobilistes...

Même si on a pu mettre en place avant 1921 certaines dispositions règlementaires concernant la circulation des véhicules, le code de la route formalisé à cette époque n'est pas aussi vieux que la route, mais que la généralisation des automobiles. De même que le trottoir et le piéton n'ont pas surgi avec l'apparition des jambes. La voiture a créé tout un monde autour d'elle (du bitume aux stations-service, du trottoir au parking), et les risques qu'entraîne sa vitesse pour les autres ont contraint la société à se doter d'abord d'un code de bonne conduite, puis d'un code administratif, étoffé et complexifié au fil des ans. La bicyclette est à peu près contemporaine des premières automobiles, mais ce n'est pas à elle qu'on doit le bitume et le code de la route... elle peut faire sans. Les chemins pierreux des campagnes sont encore pratiqués à vélo, et nous partageons relativement bien la route, entre nous et avec les piéton-ne-s, en raison de notre faible vitesse, de notre prise (visuelle, auditive, sensible) avec l'environnement et de notre intérêt bien compris, puisque c'est dans notre chair que nous sentirons la chute ou le choc. Certaines contraintes auxquelles sont soumises les automobiles et leurs conducteurs/rices ne nous concernent pas (le contrôle technique, le permis de conduire...), alors pourquoi celle-ci le ferait ?

Les piéton-ne-s peuvent recevoir une prune d'une dizaine d'euros s'ils ou elles traversent la chaussée en-dehors des clous ou au feu rouge. Cette mesure est rarement appliquée, donc encore moins souvent interrogée. L'argument le plus classique en sa défaveur est « je fais ce que je veux, s'il m'arrive quelque chose c'est moi qui en subirai les conséquences ». C'est un argument douteux : mon intérêt est bien d'atteindre le trottoir d'en face sain-e et sauf/ve, et comptez sur moi pour tout mettre en œuvre pour le faire, certes... mais une société qui met à ma disposition dans le cas contraire toute une batterie de services médicaux a peut-être son mot à dire. Voilà qui va dans le sens d'une légitimité de la verbalisation des cyclistes. Mais dans quelles conditions ?

Utiliser le même barème d'amendes pour les automobilistes et pour les cyclistes est par exemple un non-sens. Les formulaires le disent bien, qui parlent de « véhicule » et doivent être remplis avec le nom de la marque, du modèle, mais aussi le numéro de la plaque d'immatriculation ! Et le prix de l'amende pour un feu ignoré se rapproche fort d'un budget vélo annuel alors que pour les automobilistes il équivaut à deux pleins hebdomadaires. Difficile de ne pas ressentir l'absurdité et l'injustice de tout cela pendant qu'on remplit votre amende. La moindre des choses serait donc d'établir un barème d'amendes spécifique aux cyclistes, plus proche de celui qui a cours pour les piéton-ne-s... et d'imprimer les formulaires qui vont avec.

Faire du vélo en ville, c'est déjà le parcours du combattant. Si on peut le rapprocher de l'expérience des usagèr-e-s de la voiture, ce serait de celle d'un-e passagèr-e surpris-e par un-e conducteur/rice spécialement désinvolte, trop rapide, à la conduite décidément dangereuse. Assis-e à la bien nommée place du mort, on n'arrête pas d'écraser le plancher, à la recherche d'une pédale de freins imaginaire. Même chose à vélo : un doublement en-deçà de la distance de sécurité, le bruit d'une accélération un peu virile, d'un cliquetis qui ressemble à une ouverture de portière, tout ça nous rend le vélo plus désagréable qu'il devrait être. Nous sommes les usagèr-e-s les plus fragiles de la route, et nous méritons des égards. Il n'en est rien, bien au contraire. Ce qui nous nuit le plus n'est jamais verbalisé. Avez-vous vu un-e automobiliste recevoir une prune pour ne pas avoir vérifié son angle mort de droite ? ouvert sa portière sans un regard ? klaxonné indûment ? doublé sans respect pour la distance de sécurité ? Certains de ces comportements peuvent vous valoir d'être recalé-e au permis, mais pas une prune. Et les autres, même s'ils sont interdits par le code de la route, ne sont jamais sanctionnés. « Comment pouvez-vous coller une prune à une personne qui a klaxonné n'importe comment », disait un jour un policier à vélo ? « Même si cela m'énerve moi aussi, je ne me sens jamais en droit de le faire. »

Si aujourd'hui les policièr-e-s à moto ou en voiture se mettent à nous verbaliser, ce sera de manière arbitraire. Un changement de direction non-signalé, à 45 euros ? « Mais la chaussée est ici complètement défoncée, comment voulez-vous que j'enlève une seule main de mon guidon ? » Un feu grillé, 90 euros ? « Et si je préférais passer en ne gênant personne plutôt que de rester sur la chaussée la nuit sans éclairage ? » Nous faire verbaliser par des personnes qui ne connaissent rien de notre expérience de cyclistes, et pour qui le vélo c'est le truc qu'on met à l'arrière de la voiture quand on va à la campagne, c'est se mettre en mesure de faire naître un énorme sentiment d'injustice. Les magistrats savent qu'une peine n'est utile que lorsqu'elle est comprise. En donnant l'ordre de nous verbaliser, pour des sommes aussi élevées, à des policièr-e-s, dont très peu à Lille circulent à vélo et partagent notre expérience, les autorités accroîtront la tension du côté des cyclistes, et feront naître une génération spontanée de vélos en colère.

Ce fut le cas à Bordeaux entre fin 2005 et début 2009, presque quatre années de verbalisation intense des cyclistes. Le pic fut atteint ce jour où trois camions verbalisèrent toute une après-midi sur l'axe ville-campus les cyclistes (souvent étudiant-e-s et désargenté-e-s) qui roulaient sur les voies de tram. C'est dangereux certes, mais l'agglomération ne s'était-elle pas la première mise en délicatesse avec les textes de loi en refaisant un axe important sans prévoir de place pour les cyclistes ? Des voies trop étroites pour se faire doubler (et encore moins doubler en toute sécurité) engageaient les cyclistes à passer où ils et elles pouvaient... avec le risque d'une prune à 90 euros. Le résultat de ce mouvement inédit (que la mairie disait regretter alors qu'à Lille Martine Aubry semble l'avoir commandé), c'est des vélorutions à 200 personnes, mamies et étudiant-e-s en colère, quasiment tou-te-s ayant été verbalisé-e-s et réprimandé-e-s par des policièr-e-s motorisé-e-s. Les entretiens entre Vélo-Cité et l'hôtel de police restaient stériles, et ce n'est que début 2009 que les cyclistes ont eu la peau du chef de la police, suite au tollé provoqué par la nuit passée en cellule de dégrisement par une cycliste qui avait certes bu quelques verres de bordeaux, mais ne méritait pas un tel traitement et s'en est bien vengée en mobilisant tous ses réseaux médiatiques et politiques. Faudra-t-il en arriver là à Lille ?

Martine Aubry justifie ce mouvement par l'arrivée avec le V-lille de cyclistes peu expérimenté-e-s, qui ont un usage plutôt... poétique du vélo et peuvent en effet se mettre en danger. Mais la meilleure des réponses politiques ne serait-elle pas de contraindre les cyclistes qui n'ont pas respecté le code de la route à suivre des formations à la conduite à vélo en ville ? Certains comportements interdits peuvent être plus sûrs, et des comportements tout à fait légaux, bêtement calqués sur un modèle automobile, être au contraire très dangereux. Défend-on une conduite dans les clous, ou une conduite sûre ? Au fond, veut-on normaliser la conduite des cyclistes, ou assurer leur sécurité ? Il est vrai que verbaliser à tout-va les cyclistes rapporte plus que de les former. Mais comme disait Victor Hugo, si l'école coûte cher, essayez donc l'ignorance...