L’Insécurité nucléaire. Bientôt un Tchernobyl en
France ?, Stéphane Lhomme, Yves Michel, Barret-sur-Méouge, 2006, 250
pages, 15 euros
Texte paru dans le n°25 (l'un des meilleurs) de la revue
EcoRev'
2006, une année importante pour l’industrie nucléaire et les mouvements qui
s’y opposent. C’est à la fois le moment où la hausse du prix du pétrole est
désormais perçue comme inexorable, et celui où l’on doit anticiper la fin de
vie des premières centrales nucléaires construites dans les années 1970.
L’actualité de cette année, c’est aussi le vingtième anniversaire de la
catastrophe de Tchernobyl, bien couvert ce printemps dans les média dominants.
Et la mise en examen du Pr. Pellerin, l’un des acteurs de la désinformation en
France sur le fameux nuage, désinformation qui a interdit la réduction des
risques dans les mois qui suivirent le 24 avril 1986. Dernier enjeu important,
la privatisation en marche d’EDF, qui est déjà à l’origine de graves réductions
d’effectifs et défauts de formation du personnel des centrales.
C’est donc au printemps 2006 que Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau
Sortir du nucléaire, fait paraître un livre bien documenté sur l’insécurité
nucléaire. Au fil des pages se dessine un tableau apocalyptique des menaces qui
font plus que peser sur le parc français. Les centrales nucléaires sont en
effet sujettes à de nombreux dysfonctionnements ou incidents qui ne doivent
qu’à la chance de n’être pas devenus des accidents majeurs. Le risque
d’incendie, le risque sismique, le risque humain, sont décortiqués, ainsi que
le faible contrôle de la sûreté nucléaire, dû autant à des réductions de budget
qu’à la volonté de nier la dangerosité de cette technique. Jean-Pierre Dupuy se
demande si la probabilité même infime de connaître une catastrophe est
acceptable (Pour un catastrophisme éclairé, Le Seuil, 2002)… Stéphane
Lhomme prend le parti lui aussi de s’intéresser à ce thème que les écolos ne
souhaitent pas aborder de crainte de s’y faire enfermer. Mais pour nous
informer du fait que les risques ne sont pas infimes ou hasardeux, mais
extrêmement élevés.
Les incidents et les dysfonctionnements sont décrits et expliqués clairement
aux néophytes que nous sommes et que l’auteur a été. Alors que ces incidents
sont d’habitude traités au coup par coup, avec retard mais sans recul, dans la
grande presse (Le Figaro étant une source très fiable), Lhomme les
rassemble et les met en regard pour dégager la part du structurel de celle du
hasard.
Quelles sont les sources d’un tel travail ? En premier lieu les
communications précises mais encore une fois fragmentées de l’Agence de Sûreté
Nucléaire, qui dépend surtout du ministère de l’Industrie et n’a donc pas
l’autonomie qui lui permettrait, malgré ses contrôleurs exigeants, de faire
appliquer des sanctions à l’égard d’une industrie nucléaire peu soucieuse de
sécurité. Ensuite les salarié-e-s de l’industrie nucléaire, qui ne sont pas
opposé-e-s à cette technique mais prennent leurs distances vis-à-vis du
fonctionnement d’EDF ou d’AREVA en renseignant de manière anonyme les
militant-e-s anti-nucléaire. Le 16 mai 2006, le logement de Stéphane Lhomme est
perquisitionné au motif qu’il avait en sa possession un document
secret-défense… acquis dès 2003. L’affaire fait du bruit, le dit document est
publié sur des dizaines de sites web en solidarité avec Sortir du nucléaire. Le
secret nucléaire n’est pas très bien gardé, juste avec assez de "dissuasion"
pour éviter les investigations des journaux qui accueillent les publicités de
cette industrie.
L’auteur dénonce le côté le plus connu par le grand public du scandale
nucléaire : l’impossibilité d’assurer une parfaite sûreté des
installations, mais aussi des nombreux transports de matières dangereuses. Mais
son livre est aussi riche d’informations et d’arguments sur les autres raisons
qui interdisent le recours à cette énergie : stockage des déchets
impossible à si long terme, épuisement des ressources naturelles d’uranium,
manque d’eau estival des centrales, rejets de substances toxiques qui font
d’EDF l’un des premiers pollueurs chimiques du pays, et enfin (même si la liste
n’est pas exhaustive) hostilité de la population. L’Eurobaromètre de la
Commission européenne avoue 12 % de personnes favorables au nucléaire devant la
crise énergétique… et à peine 8 % en France, capitale du nucléaire européen,
voire mondial.
Est-il possible de sortir du nucléaire quand un pays dépend à 80 % de cette
énergie pour produire de l’électricité ? Le poids du nucléaire est tout
relatif. Toutes énergies confondues, celui-ci ne représente que 17 % en France,
et 6% dans le monde. Soit moins que les renouvelables qui atteignent 12 %. Et
cette part ridicule, due au prix exorbitant du nucléaire sur les plans
économiques, environnementaux et politiques (une démocratie peut-elle recourir
au nucléaire ?) va encore baisser : dix réacteurs sont à construire
dans le monde, quand 250 vont être fermés.
La démonstration de Stéphane Lhomme est précise, très accessible, parfois
drôle : l’auteur est souriant et amusant, même si l’on peut regretter la
trop fréquente utilisation des mêmes effets d’ironie ou de chute. La référence
trop souvent faite à Tchernobyl, jusque dans le sous-titre, n’est-elle pas
contre-productive ? Le propos vise à nous réveiller du doux rêve dans
lequel l’insécurité nucléaire se résume à une seule catastrophe, que l’on a
beau jeu d’appeler soviétique.