Plogoff
Par Aude le vendredi, 17 mai, 2013, 07h19 - Lectures - Lien permanent
Plogoff, Delphine Le Lay (texte) et Alexis Horellou (dessin)
Delcourt, 2013, 192 pages, 14,95 €
A paraître dans le n°4 de L'An 02, juin 2013.
Tout commence en 1975 avec la décision du gouvernement français de faire assumer à la Bretagne son « indépendance » énergétique : il faudra, de gré ou de force, implanter une centrale nucléaire sur le territoire breton. Plogoff n'est alors que l'un des sites envisagés et les habitant·e·s sont sceptiques : « D'ici que ça se passe à Plogoff ! On a le temps... » Ils et elles ont une confiance dans l'État de droit qui ne leur permet pas d'imaginer la suite, un projet qui se mènerait contre leur avis ou celui des structures représentatives locales. 1976 : de consultation locale en conseil municipal extraordinaire, l'opposition populaire se construit et se renforce. « On a déjà voté contre la centrale. On a déjà dit qu'on n'en voulait pas ». On comprend le choc ressenti par les Plogoffites quand le projet se précise malgré tout. Cet échec à se faire entendre finit par donner lieu à un premier acte de désobéissance, la fermeture des routes au personnel d'EDF venu en reconnaissance. 1978 : la marée noire de l'Amoco Cadiz exacerbe le sentiment chez les Breton·ne·s que leur pays est livré aux polleurs : « La Bretagne est la poubelle de la France ».
1980 : c'est l'année qui reste dans les mémoires. L'enquête d'utilité publique, simple obligation administrative et non pas procédure démocratique, est sabotée par les Plogoffites. La mairie est bien entendu fermée par la municipalité, mais la préfecture ouvre une mairie annexe, malheureux camion gardé par des cohortes de CRS et déserté par ce public qu'on n'a jamais pris la peine d'informer. La lutte est suivie par tou·te·s, les ancien·ne·s, les femmes, les républicain·e·s. On garde l'image de vieilles dames tendant aux plus jeunes les cailloux qu'ils vont lancer sur les CRS, et le procès parmi d'autres opposant·e·s d'un magistrat retraité. Les Plogoffites gardent la main sur les luttes et contrôlent l'aide qui leur vient de toutes parts, de la Bretagne comme des autres régions (en premier lieu le Larzac).
Nicole et Félix Le Garrec filment les événements et en tirent Des pierres contre des fusils, qui reste une contribution centrale à la mémoire de cette lutte. Jusqu'à cette bande dessinée ? Le sujet est bien traité, le point de vue des mères de famille qui en s'engageant amorcent le récit est une belle idée, et le scénario de Delphine Le Lay est agréablement rythmé. L'émotion et la puissance ressenties par Nicole Le Garrec qui préface l'ouvrage se traduisent cependant chez d'autres lectrices et lecteurs en simple reconnaissance du travail bien fait. Un geste artistique utile, car cette histoire mérite de rester dans les mémoires des antinucléaires, des écolos, des régionalistes et des autres habitant·e·s de notre pays, de Notre-Dame-des-Landes au Pays basque et dans toutes les terres « à aménager ».