lundi, 3 mars, 2025

Confinement : refaire le match

Il y a bientôt cinq ans, le 17 mars, nous étions confiné·es, coincé·es dans nos maisons pour les plus chanceux et chanceuses qui ont des maisons et n’ont pas été tenu·es de sortir faire marcher l’économie en s’entassant dans des métros aussi rares que bondés. Certain·es ont apprécié de rester en famille ou de faire leur jardin, d’autres se sont fait chier ou ont vécu huit semaines infernales, notamment celles et ceux étaient logé·es dans des appartement trop petits ou sans extérieur, étaient en prison ou en CRA. Une petite musique commence à s’imposer à propos de la période : franchement, on a été cons de se laisser confiner. Et de refaire le match en oubliant des petits détails. Le système hospitalier « risquait » la saturation ? Non, il était bien saturé, des tris ont été effectués entre patient·es et des personnes sont mortes chez elles sans soins. Le Monde diplomatique sort une carte des pires pays où passer mars-mai 2020 ? Aucun lien de cause à effet n’est esquissé entre la surmortalité importante et la dureté du confinement, il semble que ce soient simplement deux trucs pénibles alors que le deuxième a dans certains pays été une conséquence du premier. Le confinement ressemble à les entendre à un exercice parfaitement arbitraire de manipulation des foules.

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vendredi, 21 février, 2025

Euthanasie et néolibéralisme

Le suicide comme moyen de réduire les dépenses de la Sécu pour maintenir les gens en vie ? On dirait une blague de Jonathan Swift, mais non : c’était la proposition très sérieuse d’un grand penseur, qu’on n’attendait pas dans ce rôle, en 1983… Un texte de Patrick Marcolini publié pour la première fois en 2016.

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À propos d’une modeste proposition sur la fin de vie

En 2020, la convention citoyenne sur le climat n’avait proposé que des mesures faisant consensus entre les participant·es. Celles qui proposaient de baisser significativement le temps de travail pour réduire notre empreinte carbone collective avaient été écartées en raison de quelques voix discordantes. C’est le principe de ce qu’on appelle la « conférence de consensus » et qui n’est pas si éloigné du jury d’assises : la vox populi doit être polie par la concertation, au point de devenir aussi lisse que sûre, pour pouvoir s’imposer. On se souvient des promesses présidentielles de traduire ces conclusions en politiques publiques et du mépris avec lequel elles furent traitées.

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jeudi, 9 janvier, 2025

Jusqu’à la lie

En France il est interdit de servir de l’alcool à des gens « manifestement ivres » (1). Des personnes qui ont leur compte et n’ont plus besoin d’un peu d’alcool pour lubrifier la vie sociale et faire tomber quelques inhibitions, des personnes qui ne sont plus en mesure d’apprécier un bon verre, des personnes qui n’auront plus que des désavantages à poursuivre leur consommation ce soir-là et auraient plutôt besoin de grands verres d’eau. Des personnes qui vont rentrer chez elles à leurs risques et périls dont les moindres sont de tomber par terre et de se faire mal, de perdre ou de se faire voler des biens précieux, qui le lendemain vont avoir des symptômes pénibles.

En France on aime l’alcool, avec modération bien sûr, et une fois ceci écrit sur les publicités (car la pub pour l’alcool est revenue discrètement) on laisse à chacun·e la responsabilité de sa consommation, serait-elle débridée et désinhibée par les premiers verres, serait-elle difficile à contrôler en raison d’une addiction. Pourtant on a les moyens de ne pas laisser chacun·e seul·e avec ses difficultés mais, même si l’intérêt du plus grand nombre y gagne, l’intérêt immédiat est bien de faire consommer, tant pour les bars que pour les producteurs d’alcool représentés par des groupes de pression puissants.

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mercredi, 8 janvier, 2025

Le mythe du terrain

Trois semaines après le passage dévastateur de l’ouragan Chido, le défilé à Mayotte des hommes et des femmes politiques semble ne pas devoir s’arrêter. Président de la République, ministres de l’intérieur, des outre-mer, de l’éducation, femmes et hommes politiques hors gouvernement… au point que l’une de ces délégations politiques, celle de la leader de l’extrême droite, s’est trouvée prise dans un accident qui a envoyé dix personnes dans ce qu’il reste d’hôpital. On se demande si un territoire dans une telle galère a besoin d’accueillir toute la misère du monde politique dans des délégations dont il faut assurer le gîte, le couvert, le transport et la sécurité. Ressources qui seraient peut-être mieux employées pour satisfaire les besoins criants des gens sur place que pour assurer ce nouveau « tourisme de la désolation ». Ces femmes et ces hommes reviennent de leurs voyages en ayant acquis quelques mots locaux (on se souvient d’Emmanuel Macron notant que « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du (sic) Comorien » et, comme des touristes, ont tout compris sans ouvrir un bouquin d’histoire ou d’anthropologie, arrivant tou·tes à cette conclusion pas piquée des vers : il faut renvoyer les « immigrés » comoriens chez eux, comme si la France était chez elle dans le canal du Mozambique après avoir méprisé les principes onusiens de souveraineté des territoires décolonisés. Voilà qui me rappelle furieusement un extrait de mon livre Dévorer le monde (Payot, 2024), que je publie donc ici.

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samedi, 14 décembre, 2024

L’apocalypse de la Ve République

En 2018, Emmanuel Macron affirmait sans rire que 1958, la date à laquelle était mise en place la Ve République suite à ce qu’on peut considérer comme un coup d’État, marquait « la fin de la quête du bon gouvernement ». L’expression renvoie à une question qui taraude les meilleurs esprit depuis au moins vingt-cinq siècles mais hop, le général de Gaulle a trouvé la solution, vous pouvez rentrer chez vous.

Le semi-dictateur de Colombey et le paillasson à Le Pen, que j’ose ne pas compter parmi les grands philosophes qui pensent le pouvoir depuis Platon, ont en commun que la Ve les arrange bien. La différence entre les deux tient peut-être au fait que si le premier avait réussi à cacher les failles de sa Constitution, le second les révèle tout à fait.

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dimanche, 3 novembre, 2024

Quand le gagnant emporte tout

En 2016, Donald Trump emportait l’élection présidentielle états-unienne avec trois millions de votes de moins que son opposante Hillary Clinton. Ces 2 % de retard lui valurent une très confortable avance de 77 votes dans le collège des grands électeurs (qui en compte 538). Les électeurs états-uniens ne votent pas directement pour les candidat·es, ils élisent, État par État, un collège de grands électeurs qui assurent l’élection du ou de la présidente. Hormis dans deux États qui procèdent à la proportionnelle, le scrutin qui leur délivre un tel mandat est du type « winner takes all » (le gagnant emporte tout), c’est à dire que 50,01 % des voix dans un État (1) vaudront 100 % des voix des grands électeurs de cet État… à moins qu’un ou deux ne fasse défection et ne vote pour le camp opposé. Donald Trump a ainsi été élu sans les voix de deux grands électeurs républicains dont le seul mandat consistait à voter pour lui mais avec celles de cinq « faithless electors » ou électeurs déloyaux issus du camp démocrate.

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dimanche, 27 octobre, 2024

Un antivalidisme mondain

Je ne compte plus les organisations et les événements qui mettent en avant des valeurs antivalidistes tout en passant sous silence l’existence d’une maladie infectieuse potentiellement handicapante et immédiatement dangereuse pour certaines catégories de personnes. Un syndicat qui affirme l’antivalidisme comme une de ses priorités des prochaines années alors que depuis 2022 le port du masque n’est recommandé ni dans ses locaux ni dans les formations qu’il organise. Des festivals féministes qui se mettent en quatre pour assurer l’accessibilité aux personnes en fauteuil ou qui marchent difficilement, aux personnes sourdes qui se voient proposer sous-titres spécifiques ou traduction simultanée en LSF mais aucune information n’est fournie en amont de l’événement sur ce qui sera fait pour s’assurer que le moins de monde possible rentre chez soi avec le Covid.

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vendredi, 18 octobre, 2024

Accident ou agression ? À propos de la violence contre les personnes à vélo

C’était il y a bientôt dix ans. Le Nord-Pas de Calais bruissait d’insultes contre « les écolos », déversées entre autres par le futur président de la future grande région. Je roulais à vélo derrière mon ami, dans un carrefour quasi-désert en ce 14 novembre 2014 et nous n’occupions qu’une partie de la première des trois voies de circulation. Malgré tout, un automobiliste nous a fait une queue de poisson, est sorti de sa voiture en colère et très intimidant, attirant l’attention de toute la place dont sept témoins. Il a revendiqué nous avoir puni·es pour rouler « au milieu » de la chaussée puis a redémarré. Mon ami ayant frappé du plat de la main sa voiture, sans l’abîmer ni blesser autre chose que l’ego de son conducteur, celui-ci m’a alors fauchée en marche arrière avant de repartir en tirant sur quelques mètres mon vélo resté accroché à l’arrière de sa voiture.

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mardi, 1 octobre, 2024

Le RN est-il un nouveau centre ?

Il y a quelques semaines j’écrivais ici qu’Emmanuel Macron, malgré la défaite subie aux législatives de juillet, gardait la main non seulement en tant que président d’un régime aux traits monarchiques mais aussi grâce à la position du centre dans l’échiquier politique, ce qui lui permettait de choisir ses alliances. Or il a fait le choix constant depuis 2017 de gouverner très à droite et de s’appuyer sur l’extrême droite (en validant ses éléments de langage et ses paniques morales, en sollicitant les votes du RN comme lors de la loi immigration) plutôt que de déboussoler la gauche en pratiquant un « en même temps » plus consistant. Il aurait pu s’appuyer sur les thématiques appréciées par la bourgeoisie de gauche molle, faire passer quelques lois « sociétales », être le premier « président féministe » en s’épargnant de s’inquiéter des excès de #MeToo (quelques jours à peine après le début de la vague) ou en ne jouant pas au père de famille hétéro qu’il n’est pas en tapotant des joues de violeurs tout en leur demandant de s’y prendre mieux la prochaine fois.

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mardi, 17 septembre, 2024

Surtourisme : derrière un mot

signal-2024-09-17-112319_002.jpeg, sept. 2024Depuis la fin des années 2010, la popularisation de la notion de surtourisme rend compte des dégâts du tourisme dans de grandes villes européennes. Les luttes urbaines, de Barcelone à Berlin, s’attaquent aux locations courte durée et aux résidences secondaires qui ont sorti du marché immobilier des logements à l’année. Les plateformes de location entre particuliers sont pointées du doigt, un peu moins les compagnies d’aviation qui offrent des trajets bon marché entre capitales européennes et grandes destinations touristiques.

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samedi, 14 septembre, 2024

Producteurs et parasites

producteurs.jpg, sept. 2024Michel Feher, Producteurs et parasites. L’Imaginaire si désirable du Rassemblement national, La Découverte, 2024, 270 pages, 16 €

Lors du mouvement des Gilets jaunes, que j’ai suivi de loin mais avec intérêt, je me souviens des premières interviews de gens de classes populaires stabilisées ou de petits bourgeois qui exprimaient leur dépit de jouer le jeu sans pour autant s’en sortir. Elles et ils travaillaient, multipliaient les heures sup mais éprouvaient de la difficulté à payer la facture de leur rêve de pavillon avec deux voitures. Au fil des actes, il fut de plus en plus question des « cas soc’ » (aussi écrit cassos, il ne s’agit plus de personnes qui nécessitent l’intervention des services sociaux mais plus simplement de chômeurs et de précaires bénéficiaires de droits sociaux) qui nourrissaient le mouvement mais avaient fini par en faire partir les gens bien qui ne voulaient pas y être associés – leur colère pouvait exploser pendant un mois mais eux n’avaient pas que ça à faire, de tenir les ronds-points. Ce clivage observé lors du mouvement rappelle l’imaginaire qui s’est déployé à chaque réforme macroniste de l’assurance chômage : d’un côté il est des producteurs méritants et de l’autre des parasites qui profitent de leur travail et qu’il ne faut pas laisser proliférer.

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dimanche, 8 septembre, 2024

Une discrète arrivée au pouvoir

Dans toute l’Europe, pays après pays, l’extrême droite arrive au pouvoir. C’est rarement après un raz-de-marée électoral mais invitée dans des coalitions par des partis de droite. Il arrive que les élections suivantes la balayent, il arrive aussi que son influence ne prenne pas la forme d’une participation au gouvernement mais de simples accords programmatiques (je notais ici le cas de la Suède où l’extrême droite soutient le gouvernement sans y participer).

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dimanche, 14 juillet, 2024

La bourgeoisie de gauche molle

Dans les milieux écolos, féministes et de gauche que je fréquente on trouve un peu de tout : des précaires avec ou sans capital culturel (mais toujours un capital social, parfois acquis au hasard de rencontres, qui permet de ne pas subir les déterminations de sa classe), des petit·es bourgeois·es qui ont des intérêts objectifs à être de gauche et des personnes plus aisé·es qui en ont un peu moins (pour donner un seul exemple, dans une société décente les services de ménage dus aux gens qui peuvent se les payer ne seraient pas pris en charge à 50 % par la collectivité, voir quelques bouquins à ce sujet). J’ai déjà pas mal parlé dans Égologie des conflits de classe à peine cachés qu’on peut observer dans ces milieux plutôt engagés et du rôle qu’y jouent les classes les plus aisées. Je fréquente beaucoup moins, notamment parce qu’elle est moins engagée, la bourgeoisie de gauche molle, mais elle mérite que je lui fasse enfin un sort.

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lundi, 1 juillet, 2024

Faire la morale, une bonne stratégie politique ?

Même si elle n’a jamais abordé le sujet avec moi, j’ai de bonnes raisons de croire que la gardienne de mon immeuble vote pour le Rassemblement national. L’un de ses thèmes de prédilection est le goût du travail bien fait qui se perd, « voyez-vous madame Vidal ». Je ne mets pas en cause son constat. Locataire dans le logement social, je n’ai jamais eu de propriétaire aussi indélicat. Et si, quand j’ai emménagé, j’ai pu être choquée par certains comportements peu civiques de mes voisin·es, j’en suis venue à les voir comme des révoltes minuscules et mal ciblées contre un monstre maltraitant mais invisible. Ce bailleur, l’un des plus gros du pays, a par exemple externalisé son service d’intervention technique et l’a confié à une entreprise encore plus détestable.

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vendredi, 28 juin, 2024

Élections-surprise dans une démocratie faillie

En 2018, l’économie malaisienne avait le moral en berne, le parti au pouvoir était en crise et des accusations graves et nombreuses de corruption pesaient sur le Premier ministre Najib Razak. Celui-ci, aux abois, avait pourtant choisi cette année-là d’accorder 32 jours à la campagne électorale, soit moitié plus que les 20 jours concédés le 9 juin 2024 à ses opposant·es par le président français Emmanuel Macron. Alors que touchent à leur fin ces trois semaines pour élaborer, valider, imprimer et éventuellement faire lire aux personnes qui les subiront les programmes des candidat·es, petit passage par la Malaisie.

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lundi, 10 juin, 2024

Pourquoi je n’ai pas voté hier

signal-2024-06-10-075109_002.jpeg, juin 2024Depuis quelques années je ressens une contrainte à aller voter, bien loin de mes convictions selon lesquelles l’élection n’est pas une procédure démocratique, ou plutôt qu’elle a des caractères démocratiques bien ténus (1). L’urgence, la nécessité de faire barrage au fascisme s’impose à moi – serait-ce en votant pour celui qui justement gouverne en entretenant la vitalité de son opposition d’extrême droite et en validant des points essentiels de son discours. Toujours il faut aller nettoyer la merde avec son petit bulletin crotté.

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lundi, 3 juin, 2024

Sur quelques accusations de fascisme envers le mouvement anti-industriel

Il y a quelques mois a été publié un pamphlet anonyme dénonçant le « naufrage réactionnaire du mouvement anti-industriel ». Mouvance à laquelle j’estime appartenir (entre autres affiliations) et pamphlet dans lequel un de mes écrits fait référence… Je ne sais pas si c’est une position spécialement confortable ou au contraire inconfortable mais le fait est que je n’ai pas ressenti l’intérêt de m’exprimer à ce sujet. Les camarades du collectif anti-autoritaire et technocritique Ruptures l’ont fait et même si, probablement, nous ne sommes pas parfaitement aligné·es sur tout leur réponse me semble devoir clore le débat en rappelant d’une part que leur militantisme consiste non pas en une recherche de la pureté mais en la construction d’alliances pour lutter à la fois contre le « déferlement technologique » et le « raidissement autoritaire du pouvoir » (deux objets souvent réunis, qu’on pense aux technologies de surveillance) et d’autre part que ni la lutte sociale, contre les inégalités et les oppressions, ni la lutte technocritique pure n’ont pour elles et eux de sens si elles ne sont pas fermement liées l’une à l’autre.

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samedi, 27 avril, 2024

Être de gauche et penser la domination (ou pas)

Le récit des relations sexuelles abusives que le psychanalyste de gauche Gérard Miller a imposées à de jeunes femmes admiratives m’a rappelé les mésaventures subies par des ami·es. Dans mon entourage, je connais pas moins de trois personnes qui à des âges très jeunes (entre 18 et 22 ou 23 ans) ont eu des rapports sexuels avec des personnalités masculines, rapports qui après coup avaient un goût amer. Aucun·e n’a été forcé·e comme les victimes de Miller dans les descriptions qu’en donne Mediapart ici, mais il me semble que la relation qui s’est nouée alors interroge la notion de consentement.

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lundi, 22 avril, 2024

Les hommes doux sont-ils l’avenir du féminisme ?

Même si lafemme est l’avenir de l’homme, c’est moins sur nous que sur les hommes que sont projetées nombre d’attentes concernant le recul espéré du sexisme. Comme si nous ne faisions que notre boulot ingrat de féministes, tandis qu’eux sont des forces telluriques. Hommes proféministes, à la masculinité non hégémonique, non binaires (1), ce sont eux qui vont sauver le monde. Engagements contre le sexisme, participation à la création de savoirs sur le genre et les sexualités, renouvellement des représentations sur ce qu’est un homme et légitimation de formes de masculinités diverses et plus respectueuses des femmes, voilà tout ce que nous leur devons.

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