Un antivalidisme mondain
Par Aude le dimanche, 27 octobre, 2024, 16h44 - Textes - Lien permanent
Je ne compte plus les organisations et les événements qui mettent en avant des valeurs antivalidistes tout en passant sous silence l’existence d’une maladie infectieuse potentiellement handicapante et immédiatement dangereuse pour certaines catégories de personnes. Un syndicat qui affirme l’antivalidisme comme une de ses priorités des prochaines années alors que depuis 2022 le port du masque n’est recommandé ni dans ses locaux ni dans les formations qu’il organise. Des festivals féministes qui se mettent en quatre pour assurer l’accessibilité aux personnes en fauteuil ou qui marchent difficilement, aux personnes sourdes qui se voient proposer sous-titres spécifiques ou traduction simultanée en LSF mais aucune information n’est fournie en amont de l’événement sur ce qui sera fait pour s’assurer que le moins de monde possible rentre chez soi avec le Covid.
Les milieux queer et féministes ont pas mal assuré dans les premières années de la pandémie, je me souviens notamment d’une partie du cortège de la Pride radicale en 2021 où le port du masque était obligatoire et où les personnes immunodéprimées ou qui craignaient d’être infectées dans une foule étaient à l’abri car des mesures étaient prises contre la circulation du virus. En 2024, le sujet n’est plus mentionné dans la com des événements féministes et queer car le Covid a disparu des préoccupations. Qu’importe qu’on s’infecte à tour de bras, que les gens qui ont le nez qui goutte et un reste de fièvre viennent au boulot ou prennent le métro sans masque, qu’aucune précaution même de bon sens soit prise pour éviter une infection massive (1).
On sait pourtant que le Covid reste très dangereux pour les personnes immunodéprimées, qu’il n’est agréable pour personne (2) et que le Covid long est fréquent et peut handicaper des personnes dans la force de l’âge et en très bonne santé. On le sait mais on l’ignore car le fossé demeure entre l’état des savoirs et les connaissances qui circulent (moins bien que le Covid) dans la population générale et chez les soignant·es non concerné·es. Loin d’être une simple grippe, le Covid s’attaque aux systèmes vasculaire et immunitaire qu’il peut dégrader durablement. Et si les auto-tests (les tests PCR sont redevenus peu accessibles) peuvent prouver qu’on a bien le Covid quand ils sont positifs, ils ne prouvent pas grand-chose quand ils sont négatifs. Tout ce qu’il faut savoir est ici.
Il serait de bon sens d’adopter a minima des mesures de protection basiques comme le port du masque en cas de symptômes ou bien dans les lieux fermés qui réunissent un grand nombre de personnes. On peut faire encore mieux, notamment la purification de l’air par des moyens qui sont accessibles grâce à l’activisme de groupes concernés (j’envoie le lien aux personnes que ça intéresse). Mais la mise à disposition de masques FFP2 pour celle·ux qui le souhaitent, seule mesure apparente dans les lieux féministes et queer en 2024, est plutôt un cache-misère en l’absence de demande faites aux autres. Je le perçois même comme : on t’a filé des masques, maintenant fais pas chier à demander plus. La charge de la protection retombe donc sur les personnes fragiles ou sur les personnes qui ont à cœur de ne pas laisser circuler le virus, quand bien même on saurait que c’est hélas insuffisant d’être la seule personne à porter le masque dans un lieu où les autres ne le font pas.
Alors oui, aller à rebours des usages actuels qui veulent qu’on porte le nez à l’air partout et quel que soit son état, c’est compliqué. Le contexte n’est certainement pas favorable à l’auto-défense sanitaire, je le comprends. Mais ce n’est pas en laissant s’éroder la prise de conscience du danger que représente le Covid (prise de conscience qui était présente en 2022, jusqu’à ce que les gouvernements décrètent la fin de la pandémie) qu’on va faire avancer les choses, surtout quand se pense comme une force révolutionnaire. On se dit qu’on est les moteurs du changement, qu’on donne des exemples, qu’on fait avancer diverses causes comme la possibilité pour les personnes touchées par des handicaps de participer sans obstacles à la vie sociale, et qu’on le fait contre les autorités, contre le courant dominant, contre les idées majoritaires dans la société… mais quand il est question de Covid ces engagements disparaissent pour le plaisir de mettre le nez à l’air. C’est un problème.
Je ne sais pas comment des personnes qui ont bouleversé leur vie sociale pour ne pas être infectées par le Covid peuvent lire les déclarations diverses concernant l’antivalidisme, les efforts pour s’assurer l’inclusivité de l’événement, accompagnés d’un silence assourdissant concernant la circulation d’une maladie qui pose des problèmes de santé publique graves et qui met en danger leur vie. Je ne sais pas. Moi qui laisse tomber le masque sous la pression de l’incompréhension de mes collègues et camarades, qui ne le garde que quand le coût social est ridiculement bas au regard des avantages sanitaires qu’il apporte, je trouve les postures antivalidistes assez énervantes. Je ne sais pas ce que j’en penserais si j’étais tout à fait exclue de ces événements.
(1) J’exagère un peu car il est des personnes qui restent chez elles ou portent un masque quand elles ont des symptômes grippaux, mais c’est toujours de leur seule initiative. Il est plus courant que des personnes enrhumées imposent leur présence sans aucune précaution au motif que « ce n’est pas le Covid » (une assurance dont il est permis de douter). (2) D’autant plus qu’il entraîne une perte de revenu sèche de trois jours de revenu en raison des délais de carence imposés pour les arrêts maladie. Délais qui invitent à aller bosser malade et à contaminer tout son monde. L’exemple même de bêtise d’un « camp de la raison » obnubilé, dans sa lutte contre les droits sociaux, par l’exploitation à très court terme de la force de travail.
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