Le RN est-il un nouveau centre ?

Il y a quelques semaines j’écrivais ici qu’Emmanuel Macron, malgré la défaite subie aux législatives de juillet, gardait la main non seulement en tant que président d’un régime aux traits monarchiques mais aussi grâce à la position du centre dans l’échiquier politique, ce qui lui permettait de choisir ses alliances. Or il a fait le choix constant depuis 2017 de gouverner très à droite et de s’appuyer sur l’extrême droite (en validant ses éléments de langage et ses paniques morales, en sollicitant les votes du RN comme lors de la loi immigration) plutôt que de déboussoler la gauche en pratiquant un « en même temps » plus consistant. Il aurait pu s’appuyer sur les thématiques appréciées par la bourgeoisie de gauche molle, faire passer quelques lois « sociétales », être le premier « président féministe » en s’épargnant de s’inquiéter des excès de #MeToo (quelques jours à peine après le début de la vague) ou en ne jouant pas au père de famille hétéro qu’il n’est pas en tapotant des joues de violeurs tout en leur demandant de s’y prendre mieux la prochaine fois.

Mais il ne l’a pas fait. Que ce soit un mauvais calcul ou une sympathie sincère pour les idées d’extrême droite plus compatibles avec le service du capital (pourtant Hollande avait montré la capacité du PS à servir son ennemi la finance), le voilà qui finit paillacron à RN. Mais désormais, contrairement aux analyses au premier degré qui voyaient en Macron un faiseur de gouvernements, c’est en fait le RN qui est au centre du jeu, qui choisit ses alliances, adoube Michel Barnier et propose à la gauche de revenir sur la réforme des retraites.

Voilà qui est assez consistant avec ce que le philosophe Michel Feher a montré concernant le RN. Le parti d’extrême droite fait son beurre de la défense inconditionnelle de « ceux qui bossent » contre ceux d’en haut qui profitent de leur rente et contre ceux d’en bas qui profitent des mécanismes de solidarité (pas forcément des personnes racisées ou renvoyées à une identité musulmane puisque le mépris contre les « cas soc’ » blanc·hes est de plus en plus évident). Ce récit producériste lui permet de faire alliance quand ça lui chante avec la gauche ou avec la droite sans trop d’incohérence, en alternant un peu ses cibles. Qu’importe qu’il fasse plus souvent allégeance aux détenteurs du capital et qu’importe que les populations stigmatisées, tout en bas de l’échelle, soient celles qui triment le plus (1). Mettre un coup à droite et un coup à gauche aide à soutenir un autre mensonge, celui d’après lequel l’extrême droite constituerait une véritable alternance alors qu’elle est l’arbitre du jeu politique actuel et qu’aucune loi ne se votera sans elle.

Le journal britannique The Guardian décrivait d’une manière très précise la situation suédoise, qui est aussi désormais celle de la France, en parlant d’une « coalition de centre-droit qui dépend du soutien de l’extrême droite ». La coalition de centre-droit française dépend elle aussi de cette alliance que tous ses acteurs ont à cœur de cacher.

Puisque le RN souhaite faire tomber la réforme des retraites avec le soutien de la gauche, pour brouiller un peu les pistes et pratiquer son « en même temps » à elle, faut-il entrer dans son jeu ou bien le refuser ? Il n’y a pas d’autre jeu, refuser serait de l’ordre du déni. La gauche peut pleurnicher longtemps sur sa « victoire » volée (avec 9 millions de votes sur 32 au premier tour), cela ne servirait qu’à se priver de changer la vie des gens et à se rendre impopulaire auprès des 75 % de Français·es qui s’opposaient à la réforme il y a dix-huit mois (2). La situation ne sera pas plus favorable avec la tête dans le sable. La seule chose à faire désormais, c’est de marteler ce que le centre, la droite et l’extrême droite vont s’acharner à nier, que le RN distribue les cartes et sera au centre de la vie politique, co-responsable de tout ce qui en sort ces prochains mois. Le mensonge d’un centre-droit maintenant son front républicain et d’une extrême droite dans l’opposition s’impose pourtant. Il nous appartient de dénoncer sans relâche.

(1) Ce que les démographes et les économistes nous apprennent, c’est que chaque vague migratoire fait s’élever économiquement les classes déjà installées dans le pays en assurant à sa place les travaux les plus difficiles et les plus mal rémunérés, jusqu’à s’élever elle-même quand arrive la vague suivante.
(2) C’est un avis partial, partiel et susceptible de changer mais pour l’instant je pense qu’aussi déplaisant cela soit-il, la gauche n’a pas le choix entre accepter cette proposition très maligne et ce qui ressemblerait à une posture.

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