Une discrète arrivée au pouvoir

Dans toute l’Europe, pays après pays, l’extrême droite arrive au pouvoir. C’est rarement après un raz-de-marée électoral mais invitée dans des coalitions par des partis de droite. Il arrive que les élections suivantes la balayent, il arrive aussi que son influence ne prenne pas la forme d’une participation au gouvernement mais de simples accords programmatiques (je notais ici le cas de la Suède où l’extrême droite soutient le gouvernement sans y participer).

Nous y sommes

Que les accords programmatiques entre le camp macroniste et le RN nous soient dévoilés ou non (les rencontres entre les deux restent discrètes), une digue a bel et bien cédé en France et le gouvernement s’apprête à gouverner dans le cadre d’une alliance avec l’extrême droite.

On ne voit pas bien en effet la coalition de droite, à laquelle manque une cinquantaine de sièges pour emporter une majorité et imposer le Premier ministre choisi par Macron, arriver à débaucher autant de député·es NFP, que ce soit en leur promettant la non-fermeture d’une ligne de train ou en leur faisant un chantage à la « c’est ça ou on gouverne avec le RN ». Le profil très à droite du Premier ministre choisi pour cela l’annonce, c’est bel et bien dans les rangs du RN que le gouvernement va trouver l’appoint pour sa majorité. Et ce ne sera pas une si franche rupture avec la période précédente qui vit des ministres macronistes reprendre au RN des éléments de langage et des lambeaux de son programme et le RN voter régulièrement avec le gouvernement.

Nous attendions probablement le jour où le RN l’emporterait dans les urnes, lors d’une élection présidentielle, mais c’est arrivé à la suite d’élections intermédiaires et par la volonté du seul Macron de continuer à imposer par tous les moyens une politique économique qui prive l’État de ses ressources et les gens « d’en bas » (1) du fruit de leur travail, et de cacher cela sous des dénonciations de boucs émissaires et une épaisse couche d’intolérance républicaine. Le RN porte un discours de rupture morale mais une politique économique en phase avec la droite au pouvoir. Quand le centre et la droite n’ont plus les moyens de gouverner sans faire alliance avec d’autres, l’extrême droite s’impose donc aux dépens de la gauche, qui elle assurait vouloir au moins modérer cette politique néolibérale.

Une victoire volée ?

Il faut avouer que la gauche a été à la hauteur de l’événement : un programme commun établi en deux jours, des candidatures unitaires et très peu de cavaliers seuls, une défection systématique en cas de triangulaire quand ses candidat·es étaient mal placé·es, le choix d’une Première ministre de compromis et même la promesse de Mélenchon que LFI ne serait pas dans le gouvernement. La gauche a fait le job (on comptait moins sur elle pour accomplir ses promesses de capitalisme modéré mais qu’importe). Bravo.

Mais avait-elle gagné les élections ? Arriver en tête de nombre de siège dans une Assemblée divisée en deux assure une victoire électorale. Quand l’Assemblée est divisée en trois, les choses sont moins simples car une alliance s’impose pour aller chercher une majorité. 180, ce n’est pas la moitié de 577. C’est celui qui arrive à créer une alliance qui emportera l’Assemblée. Ni le RN gagnant en nombre de votes ni le NFP gagnant en nombre de sièges mais celui qui est au milieu et choisit ses alliances.

Celui du milieu a choisi, il fera alliance avec l’extrême droite. Macron reste assis sur son seul avantage : celui d’être au centre, de pouvoir renvoyer tous les autres à leur position « extrême » (y compris le PS d’Olivier Faure, on croit rêver mais avec une bonne com ça passe (2)) et avoir le choix de ses alliances. Être au milieu, c’est son seul argument de vente et il l’use jusqu’à la corde.

Un nouveau front républicain

Si on regarde autrement néanmoins, l’Assemblée n’est pas divisée en trois mais en deux. Lors de la panique des élections précipitées de l’été, la gauche a choisi de faire vivre un front républicain contre le RN et elle a été suivie bon gré mal gré par une partie du centre. Gabriel Attal et d’autres ont appelé les candidat·es du centre mal placé·es à céder la place pour assurer une victoire contre le RN. Aujourd’hui, on peut considérer que l’Assemblée est divisée en deux fronts : l’un qui souhaite gouverner avec l’extrême droite, l’autre qui le refuse. L’un ou l’autre obtiendra une majorité pour adouber ou désavouer Michel Barnier. Lequel ? Mystère.

Mais je ne crois pas qu’on peut faire vivre un front républicain, celui qui refuse que le RN soit de près ou de loin dans le gouvernement, si on reste si confus dans nos constats et nos revendications. Dans la manif d’hier (samedi 7 septembre), les slogans étaient en ordre dispersé. Beaucoup de colère contre Macron, évidemment, mais rien de très clair n’en ressortait.

Macron n’a pas fait de coup de force, la Ve République permet au président français de ne pas choisir un·e Premier·e ministre dans les rangs de la coalition arrivée en tête (3). Cette disposition n’était pas utilisée, maintenant elle l’est, il est grand temps de changer de Constitution. Mais avant cela, il faut éclaircir la situation.

Les député·es centristes doivent être sommé·es mieux que ça de choisir leur camp : une alliance avec le RN ou ce front républicain dont ils et elles n’ont cessé de se réclamer ? Beaucoup ont été élu·es avec les voix de la gauche, à nous de les interpeler. Souhaitent-ils et elles vraiment être les godillots d’une alliance entre droite et extrême droite ?

NB : Comparaison n’est pas raison, comme l’a souvent dit Johann Chapoutot, historien spécialiste du régime nazi, mais la dissolutionite aiguë du président Hindenburg rappelle celle de Macron. À lire dans le Monde diplomatique de juillet.

(1) Lors de son premier discours suite à sa nomination, le vieux pot dans lequel Macron a choisi de faire sa soupe utilise le terme « d’en bas » pour qualifier ses futur·es administré·es, les gens qui sont obligé·es d’aller bosser, d’obéir au gouvernement. Ce qualificatif maladroit a le bon goût de remettre à la mode la lutte des classes et de rappeler que nous ne sommes pas des classes moyennes choyées par le gouvernement mais bien un petit peuple très vulnérable à ses politiques qui détruisent nos richesses collectives et nos milieux de vie pour le bénéfice des plus riches et des plus grosses entreprises.
(2) Bien que le Conseil d’État ait qualifié le PS, les Écologistes et LFI de gauche et non d’extrême gauche, la panique continue qui fait croire à la bourgeoisie que le NFP va envoyer contre elle les chars soviétiques et nationaliser son patrimoine. Et ça marche, mon oncle lecteur de Libé n’en démord pas.
(3) C’est une particularité de la Ve République, dont la Constitution fut élaborée par un autocrate et qui servit de modèle à Vladimir Poutine. La politiste et prof de droit public Eugénie Mérieau l’explique dans cette interview.

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