Confinement : refaire le match

Il y a bientôt cinq ans, le 17 mars, nous étions confiné·es, coincé·es dans nos maisons pour les plus chanceux et chanceuses qui ont des maisons et n’ont pas été tenu·es de sortir faire marcher l’économie en s’entassant dans des métros aussi rares que bondés. Certain·es ont apprécié de rester en famille ou de faire leur jardin, d’autres se sont fait chier ou ont vécu huit semaines infernales, notamment celles et ceux étaient logé·es dans des appartement trop petits ou sans extérieur, étaient en prison ou en CRA. Une petite musique commence à s’imposer à propos de la période : franchement, on a été cons de se laisser confiner. Et de refaire le match en oubliant des petits détails. Le système hospitalier « risquait » la saturation ? Non, il était bien saturé, des tris ont été effectués entre patient·es et des personnes sont mortes chez elles sans soins. Le Monde diplomatique sort une carte des pires pays où passer mars-mai 2020 ? Aucun lien de cause à effet n’est esquissé entre la surmortalité importante et la dureté du confinement, il semble que ce soient simplement deux trucs pénibles alors que le deuxième a dans certains pays été une conséquence du premier. Le confinement ressemble à les entendre à un exercice parfaitement arbitraire de manipulation des foules.

On a été cons de se laisser confiner ? Parlez pour vous et parlez au présent.

J’ai relu les billets que j’écrivais à cette période et je ne regrette pas grand-chose (à part d’avoir cru jusqu’à ce que l’info soit disponible dans le grand public en juin-juillet que le Covid pouvait se transmettre par les surfaces souillées, ce qui fait encore partie du kit de mauvaise science, cinq ans après). J’ai accepté de me confiner parce que le meilleur moyen de lutter contre les maladies infectieuses est la limitation des contacts pendant une période réduite et que même dans les sociétés industrielles ça reste le meilleur moyen de se protéger d’une maladie émergente, dont on ignore les modes de transmission et comment la soigner.

J’ai accepté de me confiner par civisme (osons le mot, grand absent des analyses a posteriori) mais je n’ai pas accepté de me taire et je n’étais pas seule. Toutes les semaines ou presque, j’ai interviewé pour une émission de radio des personnes qui apportaient un éclairage particulier sur cette époque : Isabelle Attard est revenue sur l’état d’urgence sanitaire au regard de l’état d’urgence anti-terroriste qu’elle avait déjà dénoncé ; Mickaël Correia, qui documentait les conditions de travail des premier·es de corvée, dénonçait les aménagements du code du travail (comme la disparition temporaire de la durée légale, si si) ; Mathilde Blézat a décrit les conditions particulières imposées aux femmes et aux enfants (à une époque où des personnes avaient pris des prunes pour l’achat de protections périodiques car elles n’étaient pas jugées de première nécessité) ; Gwen Fauchois a montré les ressources déployées par les habitant·es pour faire vivre la solidarité ; Lucile Dumont nous a parlé de la grève des loyers ; Jules Falquet a donné une idée de la manière dont l’Amérique latine subissait la crise sanitaire et les inégalités qu’elle accroissait encore… Et j’en oublie peut-être, pardon si c’est le cas.

Entre ces dernièr·es et les camarades de la radio, personne à ma connaissance n’a daubé sur le fait d’être confiné·e et ce n’était pas une perte de l’esprit critique. La période était dure, si dure que des mesures d’exception ont été plus tard abandonnées pour revenir au droit commun. C’est dire ! Car d’habitude chaque choc permet de serrer un peu plus la vis aux peuples. Entre temps, accepter le confinement dans son principe ne nous a pas empêché·es de dénoncer les décisions politiques prises au nom de l’état d’urgence sanitaire, entre l’arbitraire de mesures pas justifiées sur le plan sanitaire et l’injustice qu’elles représentaient pour les plus pauvres et les personnes racisées particulièrement scrutées et contrôlées. Même si nous l’avons fait dans une posture encore plus impuissante que d’habitude. On peut aujourd’hui rigoler des bobos qui mettaient des messages énervés à leur fenêtre ou qui applaudissaient à 20 h pour les plus iréniques mais ce n’est pas à ça que s’est réduit l’activisme des personnes qui dégueulent cette société et n’ont pas découvert en 2020 qu’elles étaient gouvernées de manière cynique et violente.

Les pimpins qui au contraire sont tombés de haut en découvrant que l’État n’était pas leur ami et sont devenus les plus fiers défenseurs des libertés civiles (après un petit cafouillage au départ comme le fasciste Florian Philippot qui au début ne pensait qu’à dénoncer les joggers), où sont-ils aujourd’hui ? La surveillance algorithmique, mise en œuvre à l’occasion des Jeux olympiques, a vu il y a peu sa période de « test » étendue de quelques années et même si le test porte surtout sur notre capacité à accepter une surveillance accrue et des dispositifs policiers partout, peu de voix ont pris la peine de le dénoncer. Ceux qui font les matamores aujourd’hui (on a été cons, sous-entendu on ne l’est plus, maintenant on est ingouvernables !), où sont-ils ?

S’il y a aujourd’hui des aspirations à la rebellitude, je suggère qu’elles se portent sur la défense des libertés civiles en 2025 plutôt que sur celles de 2020. Car il y a du boulot.

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