Pourquoi je n’ai pas voté hier

signal-2024-06-10-075109_002.jpeg, juin 2024Depuis quelques années je ressens une contrainte à aller voter, bien loin de mes convictions selon lesquelles l’élection n’est pas une procédure démocratique, ou plutôt qu’elle a des caractères démocratiques bien ténus (1). L’urgence, la nécessité de faire barrage au fascisme s’impose à moi – serait-ce en votant pour celui qui justement gouverne en entretenant la vitalité de son opposition d’extrême droite et en validant des points essentiels de son discours. Toujours il faut aller nettoyer la merde avec son petit bulletin crotté.

Cette fois ça n’a pas suffit à me convaincre. La principale chose qui m’en a empêchée est l’hésitation entre deux offres électorales. D’un côté les Verts, qui sont loin de démériter au Parlement européen, enceinte dans laquelle ils et elles accomplissent un travail technique ingrat au service de la transition écologique. Celle-ci se présente pourtant souvent sous la forme d’un capitalisme rénové, fondé sur des technologies dont on sait bien, quand on prend la peine de l’étudier (2), que leur impact écologique est plus élevé que celui du vieux monde qu’elles sont censées remplacer et qu’elles finissent par verrouiller notre avenir. Le manque de vision globale de la petite bourgeoisie verte bien pensante lui fait avaler bien des couleuvres qui cohabitent avec nombre de poussées généreuses sur des sujets divers qui flattent la petite bourgeoise écolo féministe et attentive aux droits humains que je suis. De l’autre côté, la France insoumise présente une critique bien plus sûre de la situation actuelle, un capitalisme avide qui ne s’embarrasse plus de compromis social-démocratique et qui se rue sur les dernières miettes, exploitant avec plus de violence que jamais le milieu naturel et le travail humain, avec la complicité de serviteurs zélés qui vont du Parti socialiste au Rassemblement national – lire à ce sujet la profession de foi néolibérale de Marine Le Pen, qui rassure le capital et n’inquiète en aucune manière (ça devrait) ses électeurs et électrices tout occupé·es avec quelques boucs émissaires en guise de hochet. Hélas, même si le programme de LFI me séduit en raison de l’articulation qui y est faite entre écologie et social, depuis des années que j’ai des camarades dans ce mouvement il m’évoque bien une secte et la main de fer de sa gouvernance n’a pas de quoi susciter mon enthousiasme électoral.

Mes valeurs démocratiques et la flemme on fait le reste. J’ai réglé la question en ne votant ni pour les un·es ni pour les autres, tout occupé·es qu’ils et elles étaient à se compter dans la perspective de futures négociations entre partis de gauche. Les élections européennes sont les seules désormais qui se déroulent à la proportionnelle intégrale, sans prime majoritaire. Les électeurs et électrices oublient presque, le temps d’un dimanche, la logique délétère du vote utile (voter pour le moindre mal, donc pour autre chose que ce qu’on souhaite voir advenir, est d’une certaine manière un geste immoral, dans lequel il est impossible de reconnaître l’impératif kantien (3)) pour exprimer leurs préférences. Presque. Compter ces préférences exprimées presque sans calcul, c’est la base pour ensuite présenter une présélection de candidat·tes d’union aux autres élections à désormais un tour qui structurent la vie politique. L’offre électorale faite au peuple de gauche n’est pas très folichonne.

Ce matin je me réveille donc avec la gueule de bois. Les Verts ont perdu la plupart de leurs technicien·nes dévoué·es et ont failli être privé·es de la simple possibilité de nous avertir de ce qui se joue au niveau européen. 31 % de bulletins exprimé·es ont préféré au macronisme sa caricature (à moins qu’il ne s’agisse du contraire, on ne sait plus qui singe qui, le populisme de droite pour classes popu ou le populisme de droite pour membres du Rotary Club). Le pompier-pyromane profite de l’occasion pour porter le coup de grâce à la gauche, mal en point, et adouber la seule opposition qui ne l’inquiète pas. Le capital sera bien servi dans les deux cas, c’est tout ce qui compte.

Partis de gauche, enfermez-vous quelque part et revenez dans quelques jours (4) avec des candidatures communes. C’est votre seule chance de nous faire un peu, rien qu’un peu, rêver. Je ne prendrai pas la peine sans ça d’aller contre mes convictions démocratiques, lesquelles m’enjoignent plutôt à aller à la pêche qu’à participer au cirque électoral.

(1) L’élection est une procédure qui aboutit à la surreprésentation de certains groupes sociaux. Sans mandat impératif, c’est un abandon de souveraineté car rien ne garantit la cohérence entre préférences programmatiques du plus grand nombre et politiques mises en œuvre. Les contraintes qui pèsent sur le vote, particulièrement depuis que les élections majoritaires se jouent à un tour, sous la menace d’un parti très clivant, sont telles qu’en fin de compte un président élu avec d’autres voix que les siennes peut imposer dans l’année de son élection une réforme importante refusée par les trois quarts de la population sans devoir même la faire valider par le Parlement. On en est là.
(2) Lire Greenwashing. Manuel pour dépolluer le débat public (Seuil, 2022) et le dernier numéro de la revue Écologie & politique consacré à l’extractivisme vert.
(3) On peut aussi considérer que le vote utile opère les compromis que les formations politiques n’ont pas su faire. Mais avec de telles contraintes qu’il en perd son sens.
(4) Le dépôt des candidatures ayant lieu ce vendredi, la manigance présidentielle impose des délais compliqués pour qui n'était pas initié.

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