L’apocalypse de la Ve République
Par Aude le samedi, 14 décembre, 2024, 17h01 - Textes - Lien permanent
En 2018, Emmanuel Macron affirmait sans rire que 1958, la date à laquelle était mise en place la Ve République suite à ce qu’on peut considérer comme un coup d’État, marquait « la fin de la quête du bon gouvernement ». L’expression renvoie à une question qui taraude les meilleurs esprit depuis au moins vingt-cinq siècles mais hop, le général de Gaulle a trouvé la solution, vous pouvez rentrer chez vous.
Le semi-dictateur de Colombey et le paillasson à Le Pen, que j’ose ne pas compter parmi les grands philosophes qui pensent le pouvoir depuis Platon, ont en commun que la Ve les arrange bien. La différence entre les deux tient peut-être au fait que si le premier avait réussi à cacher les failles de sa Constitution, le second les révèle tout à fait.
Ainsi depuis 2017 se succèdent les révélations (c’est le sens du mot grec apokalypsis ou άποκάλυψις) sur les caractères si peu démocratiques du régime sous lequel nous vivons. Comme tant de personnes qui n’ont de connaissance que basique des institutions de la République (mais aussi comme celles qui les connaissent mieux mais n’imaginaient pas que pourrait être exploitée chaque possibilité de gouvernement monarchique qu’elle offre), je vais ainsi de surprise en « non, il ne va pas oser ». Mais si, il ose, et c’est à ça qu’on le reconnaît.
Bénéficiant en 2017 de l’effet « on n’a pas encore essayé », Macron, ministre pendant deux ans et nouveau venu dans l’arène politico-médiatique, conquiert le cœur de la bourgeoisie, des salles des profs aux conseils d’administration du CAC40. Comme l’élection de chaque député reproduit le cirque de l’élection présidentielle (1), celui-ci bénéficie d’une majorité plus que confortable de 351 sièges, pour la plupart tenus par des députés godillot sans aucune expérience, qui ont récemment rejoint un mouvement aux initiales de son fondateur. Malgré des manifestations d’une ampleur rare contre ses réformes et sa manière de gouverner (Gilets jaunes en 2018-19, première réforme des retraites en 2019, réforme de l’enseignement supérieur en 2020), le seul truc qui arrête Macron, c’est une crise sanitaire.
En 2022, son principal argument de vente reste le fait d’être au milieu de l’espace politique et de pouvoir réunir le plus grand nombre de voix contre l’extrême droite (la gauche vote à droite contre l’extrême droite, même si la droite ne lui rend pas la pareille (2)). Mais localement, l’argument joue moins et la crainte d’un député RN sur 577 ne semble pas une menace si forte qu’il faille voter dès le premier tour contre ses convictions. Macron perd sa majorité absolue (et le RN gagne 90 député·es). Avec 248 sièges, il ne manque à la minorité présidentielle que 40 voix et la droite en a 71 à lui offrir mais, la négociation n’étant pas son fort, le président se trouve régulièrement dans l’incapacité de réunir une majorité. Sa Première ministre Élisabeth Borne utilise la possibilité de faire passer un texte à l’Assemblée sans vote pas moins de vingt-trois fois, soit plus d’une fois par mois.
Michel Rocard avait fait pire alors qu’il bénéficiait d’une minorité plus confortable (seulement onze voix à aller chercher pour construire une majorité et un réservoir dans le PCF) mais sur trois ans et alors que ce mode de gouvernement n’a pas été encadré comme il l’est aujourd’hui (il ne peut plus être utilisé qu’une fois par session ou pour des lois de finances du budget général ou de la Sécurité sociale). Pouvoir gouverner par 49.3 plutôt que d’aller chercher une majorité, c’est un encouragement à imposer des politiques plutôt qu’à les négocier avec d’autres partis.
En 2024, les plus fervents macronistes saluent le geste audacieux de leur chef : dissoudre l’Assemblée pour… la reconquérir alors qu’il est largement impopulaire ? pour rebooster son opposition préférée pour qu’elle fasse encore plus peur et apparaître comme un indispensable barrage ? Personne ne saura si le geste était seulement motivé ou si c’était le résultat d’une mauvaise humeur mal gérée mais Macron perd toute possibilité de réunir une majorité, même avec les voix de l’autre droite.
C’est l’occasion d’une nouvelle révélation : la Ve autorise le président à nommer qui il souhaite au poste de Premier ministre. Aucune obligation de le ou la choisir dans la coalition arrivée en tête, comme c’est le cas dans d’autres pays européens. L’opposition de gauche n’est même pas sommée de montrer sa capacité à réunir une majorité, elle est d’emblée écartée par le seul fait du prince. Alors que l’élection devait se tenir en catastrophe vingt jours après son annonce (je ne sais pas si la Constitution aurait permis des délais encore plus courts et abusifs), le Premier ministre est choisi plus de huit semaines après les résultats et n’a pas besoin de recevoir un vote de confiance de l’Assemblée pour pouvoir gouverner (3). Étrange disposition, qui permet de nommer n’importe qui, par exemple le membre d’un parti qui a 53 député·es. Il faut donc attendre que celui-ci impose une loi par 49.3 pour avoir une chance de le dégager. Et encore, c’est sous les accusations de plonger la France dans le chaos. Comme le dit ce commentateur de la vie politique depuis l’Assemblée à propos des cris d’orfraie des opposant·es à la motion de censure, « si elles ne résistent pas à une censure tous les 60 ans, à l’expression de la démocratie, nos institutions ne sont ni solides ni démocratiques ».
Dans un régime représentatif à peu près correctement constitué, le ou la Premier·e ministre serait nommé·e dans les rangs de la coalition arrivée en tête, charge à elle de réunir une majorité et si l’Assemblée la rejette c’est la coalition arrivée après qui essaie jusqu’à la dernière, jusqu’à ce qu’émerge de l’Assemblée un projet d’alliance plus large avec des objectifs politiques minimalistes. Mais non, pas la Ve, qui est entièrement dévouée à la personne du chef, ce qu’on appelle une monarchie. Une copine disait qu’il y a tellement peu de garde-fous au pouvoir du président dans la Ve que rien ne garantissait que Macron ne se nommât pas lui-même comme Premier ministre. Une forme de régime archaïque et qui donne encore plus de champ à l’exercice du pouvoir individuel ou d’une faction.
Ces traits sont pourtant bien connus mais il semble que les révélations de ses failles ne soient pas prêtes de s’arrêter. Pour l’instant l’affaire ressemble à une farce tragique mais on peut aussi commencer à s’en inquiéter, puisque la Ve République réserve encore d’autres surprises qu’aucun président sensé n’a jamais osé appliquer.
(1) Les élections législatives se tiennent dans la foulée de l’élection présidentielle et ont pour objectif, dit-on, de donner une majorité au vainqueur (pas forcément, ce pourrait être d’élire une Assemblée mais la classe politique étant plutôt autoritaire, elle est allergique à la cohabitation, c’est ainsi qu’on vit en 2022 Macron et son opposante préférée refuser de faire seulement campagne pour les législatives). De plus, dans chaque circonscription c’est le ou la candidate arrivée en tête qui gagne la course. Sans un peu de diversité sociale et donc électorale d’une circonscription à l’autre, c’est en théorie les 577 sièges qui seraient donc pourvus à la couleur du président.
(2) Et on va arrêter de pleurnicher sur ça car la gauche ne voterait pas pour la droite sous la menace d’une victoire de l’extrême gauche (NPA ou Lutte ouvrière). Certes l’extrême gauche porte des valeurs de justice sociale mais elle ne prise pas spécialement les régimes libéraux représentatifs et il est à ce titre compréhensible que des libéraux la craignent comme nous craignons le fascisme.
(3) Il est également possible de faire un vote de censure spontanée ou offensive.