L’Europe à portée de train

Il y a quelques semaines, une campagne publicitaire battait son plein dans les couloirs de métro parisien (et peut-être ailleurs). La grande vitesse mettait l’Europe à portée de train de Paris. L’Allemagne, la Suisse, l’Espagne à portée de train ? Mouais. À condition de confondre l’Allemagne avec un pays situé entre Cologne et la France alors qu’il s’étend, dit-on, jusqu’à la frontière polonaise. À condition de confondre l’Espagne avec la Catalogne. À condition de rester en-deçà des mille bornes.

Car tel est le rayon d’action de la grande vitesse. À mille bornes en six heures de train alors qu’elles peuvent se parcourir en une heure et demie d’avion, on abuse de la patience des voyageurs qui sont prêts à payer des sommes extravagantes pour leur billet. À mesure que la facture pour des kilomètres de lignes dédiées s’accroît (1), le public concerné diminue. Cherchez l’erreur. La grande vitesse fonctionne en-deçà des milles bornes (c’est une évaluation généreuse), à densité parfaite : ni trop faible pour des raisons évidentes, ni trop forte car s’arrêter toutes les vingt minutes n’a pas de sens, excepté en gare de Libourne (2). Rien n’est prié de pousser entre une gare et la prochaine, et le moyen de transport sobre que nous connaissions sous le nom de train devient un débouché parfait pour les centrales nucléaires françaises.

Parfait ? Non, le TGV ne roule pas de nuit, en heures creuses, quand la conso faiblit mais que la production du parc atomique reste égale… Imaginez un trajet TGV de nuit. Lille Europe à minuit, arrivée à Bordeaux St Jean à 5h30. L’adepte que je suis des trains de nuit, réveillée à 5h20 il y a quelques mois à l’issue de son trajet le plus luxueux, peste encore… Le trajet était bien trop court ! La nuit, la perception du temps change et un voyage de dix-douze heures devient très confortable temporellement. Et quand la position allongée est garantie, dans des conditions thermiques et de sécurité correctes, le train est la plus belle façon de voyager. On monte dans un wagon à Paris le soir pour se réveiller le lendemain matin à Toulouse, Venise, Berlin sans avoir vu le temps passer. (Ce qui n’est pas non plus toujours un souci : le train offre souvent de meilleures conditions pour la lecture que la vie quotidienne.)

Ce mode de transport quasi-magique est sans cesse menacé de disparition. Les destinations se font plus rares, à l’échelle domestique comme internationale. Les portes de l’Europe se ferment. Budapest ou Istanbul évoquent des voyages ferroviaires qui ont disparu. Mais heureusement, on peut aller à Berne en TGV. Grande nouvelle.

(1) 17 millions le kilomètre en moyenne en 2007, soit trois fois plus que le coût d’une autoroute 2x2 voies.

(2) Sous-préfecture de la Gironde, à vingt minutes de Bordeaux, où s’arrêtent encore les TGV.

Des nouvelles des trains de nuits vers l'Italie (et donc vers les Balkans et l'Europe du sud-est)

L'impeccable bilan de Kris De Decker sur la faillite européenne de la grande vitesse

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