« Les cyclistes ont tous les droits »

Ça fait longtemps que j'ai envie de parler de mon expérience de cycliste et de violence routière. Parce que je fais du vélo et que côtoyer tous les jours 10 % d'automobilistes qui me mettent en danger par négligence ou malveillance fait mal… J'ai aussi été fauchée délibérément par un automobiliste énervé, devant sept témoins, sans que le propriétaire dûment identifié de la voiture soit mis en cause (affaire à suivre). Cette violence et d'autres, on les subit tous les jours. Vous les subissez tous les jours si vous habitez en ville. Peut-être que c'est à pied, en voiture ou en scooter. Peut-être que vous avez décidé que c'est un type d'usagèr·es qui en est coupable (« les vélos », « les bagnoles »).

Dans mon expérience, il y a 10 % de personnes qui se comportent dans l'espace public de manière déplaisante ou franchement dangereuse : un cycliste qui aboie sur une copine avec ses deux très petites filles sur un passage piéton où elles ont la priorité, un automobiliste à qui je signale qu'il me gêne en s'arrêtant sur une piste cyclable en site propre et qui me gueule que je suis moche (!), des piéton·nes dont le feu est rouge et qui veulent bien laisser la priorité aux bagnoles mais pas aux cyclistes et me forcent à m'arrêter alors que mon feu est vert… On en a plein, de ces histoires. (Et à côté de ça, des « Pardon, madame », des gestes prévenants, des sourires. Et des fois où soi-même on allait un peu trop vite, on n'a pas fait assez attention, voire on avait la tête carrément ailleurs et on a dû demander pardon.)

D'habitude, en ville, tout ce monde profite de l'anonymat en cours pour prendre des libertés avec un texte qui régule pourtant pas mal nos agissements : le code de la route. Mais quand des véhicules qui m'ont mise en danger portent le nom d'une société, j'en profite et je rappelle quelques règles. Il y a quelques jours, j'ai donc écrit à une entreprise de cars pour signaler qu'un conducteur m'avait frôlée en me doublant et que, s'arrêtant parce que j'avais levé les bras pour lui montrer mon désaccord, il m'avait reproché de ne pas être sur la bande cyclable. En agglomération, il est interdit de passer à moins d'un mètre d'un autre véhicule et particulièrement d'un deux-roues parce que c'est impressionnant et dangereux, d'autant plus quand c'est un car qui double. D'autre part, aucun·e cycliste n'est tenu·e de rouler sur une piste cyclable s'il y en a une en parallèle. (Celle-ci était d'ailleurs fermée pour cause de travaux.)

La réponse que j'ai eue, c'est que : « D’après votre mail, les cyclistes ont donc tous les droits sur la chaussée et le reste des usagers de la route doit donc se plier à leurs désirs. C’est bien ce que j’ai cru comprendre les rares fois où je vais à Paris en automobile. » Passons sur le fait que ces cyclistes, les indélicat·es et les autres, sont des usagèr·es de la route vulnérables qui peuvent à tout moment être fauché·es par un poids lourd. Passons sur le fait qu'ils et elles sont d'autant plus gravement mis·es en danger par des conducteurs qui ne respectent pas le code. Passons sur le fait qu'avoir dans la boîte des chauffeurs qui ne respectent pas des règles basiques de sécurité peut porter tort à son employeur à cause de la paperasse qu'entraîne du cerveau de cycliste répandu sur la chaussée. Passons sur le fait qu'une petite formation aux spécificités de la conduite dans des espaces partagés par des piéton·nes et des cyclistes n'est pas un luxe quand on envoie ses cars en centre-ville (c'est ce que fait la RATP). Passons sur tout ça, comme si n'existaient ni éthique de base ni intérêt bien compris et revenons sur la plainte de cette dame : les cyclistes ont tous les droits.

Le code de la route n'est ni bien connu, ni très respecté... et en plus il évolue. Par exemple, quand j'ai passé mon permis B il n'y avait pas de sas à vélos devant les feux, pas de doubles sens cyclables, pas de tourne-à-droite. Depuis, les études ont montré que le vélo était un mode de transport qui faisait du bien à tout le monde, en particulier dans les villes dont les transports en commun sont saturés ou près de l'être. Il n'émet aucune pollution, ne nécessite aucune énergie à l'usage et peu d'aménagements et rend la ville plus urbaine en mordant sur le monopole des automobilistes sur la chaussée, en faisant baisser leur vitesse et en les forçant à regarder un peu mieux autour d'eux.

Beaucoup de monde s'est mis en quatre pour tenter de rendre ce mode de déplacement un peu plus sûr ou pratique qu'il ne l'est. Les nouveaux aménagements consistent à mettre les cyclistes devant les voitures au feu pour leur permettre de redémarrer en toute sécurité. Ou bien les autorisent à griller un feu (sans pour autant leur donner la priorité !) dès qu'ils ne croisent pas une autre rue, histoire de les faire s'arrêter moins souvent que les voitures. Ou encore créent des itinéraires cyclables continus là où les automobilistes sont face à des sens interdits.

Est-ce que ce sont des privilèges ? Heu, les sens interdits ont entre autres été créés pour assurer plus de places de stationnement automobile ! Ce sont des manières de compenser le handicap et de récompenser la souplesse (moindre emprise au sol, moindre danger pour les autres). Aujourd'hui on sait même que les cyclistes sont plus à l'abri quand, pour se rendre plus visibles ou échapper à des situations dangereuses (être trop près, dans un angle mort), ils et elles savent prendre des libertés avec les obligations qui ont été pensées pour les véhicules à moteur. Peut-être qu'un jour le législateur fera un code à part pour les cyclistes ou le rendra indicatif – comme il l'est de fait pour les piéton·nes. Moi, ça me semble juste. Mais d'autres trouvent ça insupportable. Et préfèrent qu'on vive tou·tes dans des villes invivables où aucun·e cycliste ne grillera un feu devant un·e automobiliste frustré·e d'être contraint·e à arrêter sa tonne de métal. J'ai du mal à comprendre puisque les jours de pluie, je ne ressens aucune haine particulière contre les automobilistes à l'abri dans leur habitacle…

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