The Substance

substance.jpg, janv. 2025The Substance, film de Coralie Fargeat (France, USA, UK, 2024). Avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid.

The Substance est un grand film féministe. Non seulement pour son propos sur les relations femmes-hommes et sa misandrie grinçante mais aussi pour ce qu’il dit des relations entre femmes et du féminisme. Et c’est un grand film tout court, très inspiré par le cinéma hollywoodien le plus classique avec une économie de moyens qui évoque beaucoup les films des années 50 de Hitchcock ou Mankiewicz. La scène initiale montre le sort de l’étoile d’Elizabeth Sparkle sur ce qu’on imagine être le Hollywood Boulevard. D’abord ces lettres et cette étoile sont soigneusement mises en place puis célébrées avant de se craqueler devant des passants indifférents. C’est l’histoire d’une star de l’aérobic télévisé en fin de carrière, qui le jour de ses 50 ans apprend qu’elle est virée salement. Le patron est expédié en quelques plans par la cinéaste, visage fatigué cadré de très près alors qu’il se permet un jugement sévère et mufle sur l’âge de la star en passe d’être déchue (il est bien le plus ridé des deux mais il a le privilège de ne pas se voir) ou bouche qui se goinfre de crevettes à la mayonnaise. Coralie Fargeat ne fait aucun cadeau aux hommes. Mecs moches du casting qui épiloguent sur le physique des femmes, voisin qui prend pour acquis qu’il va pouvoir sauter la nouvelle voisine toute fraîche, longue série d’hommes qui se font mielleux devant une jolie jeune femme et qui ne montrent aucune considération devant une de 50 ans.

Beaucoup a été dit à propos de la performance de Demi Moore qui montre son beau corps vieillissant (elle a à vrai dire plus de 60 ans) là où seuls des corps jeunes sont acceptés. Le dépit de vieillir, et de perdre ce qui semble seul en mesure de donner de la valeur aux femmes au regard des hommes, pousse Elizabeth à acheter un produit étonnant, la substance, qui la scinde en deux corps, le sien et celui d’une belle jeune femme qui prennent vie tour à tour, une semaine sur deux. Mais le slogan de l’entreprise qui vend le produit est impuissant à faire de ces deux corps une seule personne et très vite le jeune corps a aussi un nom, Sue, et des intérêts bien à soi. Elizabeth ne participe pas au succès de Sue qui prend sa place à la télévision suite à un casting. Au contraire, elle reste prostrée chez elle face à ses démons, qui n’ont pas disparu. Elle se voit toujours aussi flétrie, au point de ne pouvoir honorer un rendez-vous avec un copain de classe un peu pitoyable et qui l’idolâtre (c’est une scène poignante) et la situation ne lui apporte aucun bénéfice : elle est dévorée d’envie pour la jeunesse de Sue, qui est à vrai dire une autre femme, et risque même de voir son corps à elle dégradé par les libertés que prend Sue avec le rythme de leur alternance.

Entre les deux femmes, plus rien ne va et quelques semaines après le début de l’expérience Sue finit de tirer du corps d’Elizabeth le liquide qui la stabilise et dont elle ne devait prendre que des doses de sept jours maximum. Drainé, le corps d’Elizabeth devient un portrait de Dorian Gray survivant dans le placard où Sue l’a traîné. Sue se permet même de détruire l’image d’Elizabeth en se moquant, dans un show télévisé, d’elle et de ce qu’elle représente : l’aérobic de maman, destiné à l’entretien de femmes, quand elle pratique un spectacle impossible à reproduire chez soi et visiblement formaté pour le regard masculin, avec des caméras à hauteur de fesses.

Le manque d’empathie de Sue évoque une autre tension entre générations, pas tant le classique mère-fille (c’est ma réception, d’autres sont évidemment possibles) que les débats féministes. Vu depuis l’espace militant où j’évolue et où on a pu entendre une jeune femme très engagée mais souffrant visiblement de misogynie dire « Qu’elles crèvent, toutes ces vieilles » sans apparaître comme pitoyable auprès de ses copines, la haine que finit par vouer Sue à Elizabeth évoque l’héritage refusé, le mépris âgiste et l’exploitation des féministes plus expérimentées, censées faire tourner la boutique pendant que de plus jeunes (bien plus savantes) se moquent d’elles et outrepassent les décisions collectives. Malgré cela, Elizabeth a un dernier geste d’empathie pour Sue en qui elle persiste à se reconnaître même si la réciproque n’est pas vraie. Entre Vertigo et Carrie, la fin du film pousse aussi loin que possible les pistes ouvertes par l’histoire.

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