jeudi, 19 décembre, 2013

Le patriarche en gros bébé

Dans le mythe originel, le patriarche c'est ce mâle dominant dans une horde composée de ses compagnes et de ses enfants. Il fait violence à tou-te-s à plusieurs titres. Les femmes sont à ses yeux des marchandises (qu'il consomme ou échange), et il en monopolise l'usage sans rien en céder à ses fils. C'est à ces deux titres aussi qu'en tant que féministe je lutte contre le patriarcat, à la recherche d'égalité entre femmes et hommes et sachant qu'elle passe par des exigences d'égalité aussi fortes entre les hommes eux-mêmes. Comme dans cette citation qu'on me rappelait récemment, « Feminism is for everbody » (1) en ce qu'il s'attaque aux deux questions à la fois, et on l'espère la domination en général (classe, race, sexualité, handicap, etc.).

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mardi, 17 décembre, 2013

Auto-défense et agressivité

En même temps que je développe des outils d'auto-défense intellectuelle au patriarcat, je me suis mise au wendo, une discipline d'auto-défense qui s'adresse aux femmes. On me demande dans mon entourage en rigolant si j'ai bien appris à mettre des coups de pied dans les testicules. Justement non, j'ai appris à ne surtout pas tenter ce geste très hasardeux, qui ne correspond ni à la philosophie ni aux techniques du wendo. Je n'apprends à frapper, fort, que dans mon périmètre de sécurité individuel (cette « bulle » qu'on étudie sous le nom de proxémie), c'est à dire que des personnes qui l'ont transgressé. Si l'on regarde bien, même dans les transports en commun aux heures de pointe personne ne se met face à un-e autre en situation de pouvoir recevoir un coup de genou dans les burnes. On se décale toujours un peu pour au moins offrir la proximité d'une épaule ou d'un dos, un biais qui rend acceptable l'espace trop réduit entre les personnes.

Question : qui est la/le plus violent-e, entre un homme qui impose une proximité très intime, avec un « échange sensoriel élevé », et une femme qui lui balance un coup de genou ?

dimanche, 15 décembre, 2013

Féminisme : pourquoi tant d'intérêt ?

Il y a quelques semaines j'attirais l'attention sur la difficulté qu'il peut y avoir, quand on est un homme et qu'on partage les idéaux féministes d'égalité femmes-hommes, à participer au mouvement sans mettre à mal son sens même, à savoir l'émancipation des femmes. Pour moi le féminisme a ceci de spécifique, par rapport à l'anti-sexisme qui est une position abstraite elle aussi tout à fait respectable, d'être une pensée située et une pensée en action. Comme son nom l'indique, le féminisme (du latin femina) est structuré autour du sort des femmes, de leur expérience et de leurs revendications, même si beaucoup d'hommes peuvent à juste titre trouver leur compte dans ces revendications, et même si la plupart des féministes accueillent positivement l'idée d'avoir des alliés hommes (1). A moi qui voulais simplement prévenir les hommes proféministes de ces difficultés, sans pour autant remettre en cause leur engagement contre le sexisme, la réception de ce billet a posé quelques questions...

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lundi, 25 novembre, 2013

Do-it-yourself : le projet d'autonomie de Castoriadis à Castorama

Reprise de deux textes publiés ici en janvier et mars 2013, pour une publication dans Offensive n°38 (novembre 2013, dans toutes les bonnes librairies et kiosques au prix modique de 4 euros).

« L'aspiration individuelle à ne dépendre de rien ni de personne conduit à de nouvelles servitudes, à une forme de collectivisme non moins implacable que les communautés étouffantes d'autrefois. »
Groupe Marcuse, La Liberté dans le coma, La Lenteur, Paris, 2013.

En français, le do-it-yourself (DIY) nous vient en droite ligne de la culture squat, il s'agit de faire soi-même dans l'idée de gagner en autonomie, de se déprendre du capitalisme et des rapports marchands, de l'envahissement des pratiques quotidiennes par la société de consommation. Mais en anglais, l'expression signifie plus prosaïquement « bricolage », une pratique qui s'est épanouie dans les très libérales années 1980. Et c'est ainsi que l'on peut aller pousser le caddie le dimanche dans une grande surface de do-it-yourself. Alors, le DIY est-il de droite ou de gauche ? Ou plus sérieusement, le DIY n'est-il pas passé de la pratique d'autonomie d'une mouvance alternative à un projet de masse récupéré commercialement ? Il nous appartient donc, au-delà de son aura très positive, d'y distinguer la présence d'autres valeurs, qui sont, elles, néfastes au projet d'autonomie.

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samedi, 9 novembre, 2013

L'épilation intégrale du pubis et le sens de la vie

Une amie me disait un jour qu'elle et moi ne pourrions peut-être jamais, dans notre âge mûr, avoir le plaisir (peut-être douteux, mais c'est une autre question) de coucher avec des hommes beaucoup plus jeunes que nous. En effet, si jamais l'idée que les femmes doivent avoir le pubis complètement imberbe finit de s'installer, des générations entières de jeunes hommes n'auront jamais l'occasion de découvrir ce à quoi ressemble un vrai sexe féminin adulte (ou adolescent) et prendront cette configuration naturelle pour une exception monstrueuse, comme en témoigne en partie ce « beurk » du magasine Cosmopolitan. Nous deviendrions donc peu à peu, nous qui tenons à l'épilation raisonnée de notre maillot, des monstres à la chatte velue. Dit comme ça, ça fait un peu peur... Qu'y a-t-il d'autre derrière cette injonction ?

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jeudi, 31 octobre, 2013

Comment peut-on être un homme féministe ?

La réponse est simple : c'est impossible. Le féminisme part d'un point de vue situésur le rôle social réservé aux femmes et les relations femmes-hommes qui en découlent. De son constat découlent des revendications d'égalité qui, elles, peuvent (et doivent) être relayées par les hommes. Cette place ingrate a un nom : proféminisme. Non pas dansle mouvement féministe mais à côté, en allié ou en relais. Et les féministes ont besoin de ces alliés, quand leur parole est méprisée justement parce qu'elle n'a pas l'assurance qu'on développe dans un monde d'hommes (1).

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lundi, 9 septembre, 2013

Rupture anarchiste et trahison proféministe

A propos de Léo Thiers-Vidal, Rupture anarchiste et trahison proféministe, textes rassemblés par Corinne Monnet, Sabine Masson, Samuel Morin et Yeun Lagadeuc-Ygouf, Bambule, 2013, 208 pages, 8 €


Difficile d'aller à l'encontre de ses intérêts de classe... c'est tout le propos de Léo Thiers-Vidal dans ce recueil d'articles, que de rappeler que les hommes, tous les hommes, ont intérêt à (c'est-à-dire perçoivent des gratifications dans le cadre de) la domination masculine. Certes difficile ne veut pas dire impossible, mais les exemples auxquels l'auteur a été confronté pendant sa vie militante, et sur lesquels il a appuyé comme on le lit ici sa pensée, montrent encore et toujours que s'en déprendre n'est pas une mince affaire.

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samedi, 25 mai, 2013

Banalité de l'homophobie

Je n'ai aucun goût particulier pour le lexique politique en -phobe, -phobie, qui a tendance à arrêter violemment la discussion sur une accusation de maladie mentale. M'étant fait traiter un jour d'« androphobe » (alors que « misandre » existe et ceci dans un groupe souffrant déjà d'être peu paritaire, c'est classe), j'ai eu l'occasion de faire les frais de ce genre d'usage. Mais quand, lors d'une distribution de tracts contre l'homophobie, un vieux monsieur (homophobe) vient prendre ma pote militante à partie sur ce vocabulaire et sa signification, là je me demande ce qui m'empêche de lâcher cette notion. Ce n'est pas uniquement parce que le déchaînement de haine actuel frôle l'hystérie. Mais aussi parce que m'est apparu lors de mes voyages (1) à quel point l'identité masculine occidentale était structurée par la peur de l'homosexualité.

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mercredi, 22 mai, 2013

Montréal-Portland-Lille : des centres communautaires pour les femmes

Article à paraître dans L'An 02 n°4, juin 2013.
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Vous avez envie de vous remettre au yoga ? d'apprendre le français langue étrangère ? besoin d'accéder à un ordi pour votre recherche d'emploi ? d'un lieu pour accueillir un groupe de discussion féministe ? Des centres communautaires permettent aux femmes de mener des activités ensemble. De Montréal à San Francisco, en passant par Portland, et sur le vieux continent à Lille, des femmes s'organisent pour animer des espaces ouverts à toutes, en particulier aux plus fragiles.

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jeudi, 28 février, 2013

Entre Castoriadis et Castorama : le do-it-yourself et les méprises du projet d'autonomie

Texte repris ici (en mieux !) pour publication dans Offensive n°38.

J'écrivais il y a quelques semaines un coup de gueule sur les excès d'un certain do-it-yourself (ou DIY, en anglais bricolage, en français le terme et les pratiques ont un sens plus politisé). Suite à quelques échanges intéressants, je pense pouvoir reprendre mes arguments et continuer le débat en mettant le doigt sur quelques points.

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mercredi, 13 février, 2013

Féminisme et queer : la théorie de l'évolution mise à mal ?

« Il me semble qu'il y a dans la théorie queer un certain anti-féminisme. »
Judith Butler, Humain, inhumain (éditions Amsterdam, 2005)

Laissons de côté Judith Butler (1) et attaquons-nous de front au mouvement queer tel qu'il s'exprime en France. Pour une critique bien éloignée des philosophes et sociologues qui vont admettre que le genre est certes un peu construit socialement mais que malgré tout notre identité de genre est fondamentalement liée au biologique... comme Naomi Wolf qui nous explique que quand son vagin va mal, c'est toute sa personne qui dépérit. Une critique matérialiste, radicale, du côté des femmes, du côté des dominé-e-s, du côté de ceux et celles auxquel-le-s le queer se donne pour ambition d'accorder un peu d'attention et de bienveillance.

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dimanche, 27 janvier, 2013

Nature writing au féminin

J'écrivais il y a plus d'un an, pour le n°2 de L'An 02, une chronique sur l'absence d'auteures femmes dans le catalogue des éditions Gallmeister, dont je suis avec beaucoup d'intérêt les collections « Nature Writing » et « Noire ». En mars 2013 une troisième auteure est à paraître, après Kathleen Dean Moore et Terry Temple Williams : Dorothy M. Johnson, pour un recueil de nouvelles, Contrée indienne. Voici d'autres auteures, jamais traduites en français, ou bien il y a longtemps, ou bien récemment rééditées (Mary Austin !) ou bien encore très bien éditées en français (Annie Dillard), qui font de la nature writing une écriture aussi féminine.

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mercredi, 16 janvier, 2013

Citoyen-ne-s, à vos tirets !

Dans un précédent post, des lecteurs ou lectrices ont pu trouver pénible l'emploi régulier de formules qui permettent de faire apparaître le féminin, écarté des usages habituels de la langue au motif que « le masculin l'emporte sur le féminin ». Un petit « e » coincé entre tirets par-ci par là ou une invention comme « lecteurices » ne me semblent pourtant pas si rebutantes (1)...

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dimanche, 6 janvier, 2013

Catch féminin et roller derby : ouvrir le champ des possibles

A propos de deux films
GLOW. Gorgeous Ladies of Wrestling, Brett Whitcomb, 2012
Whip It (Bliss), Drew Barrymore, 2009

Le catch dans les années 80 et le roller derby aujourd'hui sont deux expressions féminines bien particulières, mais qui ont à y réfléchir de nombreux points communs. Au-delà du jeu (mettre à terre l'adversaire, se frayer un passage dans le peloton à coups de hanches), ce sont des jeux de rôle qui permettent de se moquer d'identités stéréotypées (Babe la gentille fille du fermier), d'en créer de nouvelles, à l'aide de noms et de costumes, souvent trash, punk ou mauvais genre, toujours ironiques (ici les exemples ne manquent pas, mais je ne sais pas par où commencer), ou de rendre hommage à son histoire et à ses racines (Mount Fiji, Rosa Sparks).

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samedi, 5 janvier, 2013

A la recherche de la "sexualité naturelle"

Voici une lettre envoyée en privé à l'animateur d'un blog écolo, en guise de réponse énervée à un billet qui se targuait de critiquer la technique pour justifier son homophobie. Sans réponse de sa part, je décide de la mettre ici à disposition. Entre temps, Stéphane Lavignotte et moi avons publié une tribune dans le cadre du même débat et avec un angle assez proche.

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jeudi, 29 novembre, 2012

Mais non, grosse pute, c'est un article politique !

Je ne résiste pas à la tentation de partager la réception de mon article du 28 juin 2012 sur la légitimité des femmes qui rendent des services sexuels gratuits à intervenir elles aussi dans le débat sur la prostitution. Les lecteurs (allez, je laisse tomber la féminisation, m'étonnerait qu'il y ait autre chose que des mâles) ont un sens de l'orthographe qui flirte avec une certaine poésie. Faire rimer suisse et suce, jusqu'à ce que le sens des mots nous échappe et qu'on n'en entende plus que la musique...

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vendredi, 21 septembre, 2012

Renversant !

Les stéréotypes sexistes s'imposent avec une force difficile à combattre. La fameuse histoire de madame qui restait épousseter la caverne pendant que monsieur Groumpf allait à la chasse, ce qui expliquerait pourquoi les femmes ne savent pas lire les cartes routières, résiste malgré tout à l'apport de la paléoanthropologie, qui nous apprend qu'avant le Néolithique (1) les femmes participaient au ravitaillement, en se livrant à la cueillette ou en posant des pièges pour les petits mammifères, ce qui leur faisait faire autant de kilomètres, si ce n'est plus, que les chasseurs. Si les femmes ne savent pas lire les cartes routières... c'est qu'on ne le leur a pas appris.

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lundi, 13 août, 2012

Trop queer !

Depuis que l'un de mes potes hétéro a lu Judith Butler, il est devenu lesbienne. La théorie queer a fait valoir le caractère arbitraire des distinctions de sexe : le sexe anatomique, le sexe chromosomique, le sexe hormonal (et j'en oublie) ne dessinent pas des contours si précis du sexe biologique, mâle d'un côté, femelle de l'autre. Et les groupes humains ont établi à ce sujet une variété de codes sociaux qui ne signifie rien d'autre que la grande fantaisie de cette bipartition entre individu-e-s. On pourrait donc naviguer entre les deux genres, être des « gendernautes » aux identités en mouvement. L'accent mis sur la performance du genre par le mouvement queer peut être un geste de libération vis-à-vis de codes sociaux sclérosants, mais peut aussi nier la captivité vécue par la plupart des sujets genré-e-s que nous sommes. Malgré cela, il arrive que quelques esprits brillants, qui croient tout ce qu'on lit dans les livres, trouvent dans le queer des ressources pour recomposer la question féministe de la manière qui leur plaît. Et pour devenir lesbienne en gardant leurs couilles, leur petit bouc au menton et toutes les prérogatives de leur masculinité – dont les grasses blagues avec les copains qu'on appelle Bite, mais aussi l'incroyable complaisance dont ils sont l'objet de la part de leur entourage féminin. C'est pratique.

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mercredi, 4 juillet, 2012

Sur quelques usages politiques du concept de liberté

Libéral, libertaire, même combat ?

Dans un entretien sur sa vie et son œuvre sur France Culture, Serge July, qui s'estime l'inventeur du concept « libéral-libertaire », expliquait pourquoi il était à la fois libéral et libertaire. Libéral pour la liberté d'expression, d'entreprise, pour la démocratie libérale et l'héritage des Lumières (une grande tirade que je résume bien faiblement et de mémoire). Et libertaire... pour l'esprit, quoi. Notre théoricien était bien plus disert. Une pincée de poivre, une petite pointe de subversion dans une pensée bourgeoise ? On lie deux idées politiques, le libéralisme et l'anarchisme, qui n'ont rien en commun, histoire de faire porter sur la première le capital-sympathie de l'autre. Alors que la pensée libertaire combat le pouvoir qui est exercé dans une société par les un-e-s (classes sociales dominantes économiquement ou culturellement, méga-structure étatique, Technique, etc.) sur les autres (humain-e-s, Nature, etc.), le libéralisme s'est distingué par son refus de considérer les rapports de domination... et donc de lutter contre eux. (Et le néo-libéralisme en a rajouté avec une attitude ambiguë à l'égard de l'État, non plus Léviathan à combattre mais seule instance à même de faire accepter la prédation du bien commun et la préservation de l'ordre social.)

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jeudi, 28 juin, 2012

A propos de quelques aspects du débat sur la prostitution

Le nouveau titre de cet article est très ennuyeux, mais j'en avais marre des visites dues à de pauvres recherches Google et je n'étais pas convaincue du caractère pédagogique de ces erreurs d'orientation. Anciennement, donc, "Mais non, grosse pute, c'est pas une insulte !"

Qu'est-ce que j'ai dit ? J'ai fait l'éloge de la peine de mort ? Expliqué comment j'avais voté FN ou fait une sortie raciste ? Non, j'ai juste suggéré que la prostitution faisait partie d'un système hétéro-patriarcal de domination. Pas la grande classe, politiquement, quand on voit l'aura dont jouissent les « travailleurs et travailleuses du sexe » dans les milieux radicaux. Il y a de quoi s'indigner de certaines dispositions dont ils et elles sont victimes (1), mais de là à faire de leur discours l'alpha et l’oméga de la pensée politique sur le sujet, c'est un peu comme si on demandait à l'Armée de décider de notre prochain engagement militaire, ou aux vendeurs/ses de pompes de choisir ce qu'on devrait se mettre aux pieds : laissez la parole aux spécialistes.

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