L'épilation intégrale du pubis et le sens de la vie

Une amie me disait un jour qu'elle et moi ne pourrions peut-être jamais, dans notre âge mûr, avoir le plaisir (peut-être douteux, mais c'est une autre question) de coucher avec des hommes beaucoup plus jeunes que nous. En effet, si jamais l'idée que les femmes doivent avoir le pubis complètement imberbe finit de s'installer, des générations entières de jeunes hommes n'auront jamais l'occasion de découvrir ce à quoi ressemble un vrai sexe féminin adulte (ou adolescent) et prendront cette configuration naturelle pour une exception monstrueuse, comme en témoigne en partie ce « beurk » du magasine Cosmopolitan. Nous deviendrions donc peu à peu, nous qui tenons à l'épilation raisonnée de notre maillot, des monstres à la chatte velue. Dit comme ça, ça fait un peu peur... Qu'y a-t-il d'autre derrière cette injonction ?

L'âge de la performance

Nous avons tou-te-s vu des cyclistes professionnels (encore du vélo, décidément) se raser les jambes dans l'idée d'être plus performants. Mais aussi des cyclistes aux exploits beaucoup moins impressionnants, qui ont adopté cet usage dans l'idée de ne pas se prendre les poils dans le dérailleur ou d'ajouter à leur aérodynamisme, on ne sait pas bien mais le fait est là, se raser les jambes fait rouler plus vite et dans de meilleures conditions (je vous en prie, cette interprétation est ouverte aux commentaires, mais une fois la réponse dévoilée je voudrais bien qu'on commentât plutôt ce qui va suivre). Il en est de même de l'épilation intégrale du maillot, qu'une voyageuse à vélo me recommande après des kilomètres de périple comme pouvant ajouter grandement au confort sur la selle.

Rendons à César ce qui lui appartient, c'est à d'autres professionnelles que l'on rend hommage en s'épilant intégralement le pubis, puisque c'est depuis la pornographie que s'est diffusé cet usage. Ceux et celles selon qui la prostitution et sa représentation (puisque c'est l'étymologie du mot pornographie) ne font rien au social et à l'image des femmes trouveront ici un contre-exemple à leur assertion, j'ai développé ce thème ici. « Mais non mais tu vois, avec une chatte épilée c'est un vrai plaisir de glisse, tu devrais essayer », m'a dit un autre. J'attendrai d'avoir un avis féminin pour juger, étant moyennement motivée par l'offre de meilleurs services sexuels en régime hétéro.

L'idée de rouler plus vite et de baiser mieux (1) est bien l'un des traits de notre société de la performance à tout prix, avec l'envahissement qu'il entraîne des logiques d'évaluation (soit la mise en chiffres de l'humain) et de compétition (entre femmes pour s'attirer les grâces d'un mâle alpha, entre hommes pour devenir le mâle alpha, parce qu'il est bien entendu que le capitalisme et la patriarcat font aussi souffrir les hommes – certains). Je rêve de voir ce film de Carole Poliquin où l'on visite un « institut du meilleur bébé », comme si « le modèle standard ne suffisait pas ».

Une injonction paradoxale

Donc voilà, maintenant il est de bon ton de s'épiler intégralement le pubis, parce qu'un sexe de femme non-épilé, c'est sale et animal. Énième injonction sur le corps des femmes (il fallait jadis avoir une taille de guêpe en se contraignant au corset, avoir une peau laiteuse qu'on n'exposerait jamais au soleil, etc.) qui se diffuse avec toute la perfidie d'un conseil entre copines, relais bienveillants de normes sociales qui font violence aux femmes en leur expliquant qu'elles doivent s'habiller comme ci (« le t-shirt, c'est pour faire du sport ») et se comporter comme ça (« sois un peu plus souriante »). Et pas autrement. On remet donc sur la voie les récalcitrantes. Pas seulement dans ces formations Pôle emploi qui ont été abondamment commentées pour leur caractère genré et sexiste, comme si venir en jogging et pas rasé à un entretien d'embauche était acceptable quand on est un homme (2). Mais aussi lors de séances avec des psychologues, qui peuvent vous entraîner dans le cadre de leur pratique à faire les magasins pour vous aider à vous sentir mieux dans votre peau – il y a même l'option spécialiste du magasinage thérapeutique pour femmes que l'on décrétera à tort ou à raison « obèses », si, si !

Et comme si ça ne suffisait pas, ces normes sociales se diffusent en même temps que les réserves qui vont avec, formant d'énormes paquets de contraintes qu'on appelle les « injonctions paradoxales ». L'injonction paradoxale, c'est ce qui fait de la vie d'une femme un petit enfer, à hésiter constamment entre la volonté d'être séduisante et la peur de faire « un peu pute », immédiatement sanctionnée par des comportements agressifs de la part d'hommes et parfois d'autres femmes. Habitudes vestimentaires, comportement sexuel, tout y passe ou presque. L'épilation intégrale du pubis, étant donnée son histoire, fait bien évidemment « un peu pute » et c'est ainsi qu'au salon de beauté c'est une demande qui est formulée à voix basse. Alors quoi faire... se battre pour que les femmes qui s'épilent intégralement le pubis puissent le revendiquer fortement sans subir le jugement d'autrui ?

C'est mon choix !

Ce qui m'énerve le plus dans cette histoire d'épilation intégrale, c'est l'anti-sociologisme qui s'en dégage chez ses zélateurs/rices avec l'idée que c'est un choix personnel. Non, c'est une réponse conformiste à la diffusion d'une nouvelle norme sociale. Et non, ce ne sont pas des choix, sauf à penser que les femmes choisissent de se faire un sang d'encre pour trois poils un peu visibles ou deux kilos en trop (3).

Comment osé-je parler de non-choix, dans une société qui valorise à l'excès la notion de liberté individuelle ? D'abord, ce ne sont pas des choix informés : les poils pubiens ne sont pas là pour nous ennuyer, ils sont là pour nous protéger, le saviez-vous ? Les gynécologues avertissent que cette barrière de poils est la première protection d'un écosystème très fragile. Si vous n'aimez pas la barbe, choisissez la moustache, et laissez-en au moins de quoi faire cette barrière naturelle !

Ensuite qui suis-je pour vous imposer mes vues, alors que tous les goûts sont dans la nature et se valent ? Comme nous constituons ce que tout le monde à l'exception de Margaret Thatcher (paix à son âme) appelle une société, je suis celle qui contribue (modestement, hélas) au financement de cette sécurité sociale qui remboursera vos prochaines consultations gynéco. Et je suis aussi cette femme (rappelez-vous le début de cet article, il ne s'agissait pas que d'une introduction plaisante) qui va devoir faire avec un regard social qui considérera bientôt son sexe comme un animal à fourrure en voie de putréfaction – puisque personne n'a jamais été très complaisant avec le sexe des femmes, dans un mépris largement documenté et qui a interdit aux femmes elles-mêmes de se regarder (les unes les autres également) avec un peu plus de bienveillance. L'épilation intégrale du pubis fait-elle avancer les revendications féministes ? Tu parles plutôt d'une régression !

NB : Un autre film que j'aimerais beaucoup voir, c'est celui qui rend compte de la rencontre d'un groupe de femmes réunies par Betty Dodson pour découvrir leur sexe et celui des autres femmes, « célébrer leurs variations » et partager ou découvrir des façons de se donner du plaisir.

(1) « Nos meilleurs conseils pipe », « comment lui faire plaisir au lit », « la sodo pour les nulles », etc. Ici pas de critique prude de ces paroles, mais une critique politique, puisque toutes ou presque redisent la soumission à un ordre sexuel androcentré. Je leur préfère les paroles de femmes qui surgissent dans les groupes non-mixtes formels auxquels j'ai participé ou que j'ai animés, beaucoup plus variés et qui permettent de nous questionner dans le but de notre émancipation politique et sexuelle.

(2) Rayer ici la mention « mal rasé », puisque cela fait désormais partie des privilèges réclamés par la nouvelle masculinité, comme le note au passage l'historienne du cinéma Geneviève Sellier : « La mode récente de la barbe de trois jours me paraît très significative de l'autorisation donnée aux hommes d'avoir l'air négligé. »

(3) Je suggère de continuer la lecture en enchaînant avec l'excellent Beauté fatale, de Mona Chollet (« Zones », La Découverte, 2012) qui politise cette question avec beaucoup d'humour et d'exigence. C'est à découvrir en ligne ici, et ici pour le compte-rendu que j'en ai fait.

Commentaires

1. Le samedi, 9 novembre, 2013, 18h02 par Aude

Un lien à partager : ce texte de Christine Havrot qui, dans un autre registre, note l'intrusion de la pornographie dans l'intimité.

2. Le dimanche, 10 novembre, 2013, 16h39 par josé

Vive la toison anarchique et libertaire!

3. Le lundi, 11 novembre, 2013, 16h19 par paul

euh...
j'savais pas que les barbes de trois jours c'était un truc à la mode...
j'pensais qu'c'était un truc de fainéant

4. Le lundi, 11 novembre, 2013, 20h30 par Aude

C'est un truc de fainéants peut-être, mais ce qui fait sens, c'est qu'il est possible aujourd'hui de venir bosser avec une barbe de trois jours dans un endroit où vous n'avez pas le droit de faire tomber la cravate ! C'est à dire qu'il y a désormais une acceptation sociale d'un look qui signale une certaine négligence (et qui n'en est pas forcément une, ça peut être très étudié !), alors que les poils féminins, eux, sont sous contrôle jusque dans les moindres recoins.

5. Le mercredi, 13 novembre, 2013, 12h11 par Aude

Très beau texte, sur un sujet très proche qui est celui des normes sur la taille des lèvres. Pas très fan du "Lafâme" maladroit dans le titre du blog, mais c'est fin, à l'écoute et drôle, un vrai texte féministe.

6. Le jeudi, 14 novembre, 2013, 10h35 par Eric Hénunc

Bonjour

Comme vous, je déplore ces pratiques, et souscrit totalement à votre analyse, mais cela me semble encore plus grave que ce que vous décrivez ( qui est déjà pourtant assez lamentable )

Les société humaines ont développé diverses stratégies pour structurer au fil du temps leurs relations, ( us et coutumes ). Intrications complexes entre l'état du mammifère et l'entité sociale de l'individu.

Mais toujours, toujours effectivement, les rapports sociaux, sont à l'occasion de l'exercice, une combinaisons de subordination entre ses composantes ( hommes/femmes, vieux/jeunes, … nous/les autres ... )

Il ne faudrait, pourtant jamais oublier, qu'être humain, signifie, entre autre, mais c'est primordial participer au phénomène biologique et ainsi, je dirais que l'être humain, plus il s'en éloigne, nie sa condition animale, plus son comportement se rapproche de la bestialité. Oh ! Bien sur, les masques ( mensonges, plus ou moins, sophistiqués ) permettant d'invoquer telle ou telle raison ne sert qu'à justifier cette fuite devant un comportement de dénégation. L'artificialisation de nos modes de vie : alimentation, habitat, santé, distanciation des rapports sociaux ... ne fait qu'accentuer, accompagner, cette volonté de ne pas affronter, et assumer sa condition humaine.

Et il faut bien souligner l'apparence juvénile voulue, infantilisation ?
L'égalité fait peur à certains ( beaucoup ) d’où souvent dérive vers des rivages « rassurants » de volonté de contrôle, maîtrise ( évidemment apparente en fait coercition ) de ce qui nous fait peur. Ainsi de la femelle pour le mâle alpha comme vous dites, et cela ne s’arrête pas là, les enfants, les vieux, pardon les seniors etc. C'est un ensemble, c'est l'humanité qui souffre, qui se perd, s'automutile.

Et puis que dire d'aujourd'hui, d'hier, avec le tableau de Gustave Courbet « l'origine du monde »
faudrait-il le mettre au musée des horreurs, et qu'en est-il du transhumanisme ? Seulement prophéties autoréalisatrices ? Qu'est-ce que l'androïde, sinon un double de l'autre, ersatz, qui n'est autre qu'une pauvre poupée gonflable à peine plus sophistiquée mais dont le rôle reste le même. ( voir la série norvégienne « Real Humans » entre autres pour une création récente )

Il existe néanmoins des sociétés organisées différemment de la notre ( heureusement ) et qui nous prouvent que d'autres possibles sont à portée de main.

Bref il y a de quoi faire.

Cordialement
Eric Hénunc

7. Le vendredi, 15 novembre, 2013, 11h35 par Aude

Merci Mélanie ! Et enfin une femme dans les commentaires de mes derniers textes !

Le ton est parfait, ne changez rien ! Et pour les poils aux pattes, je déteste autant les injonctions à s'épiler que les injonctions à ne pas le faire (rarement relayées par des femmes aux poils un peu trop épais et noirs, je ne sais pas si vous avez remarqué, plutôt par des jolies blondes et par des hommes très heureux en couple - peut-être avec les jolies blondes en question aux poils soyeux et quasi-invisibles !). De quoi j'me mêle ? On a chacune son corps, sa pilosité, son histoire, ses angoisses personnelles. A chacune de trouver ce qui lui permettra d'aller nager sans s'occuper du regard des autres !

8. Le mercredi, 8 janvier, 2014, 12h53 par Cyb

Je suis évidemment contre l'injonction faite aux femmes d'être glabre du pubis. EN dehors de la protection biologique qu'offrent les poils dans cette région, il y a aussi la douleur subie. S'arracher les poils d'une zone aussi sensible n'est jamais anodin, sans parler d'effets secondaires tels que repousse de poils sous la peau ou démangeaison et autres joyeusetés.

Ce que je trouve très difficile dans notre société, c'est aussi le "chacun fait ce qui lui plaît", et qui empêche, du coup, une certaine cohésion. Car il est dur de déceler quelle est la part réelle de ce qui nous "plaît" dans ce que nous faisons.

9. Le samedi, 26 juillet, 2014, 02h35 par Aude

Sur l'anti-sociologisme, j'ai pris le sujet de manière plus frontale ici : http://blog.ecologie-politique.eu/post/Naturaliser-des-faits-sociaux.

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