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lundi, 22 avril, 2024

Les hommes doux sont-ils l’avenir du féminisme ?

Même si lafemme est l’avenir de l’homme, c’est moins sur nous que sur les hommes que sont projetées nombre d’attentes concernant le recul espéré du sexisme. Comme si nous ne faisions que notre boulot ingrat de féministes, tandis qu’eux sont des forces telluriques. Hommes proféministes, à la masculinité non hégémonique, non binaires (1), ce sont eux qui vont sauver le monde. Engagements contre le sexisme, participation à la création de savoirs sur le genre et les sexualités, renouvellement des représentations sur ce qu’est un homme et légitimation de formes de masculinités diverses et plus respectueuses des femmes, voilà tout ce que nous leur devons.

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vendredi, 8 mars, 2024

Comment j’ai appris à mépriser Sandrine Rousseau

Il me semble important de critiquer les camarades, non par plaisir égocentrique et pour se mettre en valeur à leurs dépens mais parce que toutes les stratégies peuvent être interrogées et que personne n’est à l’abri d’une dérive. Les critiques du camp opposé, par leur violence, leur injustice ou leurs présupposés biaisés, tendent plutôt, et c’est compréhensible, à conforter celle ou celui qui les essuie qu’à susciter un peu de remise en cause. Au contraire, une critique « amie » doit faire surgir des questionnements, rappeler des exigences partagées… et accessoirement être cordiale et éviter la personnalisation.

Ce billet n’est pas une critique amie.

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dimanche, 19 novembre, 2023

Faire justice

FAB_22_11x16_8_DECK_MARSAULT_faire-justice_OK.jpg, nov. 2023Elsa Deck Marsault, Faire justice. Moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes, La Fabrique, 2023, 168 pages, 13 €

Les milieux les plus radicaux que je fréquente ou que j’ai fréquentés ont du mal à proposer une critique très acérée de la justice telle qu’elle est couramment pratiquée. Une fois l’État accusé de maintenir une « justice de classe », les arguments se font rares. C’est certes un gros morceau, que de comprendre, documenter et expliquer comment la justice est rendue en faveur des classes dominantes, de la répression des classes exploitées (émeutiers, Gilets jaunes) jusqu’aux affaires familiales (« tribunal des couples » qui paupérise les femmes ou difficile prise en compte des violences sexuelles contre les femmes et les enfants), et sert surtout à préserver un ordre fondamentalement injuste (1). Mais il reste encore à penser la place des victimes, utilisées à l’occasion mais toujours dans l’intérêt de l’État (réparer les torts qui leur sont faits est la dernière préoccupation des juges alors que ce devrait être la première) ou la vision de l’être humain qui sous-tend le système judiciaire (au mieux à réformer, au pire à exclure du corps social tel une mauvaise tumeur), toutes les idées souvent pourries mais parfois intéressantes (2) qui font la justice d’État.

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samedi, 4 novembre, 2023

Sous le parapluie trans

Je suis bénévole dans un festival de cinéma qui tient à une non-mixité aujourd’hui devenue moins courante. Alors que bon nombre d’espaces non-mixtes sont « sans mecs cis(genre) », soit adoptent une non-mixité queer, nous tenons à être un lieu pour « les femmes et les lesbiennes » (1). Depuis vingt ans que je connais le festival, toutes les femmes y sont les bienvenues, cisgenre ou transgenre. J’apprécie le fait que chaque groupe puisse bâtir un espace qui correspond à ses aspirations et que diverses définitions de la non-mixité cohabitent, qu’on ne standardise pas les pratiques militantes. Ce festival réunit des festivalières très diverses, de tous âges, venues de tout le pays, avec des positionnements politiques différents qui se frottent parfois. L’an dernier un tag sur le mur externe du lieu disait : « Festival transphobe ». Cette année ce sont des « lesbiennes pas queer » tout aussi courageuses et anonymes qui ont pris la parole de cette manière très déplaisante pour faire connaître leurs reproches. Ça veut peut-être dire que le festival n’est pas monolithique et ces attaques sont une reconnaissance de la diversité qui y a cours.

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dimanche, 1 octobre, 2023

Tout plaquer

tout_plaquer_w.jpg, oct. 2023Anne Humbert, Tout plaquer. La désertion ne fait pas partie de la solution... mais du problème, Le Monde à l’envers, 2023, 72 pages, 5 €

Autour de vous, beaucoup ont peut-être choisi de déserter leur emploi dans le tertiaire pour en exercer un autre « qui a du sens » dans l’artisanat ou l’agriculture et sortir du salariat. Peut-être même faites-vous partie de ces déserteurs et déserteuses qui depuis quelques années font parler d’elles et d’eux, avec des pics d'attention inattendus.

Anne Humbert, ingénieure non déserteuse, a choisi de consacrer un livre au phénomène (encore un) mais celui-ci prend le parti de le critiquer, à partir d’échanges avec des ami·es ayant déserté et de lectures qui vont de la grande presse à des auteurs comme le sociologue Richard Sennet, critique de la standardisation du travail. Outre quelques articles, comme celui-ci dans Lundi matin, cette option reste à ma connaissance assez peu conventionnelle dans les milieux alternatifs plus ou moins radicaux subjugués par la notion de désertion (Reporterre a, selon Humbert, consacré vingt-et-un articles au discours des étudiant·es qui bifurquent d’AgroParisTech). Ces trajectoires ont suscité plus d’intérêt que le « refus de parvenir » auquel était consacré il y a quelques années un excellent bouquin, toujours disponible.

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vendredi, 8 septembre, 2023

Séparer la femme de l’artiste

On ne peut pas séparer l’homme de l’artiste, dit-on. Au-delà de la simple volonté de punir des méfaits qui ne l’ont pas été et de porter atteinte au succès d’un artiste par ailleurs méchant homme, il y a l’idée que l’œuvre tout entière respire le vice reproché à son auteur. Est-ce si vrai ? Si c’était le cas, toute la série de J.K. Rowling, tout le monde de fiction qu’elle a créé autour d’une école de sorcellerie, transpirerait la haine des femmes trans qu’on attribue à l’autrice, celle dont on ne prononce plus le nom. Or il m’a été plus d’une fois donné de constater que pour les fans de Harry Potter qui sont trans ou soutiennent les personnes trans dans leur lutte contre un carré de féministes, en nul cas cet univers fictionnel ne devait être banni de leurs étagères. Il continue à être lu, à offrir des références, à être exploité commercialement – et de quelle manière ! L’œuvre continue à être révérée mais sur l’artiste tombent des foudres qui vont jusqu’à invisibiliser sa maternité de l’œuvre, voire, mais c’est pour rire, à l’attribuer à un homme. Vous savez, Harry Potter à l'école des sorciers, le livre de Daniel Radcliffe. Certes tout le monde sait que le type en question avait 8 ans quand le bouquin est paru mais est-ce si drôle de matilder une autrice pour la simple raison qu’on est opposée à son propos ? Tellement de femmes ont été spoliées de leur œuvre, en leur temps ou pour la postérité, que le phénomène a été identité sous le nom d’effet Matilda.

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mardi, 15 août, 2023

Arrêtez de vous indigner !

Cette année je suis membre dans des collectifs militants de deux commissions qui ont chacune pour objectif de défricher des prises de position sur des questions délicates. J’ai été encouragée à y participer au motif qu’il faut y assurer un peu de diversité politique et que peu de personnes ont envie de s’y coller quand elles savent ne pas défendre la position qu’il est de bon ton d’avoir. J’ai prouvé ma capacité à défendre des positions minorisées, à ne pas répéter la doxa et à mettre le doigt sur les questions qui fâchent. Ça ne m’a pas empêchée d’y aller la boule au ventre en raison des violences symboliques qui se jouaient dans ces réunions.

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lundi, 15 mai, 2023

Contre l'alternumérisme

contre-l-alternumerisme.jpg, fév. 2020Julia Laïnae, Nicolas Alep, Contre l'alternumérisme, La Lenteur (2020), 2023, 144 pages, 10 €

Je reprends ici la chronique, parue juste avant la crise sanitaire, d'un ouvrage republié ce mois-ci.

Julia Laïnae et Nicolas Alep tapent large en consacrant un petit livre à l'« alternumérisme ». Large mais toujours juste, car chaque cible est précisément définie et sa contribution à une « autre informatisation possible » fait l'objet d'une critique sérieuse et bien documentée. Des utopistes d'Internet aux inquiet·es des écrans, ces tendances ont ceci en commun qu'elles ne refusent ni les outils numériques, ni leur omniprésence dans la vie sociale, mais souhaitent en encadrer l'usage. Voyons plutôt.

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dimanche, 23 avril, 2023

« Mon corps, mon choix »

Il y a quelques jours, dans un groupe féministe, nous avons déplié un paragraphe de notre manifeste qui reprenait le slogan « Mon corps, mon choix ». J’avais émis quelques doutes sur cette formulation car si entendue comme un appel à la liberté reproductive et sexuelle des femmes elle fait consensus, elle contient aussi tout un monde contre lequel, en tant que féministes au sein d’un syndicat de transformation sociale, nous luttons. Enfin, j’espère.

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mercredi, 15 mars, 2023

Retraites : où est la vraie démocratie ?

Samedi dernier à la manif, l’ambiance était morose dans le cortège contre la réforme des retraites. Et dans les conversations des gens qui ne prennent pas la peine de venir, j’entends beaucoup cet argument selon lequel la question se réglera lors des prochaines élections. Comme si les élections ne se jouaient pas sur d’autres sujets. Comme si la rue ne gouvernait pas à partir du moment où un mandat était accordé par une élection. Dans la tête de beaucoup de monde, l’élection dresse la feuille de route du gagnant de la course à l’échalote et des mini-gagnant·es de la mini-réplication en 577 exemplaires. D’ailleurs, pour une fois, la réforme majeure du quinquennat était annoncée (d’habitude ils ne prennent pas cette peine, en 2017 par exemple un vague programme macroniste avait été improvisé trois semaines avant le scrutin). Une fois n’est pas coutume, elle l’a été en 2022, en pire, puisqu’elle prévoyait un départ à la retraite à 65 ans. En théorie, donc, les personnes qui ont comme moi voté pour empêcher l’accession au pouvoir de pire encore ont plébiscité cette réforme qu’aujourd’hui une majorité écrasante refuse… et refusait déjà durant la campagne électorale (1).

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lundi, 26 septembre, 2022

Quand les identités s’affrontent dans les assiettes

C’est un air connu, que les marionnettes du jeu électorat se remettent à siffler quand elles s’inquiètent qu’on les ait oubliées. Fabiend’chez nous Roussel et sainte Sandrine Rousseau, deux héros de la défaite de la gauche en Hauts-de-France qui se sont imposé·es dans l’arène nationale, remettent le couvert sur la question de la consommation de viande. Rousseau, qui n’était pas végétarienne la dernière fois que j’ai mangé avec elle, renforce son image d’écoféministe en dénonçant une consommation masculine de viande qui détruit la planète. Sur le fond, le propos est assez juste : la manière dont sont associées la consommation de viande et la masculinité, la chasse, la prédation, la force physique et même la couleur rouge (1), dite aussi virilo-carnisme ou carno-phallogocentrisme pour faire plus simple, est une représentation sociale mise en lumière depuis plusieurs décennies et qui explique encore aujourd’hui la consommation différenciée de viande entre femmes et hommes (2). La journaliste féministe Nora Bouazzouni a d’ailleurs produit récemment deux ouvrages éclairants et bien argumentés sur le sujet, Faiminisme et Steaksisme (Nouriturfu, 2017 et 2021). Roussel, qui drague un électorat en tout point opposé, en a profité pour faire son apologie des vraies valeurs françaises, vin, viande et fromage.

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vendredi, 8 juillet, 2022

Face aux politiques sanitaires inconsistantes, l’autogestion ?

Deux ans après les mensonges sur les masques, que le gouvernement n’avait pas pris la peine de provisionner en masse malgré les multiples alertes de virus se transmettant par voie d’air, les autorités ont été jugées fautives par le Conseil d’État. Mais aucune responsabilité n’a été précisément établie concernant les personnes mortes des conséquences de leur action car après tout c’est aussi la faute à pas de chance quand on chope le Covid et parce que les dites autorités ont quand même montré leur bonne volonté pour lutter contre l’épidémie en promouvant largement la distanciation physique et le lavage des mains. Voilà qui pose problème. Car la distanciation physique et le lavage des mains ne contribuent pas vraiment à la réduction des risques Covid. Pire, les efforts qui leur sont dédiés sont divertis du cœur du problème : la transmission par aérosols, qui nécessite port du masque et aération des locaux. Et depuis deux ans et demie, ce cœur de la réduction des risques est sous-estimé ou ignoré et nous perdons « la bataille de l’air ».

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mardi, 29 mars, 2022

Le Piège identitaire

Le-piege-identitaire.png, mar. 2022Le Piège identitaire. L’Effacement de la question sociale, Daniel Bernabé, traduit de l’espagnol par Patrick Marcolini avec Victoria Goicovich, L’Échappée, 312 pages, 20 €

En 2018, le journaliste et essayiste Daniel Bernabé publiait en Espagne un ouvrage critique des tendances de la gauche à servir les besoins de reconnaissance des minorités tout en abandonnant toute prétention à lutter contre l’organisation socio-économique qui permet l’exploitation des travailleurs et travailleuses. Résumé comme ça, le livre semble rejoindre le lot de ces nombreuses imprécations moqueuses et convenues contre les « racialisateurs », les féministes post-modernes ou les poses de la bourgeoisie de gauche dans l’espace public. Mais l’exercice est bien plus subtil et cette publication, traduite et légèrement adaptée au contexte français de 2022 par Patrick Marcolini (1), est une réussite. Car il ne s’agit pas pour l’auteur de déclarer la nullité des demandes des groupes sociaux minorisés (femmes, personnes non blanches, LGBT, etc.) mais de les articuler à une critique sociale plus large et vigoureuse, celle d’un capitalisme en roue libre, qui ne rencontre plus guère d’opposition dans les sociétés européennes.

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mardi, 25 janvier, 2022

Harcèlement moral en milieu anti-tech

frederique-vidal.jpeg, fév. 2022Écrire et publier, sur quelque support que ce soit, c’est s’exposer. Aux désaccords diversement exprimés mais aussi à des attaques personnelles, ce qui est plus regrettable. Il y a quelques années j’ai fait l’objet d’une telle attaque. Trois pages d’une méchante brochure étaient consacrées à montrer quelle raclure j’étais : opportuniste et arriviste, je n’écrivais jamais que pour faire une carrière d’autrice « radicale », changeant de cheval au gré des modes militantes, au fond « jalouse » de l’auteur du libelle. Après une réponse en privé, où j’avais mis en copie d’autres personnes attaquées dans le texte, et bien que j’aie été souvent tentée de rétablir un peu de vérité parmi des mensonges très factuels et mesquins, je n’ai jamais pris la peine de commenter cette brochure autrement que par des allusions ici-même. Je connais Thomas J, l’auteur de ces malheureuses pages, depuis 2008 et notre passage chez les jeunes écolos alternatifs et solidaires, une asso soutenue par les Verts puis EELV. J’ai de lui une opinion très mélangée : un homme arrogant mais intéressant, un militant très actif et efficace mais qui a pris des partis douteux, un auteur qui se flatte de comprendre « le » féminisme et « le » Islam sur lesquels il écrit des textes haineux et de faible tenue (on a là le 100 000e islamologue du pays) mais qui documente honnêtement le déferlement technologique dans sa région, une personnalité que j’ai découverte tardivement narcissique et au fond fragile, dont l’écriture carbure à la haine, prenant des cibles pas toujours choisies avec la plus grande sagacité.

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mercredi, 30 juin, 2021

Féminisme : se ressaisir des questions économiques

Quand certains hommes croient devoir commenter l’actualité du féminisme, c’est pour dire quelles sont les bonnes idées et les mauvaises, les bonnes féministes et les mauvaises, ce à quoi le féminisme doit s’intéresser (pas à remettre en question leur confort et leur pouvoir). Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises féministes, il n’y a que des questions à discuter, des choix qui peuvent être interrogés et parfois des propos regrettables. Aujourd’hui j’ai envie de mettre l’accent sur un chantier qui a été un peu délaissé mais qui semble resurgir. Cela ne signifie pas qu’il soit plus important que d’autres qui ont plus été au centre de nos préoccupations ces dernières années. Au contraire, tout s’imbrique, la réalité matérielle est une conséquence des représentations genrées et des injonctions sexistes, les violences sexuelles se nourrissent des violences économiques. Mais ces questions économiques se rappellent à notre attention (1).

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mercredi, 9 juin, 2021

La prévention et la responsabilité, c’était nous

Le minibus filait sur l’autoroute, ramenant à Paris les dernier·es participant·es d’un séminaire écologiste. Sur l’un des ponts autoroutiers, ce slogan d’Extinction Rebellion : 48 000 morts prématurées sont dues chaque année à la pollution de l’air (1). Parce que ces morts nous importent, nous n’avons jamais proposé que les personnes fragiles restent chez elles pendant que nous autres (2) continuerions à polluer. Alors que les autorités nous opposaient une inertie coupable, nous proposions plutôt d’entamer ensemble une décroissance organisée et équitable des transports. La prévention et la responsabilité, la reconnaissance de notre interdépendance, c’était nous. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et nous, les écologistes, avons en partie rejoint la masse des jouisseurs qui refusent de négocier leur mode de vie, quand ce n’est pas les rangs d’une extrême droite libertarienne qui hurle à la « dictature sanitaire » quand sont prises des mesures collectives contre la circulation du Covid. À la dictature sanitaire, nous n’avons pas opposé de démocratie sanitaire mais un libéralisme sanitaire, pour le dire poliment.

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lundi, 5 avril, 2021

Nos plus belles leçons d’universalisme

l y a quelques jours, la polémique a fait rage autour du montage des extraits les plus racistes d’une émission des années 1990 mettant en scène une jeune femme noire dont le rôle était celui d’une potiche ironique. À propos de l’une des séquences, où celle-ci était comparée à un singe (oui), celle-ci prenait la parole en 2021 pour dire que l’ambiance dans l’équipe était très sympa et que c’était sa propre blague qui avait été utilisée dans l’émission. Les anti-racistes, qui avaient condamné les propos, étaient alors renvoyé·es à leurs pénates par les anti-anti-racistes (que j’appellerai ici pour simplifier : les racistes (1)) au motif que ce n’est pas raciste et Pepita en est juge puisqu’elle-même est une des « personnes les premières concernées ».

Contrairement à une majorité de personnes dont je partage l’engagement féministe ou les idées anti-racistes, je suis critique de la notion de « personnes les premières concernées » dont il faudrait sanctuariser les prises de position. Je ne propose pas non plus d’ignorer leurs propos mais de leur accorder une considération particulière car ils enrichissent considérablement le débat et car ils témoignent de situations en première ligne qui peuvent être douloureuses et qu’il appartient aux autres, dans une société démocratique, de ne pas négliger. Mais les sanctuariser ? Non, car non seulement ces personnes ne constituent pas un groupe homogène (dont tous les membres auraient le même statut social, le même revenu, le même lieu de résidence, la même nationalité, etc.) qui parlerait d’une seule voix mais surtout elles ont le droit, comme n’importe qui, d’avoir des idées qui leur sont propres, au-delà de l’expérience, singulière ou partagée, qui reste un substrat de notre pensée.

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dimanche, 7 février, 2021

Imbrication

imbrication.jpg, fév. 2021Jules Falquet, Imbrication. Femmes, race et classe dans les mouvements sociaux, éditions du Croquant, 2020, 302 pages, 15 €

Depuis plus de trente ans, la sociologue Jules Falquet travaille sur les mouvements féministes et lesbiens en Amérique latine et dans les Caraïbes (ou Abya Yala, un terme autochtone qui se diffuse sur le continent). Imbrication est un riche recueil d’articles réécrits à partir de ses travaux antérieurs sur divers terrains de recherche : avec des militantes salvadoriennes peinant à faire valoir leurs droits auprès de leurs camarades révolutionnaires ; avec des Indiennes du Chiapas qui édictent leurs droits en tant que femmes malgré des conflits de loyauté avec leurs communautés ; autour d’un collectif d’intellectuelles lesbiennes noires aux États-Unis qui observent l’imbrication de rapports sociaux qui leur sont tous défavorables ; avec des féministes noires posant les bases de leur engagement au niveau continental ; avec des féministes latino-américaines observant l’ONGisation de leur mouvement. Ce sont toutes des femmes en lutte mais majoritairement des intellectuelles (lesbiennes, ce que rappelle Falquet, qui se présente elle-même comme lesbienne, blanche et appartenant à la petite bourgeoisie académique) et même si leurs débats semblent nourris d’expériences militantes et d’organisation populaire, il n’est pas toujours facile de comprendre le lien entre théorie et pratiques.

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dimanche, 13 décembre, 2020

La force des témoignages

Depuis quelques années, j'assume sur ce blog une parole parfois intime mais toujours politique. Parce que ce que nous fait, à chacun·e d'entre nous, la vie compte aussi pour dire la violence de notre organisation sociale. La manière dont les plus faibles sont méprisé·es, exclu·es, broyé·es est un coup de loupe sur ce que nous vivons tou·tes : une dépossession de nos vies sous un régime politique autoritaire et inégalitaire, à la puissance multipliée par les techniques (y compris les techniques de gestion), au service de l'accumulation du capital et nourri de haine des autres et de soi. Je suis de celles et ceux qui pensent que cette violence se déploie jusque dans notre psychisme et nos rapports intimes et que c'est important d'en parler au plus près de nos expériences. C'est pour ça que j'ai choisi (après quelques hésitations) de mettre en lumière deux témoignages très différents, celui de Gabrielle Deydier sur la haine pour les personnes obèses et celui d'Antonin Richard, sauveteur en mer.

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lundi, 9 novembre, 2020

Justice d'État, justice populaire

Comme beaucoup de féministes, j'ai été effarée de voir entrer le harcèlement de rue dans le droit, sous la forme de contraventions pour « outrage sexiste » en l'absence de plainte des personnes victimes et à l'appréciation de la seule maréchaussée. C'est potentiellement le flic qui bat sa femme et qui fait des blagues sexistes devant sa collègue, soit un vrai spécialiste de la question, qui décide si la manière dont on vous a adressé la parole est bien sexiste. J'ai alors découvert que c'était le cas de toutes les violations de la loi sanctionnées par l'État. Vous pouvez bien porter plainte mais ce sera soit pour demander des dommages et intérêts dans le cadre d'un procès civil, soit pour attirer l'attention de l'État sur un délit ou un crime dont il jugera de la gravité non pas au regard de ce qui vous est arrivé mais au regard du bien public, soit de son bien à lui.

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