Retraites : où est la vraie démocratie ?

Samedi dernier à la manif, l’ambiance était morose dans le cortège contre la réforme des retraites. Et dans les conversations des gens qui ne prennent pas la peine de venir, j’entends beaucoup cet argument selon lequel la question se réglera lors des prochaines élections. Comme si les élections ne se jouaient pas sur d’autres sujets. Comme si la rue ne gouvernait pas à partir du moment où un mandat était accordé par une élection. Dans la tête de beaucoup de monde, l’élection dresse la feuille de route du gagnant de la course à l’échalote et des mini-gagnant·es de la mini-réplication en 577 exemplaires. D’ailleurs, pour une fois, la réforme majeure du quinquennat était annoncée (d’habitude ils ne prennent pas cette peine, en 2017 par exemple un vague programme macroniste avait été improvisé trois semaines avant le scrutin). Une fois n’est pas coutume, elle l’a été en 2022, en pire, puisqu’elle prévoyait un départ à la retraite à 65 ans. En théorie, donc, les personnes qui ont comme moi voté pour empêcher l’accession au pouvoir de pire encore ont plébiscité cette réforme qu’aujourd’hui une majorité écrasante refuse… et refusait déjà durant la campagne électorale (1).

En vrai, il ne vous a pas échappé que lors d’un vote les électeurs et électrices donnent un mandat si large que l’on peut parler de chèque en blanc. Ce n’est pas le constat d’une gauchiste énervée, c’est le principe qui gouverne la Constitution. Le gouvernement sous lequel vivent la plupart des pays occidentaux est fondé sur la représentation du peuple, une forme politique mixte qui a des caractères aristocratiques et d’autres plus démocratiques. Les caractères peu démocratiques du mandat électoral sont, par exemple, la possibilité de se faire élire avec un programme et d’en appliquer un autre où apparaissent mystérieusement contrat première embauche ou loi travail. Ou bien de prendre son mandat sous le bras pour aller siéger avec un autre parti que celui pour lequel on a été élu·e. On voit des exemples de cela jusqu’au Parlement européen, une institution plutôt récente dont les membres sont élu·es par un scrutin de liste, soit pas du tout pour leur personnalité unique et singulière. D’où vient donc un tel mépris des personnes qui prennent la peine d’aller, en un geste de grand optimisme, poser leur bulletin dans l’urne ?

Lors de la Révolution, l’indépendance des élus face à leurs électeurs a été choisie contre des formes plus démocratiques, par exemple le mandat impératif qui oblige l’élu à suivre le programme sur lequel il a été élu. La République choisissait de faire confiance à la capacité de délibération de l’Assemblée et postulait qu’après un bon débat il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Elle permettait donc aux âmes supérieures qui peuplent les hémicycles et y confrontent leurs arguments de se construire un avis plus solide, voire franchement différent, et de prendre des libertés avec leur mandat. De là vient que les parlementaires en France ne sont tenu·es ni à leurs électeurs et électrices, ni à leur parti.

Cette semaine le groupe macroniste au Parlement a pourtant menacé d’excommunication ses membres qui ne soutiendraient pas la réforme des retraites. C’est une ironie assez déplaisante car c’est oublier l’esprit de la représentation… pour une fois qu’elle se rapproche de l’idée fantaisiste de prendre en compte la voix des administré·es. Ce durcissement du pouvoir a lieu après un débat qui pour une fois a mis en scène sans succès sur les chaînes télé des millionnaires la voix de la raison des éditorialistes proches du Medef contre les émotions des gens un peu cons comme vous et moi. Malgré le poids écrasant des voix en faveur de la réforme, toujours promptes à conspuer les « Gaulois réfractaires » ou à saluer les pertes de recettes des caisses qui paient nos retraites, le débat public a su faire évoluer l’opinion. Une moitié de cadres et de plus de 65 ans défavorables à la réforme, deux tiers de la population générale qui n’en veulent pas, ça ne tombe pas du ciel, ça vient d’un débat où le gouvernement a été pris en flagrant délit de mensonge, d’utilisation d’arguments trompeurs et ou il a en somme été visible qu’il prenait les gens pour des imbéciles, pendant que les opposant·es arrivaient à convaincre.

Les lignes ont bougé et, en toute logique représentative, les député·es sont invité·es à en prendre acte et à changer d’avis, d’autant plus que, contrairement au président, ils et elles ne prendront pas de retraite dorée en 2027 dans les conseils d’administration de multinationales qui distribuent 12 milliards d’euros de profit par an à leurs actionnaires. Ils et elles voudront peut-être être réélu·es.

Ça, c’est la théorie de la représentation. En vrai, personne ne va payer sa position sur le débat des retraites, ni même son absence de position comme le RN, parti du capital déguisé en parti du peuple, qui aurait trop à perdre à dévoiler la moindre proposition un peu étayée. Les prochaines élections sont encore trop loin et se jouent sur trop de sujets différents, le principal étant désormais : pour ou contre l'extrême droite ?

Être dans la rue, malgré le mépris, malgré l’impuissance, c’est s’inscrire dans un cadre d’action bien plus démocratique que la situation actuelle, héritée d’un coup d’État soft en 1958 (2) : un régime aux caractères monarchiques très prononcés où une élection unique, désormais jouée à un tour et bien hasardeuse (3), structure toute la vie politique. Et le désir très clair d’écraser toute opposition. Si le gouvernement représentatif est aujourd’hui à la rue, la vraie démocratie est aujourd’hui dans la rue.

(1) Le candidat-président a commandé nombre de sondages qui le lui ont confirmé. Christophe Gueugneau et Antton Rouget, « Retraites : Macron contredit par ses sondages de campagne », Mediapart, 14 mars 2023.
(2) Histoire secrète de la Ve République, dir. Roger Faligot et Jean Guisnel, La Découverte, 2007.
(3) Hazardous signifie aussi dangereux en anglais.

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