La moindre étincelle

ou Résumé subjectif des années Covid

Il y a trois ans, les politiques de santé publique, pourtant jusque là maltraitées par des gouvernements néolibéraux, nous étaient imposées pour cause de crise sanitaire à un degré de coercition jamais vu. Celles et ceux qui étaient confiné·es chez soi étaient nourri·es d’appels à la solidarité pour celles et ceux qui trimaient dehors, infirmières et premières de corvée. Nous redécouvrions, après un moment d’hallucination et d’indignation, des gestes très anciens comme la quarantaine et le confinement, avec leur coût humain, social et économique élevé. Solution de dernier recours qui fut appliquée docilement mais critiquée en particulier pour l’arbitraire et la violence avec lesquelles elle fut mise en œuvre.

S'ensuivirent jusqu’en décembre 2021 des politiques sans cesse changeantes, coups de bride violents à chaque pic et laisser-aller à chaque tassement de courbe. Dès juillet 2020, nos efforts du confinement étaient gaspillés sur l’autel de l’économie et notre douleur n’avait eu qu’une utilité passagère. Une fois le vaccin imposé autoritairement et non sans désinformation sur sa capacité à réduire les contaminations, il devint un moyen de protection des populations privilégié sur tous les autres et les pics de contamination purent atteindre un million de personnes par semaine dans l’indifférence générale en décembre 2021 puis juillet 2022. Et cela malgré un nombre de morts atteignant la centaine par jour et malgré des savoirs déjà établis sur la prévalence des Covid longs. À l’été 2022 le public français prenait pour la première fois connaissance de l'ampleur du phénomène : 20 % environ de contaminations se développent ou persistent sous forme chronique parfois handicapante pendant plus de 18 mois. Mais ce sont majoritairement des femmes qui en souffrent, il n’y a pas mort d’homme. Le constant stop and go gouvernemental, imposé pendant presque deux ans, ne prenait pour repère que l’engorgement d'un hôpital public par ailleurs privé de moyens. Cette politique de santé publique fondée sur le tout vaccin et la seule réponse à l’urgence refusait de créer une culture de la prévention solide et stable. Dès le début de la crise, les moyens de se protéger et de protéger les autres du Covid firent l’objet d’une information douteuse, pour ne pas dire mensongère, concernant le mode de contamination par aérosols ou l’utilité des différents masques. Et malgré des savoirs sur la contamination stabilisés très tôt, dès juin 2020, le gouvernement français n’a pas cessé sa désinformation. À l’automne 2022, par exemple, des spots de publicité du ministère de la santé ou de ses agences expliquaient aux personnes fragiles la nécessité de se protéger par le port de masques chirurgicaux qui permettent de ne pas contaminer les autres mais ne protègent quasiment pas le porteur. L’absence de toute stratégie de protection collective dès le printemps 2022, avec l'abandon du port du masque obligatoire dans les transports en commun, fait aujourd’hui presque consensus, à l’exception peut-être des personnes qui se savent fragiles, immunodéprimées notamment, lesquelles sont désormais abandonnées à leur sort. La réponse à cette politique-là, à son mépris pour nos vies comme à son autoritarisme, ce fut le complotisme de l’extrême droite et de groupes politiques de gauche et écologistes qu’on avait connus plus affûtés ou bien la guerre des générations, chacune pouvant s’estimer sacrifiée à la santé des autres, dans un contexte où les intérêts de classe n’ont pas disparu. Malgré le récit d’une crise sanitaire achevée, nous avons pu découvrir le soin des élites économiques à se protéger, elles. Au forum économique et social de Davos, en janvier 2023, les grands de ce monde, qui n’aiment pas plus que le vulgaire porter un masque, mettaient en œuvre tous les autres moyens de réduction des risques : test obligatoire à l’entrée, purification de l’air, port du masque par les larbins. Nous, nous respirons toujours dans les bâtiments publics un air recyclé mais pas purifié, les investissements étant trop élevés. En France, dès le 1er février de la même année, les gueux sont invités à aller travailler avec le Covid, la quarantaine n’est plus obligatoire et les jours de carence pour un arrêt maladie sont rétablis. Le « quoi qu'il en coûte » de mars 2020 n’a pas sauvé l’hôpital ni la santé publique. Aujourd'hui 40 % des Français·es vivent dans un désert médical, faute de moyens dédiés à leurs soins. Les budgets publics alloués généreusement aux entreprises n’ont jamais été fléchés vers les personnes touchées par la précarité. On espérait seulement qu’ils ruisselassent. Des quelques aides alimentaires distribuées au plus fort de la crise, il ne reste que les plus dégradantes et qui ne permettent pas de choisir son alimentation alors que par ailleurs la précarité alimentaire croît et que 40 % d'entre nous ont une alimentation contrainte, souvent contradictoire avec nos aspirations à des modes de production plus écologiques et moins dépendants du marché des hydrocarbures. L’argent public reste généreusement alloué à des entreprises, du énième plan France Relance aux diverses exemptions d’impôts et de cotisations. C’était le cas avant la crise sanitaire, avec l’équivalent de 31 % du budget de l’État en 2019 ruisselant sur les entreprises, surtout les plus grosses, et c’est sans doute plus aujourd’hui. Le tout sans contrepartie, pas même la capacité à produire. La France est avec Malte et le Luxembourg le pays avec le moins de capacités productives d’Europe mais nous payons collectivement des champions capables de faire les plus grosses fortunes mondiales ou, comme Sanofi, de ne jamais livrer de vaccin Covid, et restons dépendant·es de chaînes de production longues et fragiles. Le rêve du plein emploi justifiait aussi bien la course en avant productiviste et la dégradation de notre milieu de vie que cette prédation des ressources publiques. Mais que le chômage baisse trop et l’on comprend qu’il s’agit surtout d’offrir au capital une main d’œuvre bon marché, sous la menace de la perte du peu qu’elle a pour vivre. Les profits explosent, comme après la crise de 2008 où les États s’étaient aussi engagés « quoi qu'il en coûte » pour sauver une économie toxique, productrice d’inégalités et néfaste à la vie. Nous avions payé 2008, nous payons 2020, avec la destruction systématique des services publics et les attaques contre notre retraite et nos allocations chômage, accusées de coûter trop cher aux riches et aux puissants. Le divertissement coule à flots pour éviter de parler de choix de société et les gauchistes cathodiques polémiquent devant une bourgeoisie de droite plus ou moins moderne, le tout arbitré par les héritiers de ceux que nous avions exécutés en 1945. Nous sommes gavés de marchandises cheap, du sucre et des jeux, la voiture pour aller trimer parce que le métro est encore en panne ou que ses bétaillères sont surchargées, et les stratégies de distinction d’une consommation compensatoire nous divisent en couches qui, malgré des bénéfices matériels bien différents, sont toutes aussi frustrées et malheureuses. Et pour peu que, trahi·es comme toujours par notre représentation politique, nous allions porter dans la rue notre refus de ces vies-là, les seules hausses de budgets publics sont consacrées à la militarisation de la police et à la répression de nos dernières libertés civiques. Parce qu’ils sont les garants de l’ordre économique et du business comme si l’humanité ne rencontrait pas le mur des limites écologiques de son habitat, les ministres nous préviennent qu’ils ne feront rien pour éviter une trajectoire climatique à 4° alors qu'à 1,5° nos rendements agricoles sont déjà très incertains et que les canicules estivales tuent les plus fragiles. Mais la « bonne » nouvelle, c’est que de cela précisément nous avons appris à ne plus nous émouvoir.

Trois années de peur, de dégoût, de colère, de haine contre ceux qui semblent nous dire : « Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent ma merde. » Au bout de ces trois années (sachant que le monde d’avant me répugnait déjà) j’ai parfois envie de me taire, submergée par la convergence des violences de l’État et du capital. Comme si c’était trop à la fois, trop pour dire et trop pour lutter. Mais j’ai un dernier mot pour nos ennemis de classe : comme des millions, j’attends la moindre étincelle.

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