Covid-19, une pandémie si moderne ?

523px-Paul_Fürst,_Der_Doctor_Schnabel_von_Rom_(Holländer_version).png, juil. 2021La pandémie de Covid-19 s’est propagée à une vitesse jamais vue, la vitesse des classes les plus mobiles, au mode de vie le plus globalisé, de nos sociétés. Son origine est encore incertaine mais, qu’il s’agisse d’une fuite d’un labo P4 ou d’une zoonose (maladie se transmettant de l’animal à l’humain, c’est le cas de 75 % des maladies émergentes contre 60 % des maladies infectieuses classiques) due à la destruction d’écosystèmes, elle a des causes qui tiennent bien à notre modernité industrielle. Voilà qui converge avec la critique d’une partie des critiques de la technique et autres écologistes radicaux et radicales.

Mais outre ces quelques éléments, cette pandémie a des airs plus familiers – que nous pensions ne plus jamais connaître, nous qui vivons dans des sociétés industrielles et très médicalisées. Les maladies infectieuses ont beaucoup reculé au XXe siècle, notamment en raison de la vaccination, et les maladies du mode de vie les ont remplacées : maladies cardio-vasculaires, diabète, cancers sont nos maladies de riches. Et nous voilà de nouveau vulnérables à ces maladies de pauvres.

Pire encore : la théorie des miasmes est de retour. La science moderne avait établi que beaucoup de maladies se transmettaient par les surfaces et la désinfection des mains a sauvé plus de personnes qu’aucune technique médicale high tech. Las, il faut faire le deuil de ce progrès et revenir à une représentation très ancienne : certains virus se propagent par les aérosols, c’est le cas de celui-ci. (On le sait paradoxalement grâce à une recherche médicale de pointe et le temps perdu à le comprendre est l’une des graves fautes de ce gouvernement (1).)

Lors du premier confinement, beaucoup ont pu être choqué·es par une méthode de protection des populations si archaïque. Se mettre en quarantaine, se confiner, c’est bien le sort commun de l’humanité. Dans son ouvrage sur l’« histoire profonde des premiers États », James Scott décrit les premières villes du Néolithique comme des bombes virales, dans lesquelles la protection contre les maladies infectieuses était une préoccupation majeure. Pendant des siècles, les voyageurs ont fait étape dans des lazarets, en quarantaine le temps d’établir leur innocuité. Les confinements étaient la réponse classique à des épidémies qui sévissaient en ville comme dans les campagnes. Patrick Boucheron, dans son cours au Collège de France sur la peste noire, décrit le confinement de Marseille en 1720-21 et les habitant·es qui se parlaient depuis le pas de leur porte, bien avant les apéros Skype.

Or, depuis plus d’un an, les discours écologistes radicaux semblent ignorer tout cela. C’est une myopie regrettable car si la crise sanitaire a été l’occasion d’un déferlement technologique sans précédent, ni le confinement, ni le port du masque (voir l'illustration) ne sont propres à nos sociétés industrielles. À l’instar des libertarien·nes US et des individus des sociétés libérales bien campés sur leur droit à la jouissance quoi qu’il arrive aux autres, beaucoup trop d’anti-tech ont critiqué sans discernement des outils très low-tech de protection des populations, les mettant dans le même sac que d’autres dimensions bien plus politiques de la gestion de la crise sanitaire (la concentration des pouvoirs, la répression inéquitable, les arbitrages douteux entre vie sociale et économie, les échanges à distance et la numérisation de nos vies, etc.).

Le vaccin est une autre différence majeure d’avec les épidémies des sociétés préindustrielles. Son économie, ses risques au regard d’une évaluation exceptionnellement courte, ses bénéfices et notre incapacité collective à le proposer aux pays du Sud pourraient faire l’objet de débats. Mais avec qui ? Avec celles et ceux pour qui il était vital de conspuer le port du masque et le principe du confinement ? Aujourd’hui la start-up nation fait le pari du tout vaccin et de l’obligation vaccinale pour mieux laisser ouverts bars, restaurants et lieux de spectacle, leur fermeture étant une technique de lutte contre la pandémie désormais trop simple et trop « coûteuse » (2). Il me semble plus facile de critiquer l’autoritarisme du pass vaccinal quasi-obligatoire (3) quand on a défendu des techniques immémoriales et éprouvées de protection des personnes que quand on n’a rien proposé d’autre que le déni et la mauvaise foi.

Illustration : Médecin durant une épidémie de peste à Rome au XVIIe siècle (gravure de Paul Füerst, 1656) : tunique recouvrant tout le corps, gants, bésicles de protection portées sur un masque en forme de bec, chapeau et baguette. Le surnom « Doctor Schnabel » signifie « docteur Bec ». Fichier et légende Wikimedia.

(1) J’entends beaucoup ces temps-ci qu’on « ne pouvait pas savoir ». L’état des savoirs était établi à la fin du printemps 2020 et l’OMS a dû faire un virage en juillet de cette même année. Rozenn Le Saint a consacré un article à cette question en juin 2021.
(2) La vaccination « garantit la sécurité sanitaire de tous. Elle nous permettra de retrouver le plus rapidement possible une vie normale, de la croissance, des emplois et de l’activité », selon Bruno Le Maire, ministre de l’économie (Le Parisien, 2 juillet 2021).
(3) Stéphane Lavignotte le fait ici très bien en rappelant les oublié·es de la campagne vaccinale et de la santé publique. J’ajouterais néanmoins que j’ai vu trop d’écolos de la petite bourgeoisie refuser de comprendre la notion même de santé publique, façon « Je fais ce que je veux, c’est mon corps », comme s’ils vivaient sur une île déserte et ne devaient vraiment rien à personne.

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