De l’obligation vaccinale en désert médical

Depuis que la ligne de train a été fermée, le car met presque deux heures pour aller à Châteauroux, à soixante kilomètres de là en traversant le Berry du sud, les terres de George Sand. La petite Fadette, la mare au diable font signe au passage, pas plus subtilement que le panneau marron qui évoque la dame de Nohant entre les foins pas encore rentrés et les champs de céréales. Mon amie Isabelle, qui vit au croisement du Cher, de la Creuse et de l’Allier depuis quatre ans, me dit se sentir mieux physiquement qu’à Lille, où elle et son compagnon ne trouvaient plus à se loger pour cause de précarité économique. En y repensant, je me dis que c’est heureux. Car cette jolie région agricole, où chaque bourg avait son champ de foire et qui est l’objet d’un petit renouveau de l’agriculture paysanne, est aussi ce qu’on appelle un désert médical. La petite ville où habite mon amie, avec ses deux boulangeries et son petit musée, est désormais à une heure de voiture du premier médecin disponible. Celles et ceux qui exercent aux alentours, jeunes ou vieux, sont débordé·es et ne prennent plus de nouveaux patient·es. La « maison médicale » ? Construite dans le cadre d’un programme étatique appelé « revitalisation du centre-bourg », elle est sous-occupée, il n’y a que deux infirmières surmenées qui ne sont pas en mesure d’établir des diagnostics et de prescrire un médicament (1), même pour un rhume. Le dernier médecin, une Roumaine qui a repris une patientèle à grands frais pour elle et une belle commission pour l’intermédiaire qui était allée la chercher en Italie, est partie sans chercher de repreneur, épuisée par la masse de travail et sans doute trop isolée dans cette campagne qui n’est pas la sienne (2). Les ancien·nes consultent encore les rebouteux ou le prêtre exorciste, les « néo » un peu « alterno » font appel à des naturopathes, à leur frais et sans garantie de succès. En cas d’urgence, aucun médecin du coin n’intervient et il ne reste plus qu’à filer aux urgences de l’hôpital.

Alors mon amie l’a mauvaise quand on lui parle de santé publique, qu’on lui dit que nous sommes « tous responsables » et qu’il faut comprendre que les contraintes imposées à chacun·e par la crise sanitaire servent l’ensemble de la société. Et que si elle ne comprend pas, pas grave, on la forcera. Isabelle est loin d’être une conspirationniste, coincée par les algorithmes de Facebook ou de YouTube dans des contenus à sensation. Les mecs « pas dupes » qui comprennent paraît-il beaucoup mieux que les « moutons muselés » la marche du monde, elle n’a aucune sympathie pour eux. Les musiques ténébreuses des vidéos complotistes n’ont pas plus de succès auprès d’elle qui préfère, et de loin, les livres. Plutôt de la littérature mais elle lit avec intérêt la presse. Après un cursus de philosophie, elle est devenue éditrice, libraire puis bibliothécaire, toujours précaire. Elle porte son masque avec application quand ça lui semble nécessaire et comprend la nécessité de protéger les personnes dans les lieux publics. Elle ne prend pas le métro, ni le train (il n’y en a plus) ni ne voit plus, comme beaucoup de mes ami·es, la différence entre confinement et déconfinement. Quant aux sorties dans les bars et les restaus, il n’y en a plus guère dans le coin et ils sont trop chers pour son budget serré. Localement elle ne connaît qu’une personne qui a fait un Covid (léger) mais elle a vu passer les conséquences de la pandémie : la fermeture d’un sentier de randonnée pendant le confinement, l’obligation du port du masque en plein air même pour les gosses dans la cour de récré, toutes mesures douteuses ou contre-productives, pendant que les écoles n’étaient pas équipées pour mieux gérer le renouvellement de l’air intérieur, que les masques restaient aux frais des familles et que la possibilité de faire classe dehors n’était pas utilisée. Elle n’a plus du tout confiance dans « les autorités », préfets, maires ou même adjoint·es mal informé·es mais investi·es du pouvoir de dicter n’importe quel protocole sanitaire (3). Le vaccin ? Elle a lu tout et son contraire et, comme moi, elle ne sait pas trop quoi en penser mais se moque des imbéciles qui savent, eux. L’évaluation avant la mise sur le marché a été un peu rapide, les bénéfices ne sont pas les mêmes pour les personnes fragiles et les autres… Elle hésitait, simplement. Maintenant elle est tellement énervée que la liberté de disposer de son corps, revendiquée par les anti-vax, lui semble un argument bien sérieux (4).

Lundi 12 juillet, quand Macron a expliqué en toute bienveillance, inclusivité et résilience aux mal-comprenant·es qu’il leur fallait se faire vacciner ou se voir privé·es de vie culturelle ou sociale mais également de l’accès aux transports longue distance et aux centres commerciaux, deux tiers d’adultes en France étaient vacciné·es. Après six mois de campagne vaccinale et une longue liste de ratés, en commençant par l’incapacité à faire assurer les réservations par l’Assurance maladie et son tissu serré de soignant·es, au profit d’un acteur à but lucratif dont les données – les nôtres ! – font l’objet d’autres convoitises encore que la sienne et de fuites malveillantes. Et voilà que dix jours après la déclaration télévisée de notre prix Nobel de médecine élyséen, il faudrait avoir vacciné le dernier tiers ou bien… Que la campagne vaccinale ralentisse à peine et ce président, au lieu de s’appuyer sur des expériences concluantes fondées sur le dialogue, sort la trique. Oui, ce président qui a convaincu huit millions à peine d’électeurs et d’électrices il y a quatre ans. Ce président qui a continué à détruire nos capacités hospitalières alors que la crise sanitaire était déclarée par l’OMS et qui n’a pas même suspendu son travail de sape. Ce président qui a systématiquement arbitré en faveur de l’économie aux dépens de nos vies depuis janvier 2020. Ce président qui décide tout seul dès qu’il n’est pas d’accord avec l’avis du nouveau corps d’expert·es dont il a choisi seul de s’entourer. Ce président qui après un confinement extrêmement coûteux humainement nous impose, plutôt qu’une stratégie zéro Covid pour capitaliser sur cet effort, des stop and go inefficaces et aussi délétères pour la vie sociale que psychique – dont ce dernier : le 30 juin les bars et restaurants sont autorisés à faire le plein en intérieur, au mépris du bon sens (mais au bénéfice des comptes publics), et le 12 juillet le variant delta (surprise !) oblige à resserrer la vis.

Oui, ce président fait des leçons de civisme à ma copine Isabelle, dont la fille de 5 ans, privée de tout suivi médical, est à une heure de route du premier médecin disponible.

« C’est comme s’il coupait en deux la société », me dit-elle. « C’est lui le principal artisan du séparatisme qui dit qui sont les bon·nes vacciné·es et les méchants anti-vax mais ce clivage est artificiel ! » En pointant du doigt un tiers d’adultes dans ce pays pour leur irresponsabilité car ils seraient coupables de ne pas avoir accouru sur quelques créneaux Doctolib, Macron se trouve un énième responsable de ses choix condamnables, toujours en faveur de l’argent et de ceux qui en ont au dépens des personnes, toujours toxiques pour une société qui aimerait tenir ensemble. Après les grands méchants « populistes » (qui ont le droit de se présenter aux élections mais il est interdit de voter pour eux, allez comprendre), les grands méchants Gilets jaunes mutilés et éborgnés, les grands méchants universitaires islamo-gauchistes, les grands méchants séparatistes qui ont le culot de ne pas être macronistes, voici les grands méchants anti-vax qui étaient hésitant·es, critiques, résolument contre ou n’ont pas pris leur rendez-vous à temps, trop occupé·es à planifier leurs vacances. Bouuuh ! Voilà qui devrait faire oublier la casse de l’hôpital, les mensonges sur les masques, le déni de l’aérosolisation, le dîner privé à dix pendant le deuxième confinement ou les 14 000 mort·es les plus évitables de février et mars 2021, soit les nombreuses casseroles de celui qui se prétend assez malinou pour décider de tout tout seul.

Sauf qu’à trop cliver, à trop mépriser, à trop cracher à la gueule des gens qui ne sont « rien » ou que « du Comorien » ou du Berrichon, il y a bien des baffes qui se perdent et le larbin des milliardaires ne s’est pas trop distingué par sa capacité à les voir arriver.

(1) Aux USA une nurse practitioner, infirmière avec un niveau master, peut diagnostiquer et traiter un problème de santé simple et doit adresser les cas plus douteux ou complexes à un médecin. En France où seuls les médecins ont le droit de traiter des angines, on a le meilleur soin pour tou·tes… en théorie. 
(2) La fille d’une autre de mes amies a subi de plein fouet la réforme des universités. Déjà rescapée de Parcoursup, elle est tombée sur la première première année de médecine qu’il est impossible de redoubler. C’est à dire que les redoublant·es de l’année précédente ont pris lors des examens de la session 2021 la plupart des places (80 % des médecins actuellement en fonction ont redoublé leur première année) et que les étudiant·es entré·es en 2020 n’ont pas eu le droit de redoubler de même. Une génération sacrifiée dans un contexte de numerus clausus incapable depuis quelques décennies de former assez de médecins pour répondre aux besoins d’une partie de la population. Cuba et la Roumanie, qui nous prêtent leurs soignant·es, ont les moyens de former des médecins mais nous non, on est soit trop bêtes soit trop pauvres. 
(3) L’an dernier pendant le confinement toutes ces autorités ont fait assaut de bêtise, dictant des règles intrusives comme l’interdiction de vente d’alcool contrairement à l’avis des addictologues. J’en avais dressé un petit tableau ici.
(4) Je trouve cet argument fondamentalement amoral. Les informations à ce sujet sont hélas rares (Adioscorona.org ne communique pas dessus) mais il semble bien, selon le Center for Disease Control, que les vaccins réduisent le risque de transmission du Covid, bien que leur principal bénéfice tienne plutôt à la réduction importante du risque d’infection pour les personnes vaccinées elles-mêmes. D’autre part, les personnes qui prennent le risque de tomber malades sont prises en charge par la collectivité. Des soins intensifs pour une seule personne obligent à déprogrammer plusieurs dizaines d’opérations et ont des conséquences sur la vie d’autres personnes. Pour être conséquent·e il faudrait suite à un refus de vaccin accepter de ne pas être soigné·e en cas de besoin, quand bien même on n’arriverait plus à respirer. C’est un soin autrement plus difficile à refuser qu’un traitement anti-cancéreux, déjà l’objet de peu de refus de soins. Avec celles et ceux qui mettent spontanément en avant leur liberté individuelle pour refuser le vaccin, il me semble plus intéressant d’échanger des arguments comme ceux-ci que de recourir à la coercition, et si ce n’est dans l’optique idéaliste et bien éloignée d’une société démocratique, au moins par respect pour les personnes.

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