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lundi, 14 juin, 2021

Promising Young Woman

promising.jpeg, juin 2021Promising Young Woman (USA-UK, 2020, 108'), Emerald Fennell avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Laverne Cox

Il est question dans cette chronique de viol et l’intrigue du film est largement dévoilée.

Voilà un film qui est presque passé inaperçu sur les écrans français, la faute peut-être à un mauvais marketing. « Thriller féminin et frais », c’est un peu fade pour un film féministe, réalisé par une jeune actrice et autrice, et qui s’attaque aussi frontalement à la culture du viol. Cassandra va avoir 30 ans, elle travaille sans enthousiasme dans un café et vit encore chez ses parents. Son passe-temps : prétendre être complètement ivre dans un bar ou une boîte, à la merci d’une belle âme qui la ramènera chez elle sans encombre. C’est la première scène du film : trois hommes la repèrent dans un bar. Le premier flaire la bonne affaire (une femme qu’on pourra violer sans difficulté ni remords), le second n’a pas de mots assez durs contre son comportement (s’être rendue vulnérable au viol en étant ivre et sans protection amicale), le troisième s’inquiète pour elle, la ramène chez elle… oh et puis non, chez lui où il essaie de la faire boire encore plus, lui servant une liqueur dégueulasse dans un verre trois fois plus rempli que le sien. C’est alors qu’il enlève sa culotte avec des mots rassurants pour une femme quasiment inconsciente que Cassandra se révèle très sobre et lui fait honte de son comportement. Pas de testicules méthodiquement découpées, simplement une femme qui exprime de manière claire son refus et son mépris pour un homme qui pensait profiter d’un viol acceptable.

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dimanche, 13 juin, 2021

Je n’existais plus

emprise.png, juin 2021Pascale Jamoulle, Je n’existais plus. Les Mondes de l’emprise et de la déprise, La Découverte, 2021, 300 pages, 22 €

L’ouvrage de Pascale Jamoulle, une anthropologue exerçant sur des terrains français et belges, est composé de cinq parties autonomes décrivant des situations d’emprise sur des terrains bien différents. Les premières sont consacrées au parcours très singulier d’une amie de l’autrice, entre violences sexuelles, emprise dans le couple et dans une organisation politique sectaire, puis à ceux, plus brefs, de femmes victimes de violences dans le couple. Les femmes prises dans ces relations disent à quel point elles « n’existent plus », ne sont plus en mesure d’exercer leur libre arbitre. Jamoulle s’attache aux caractères systémiques de l’emprise, au-delà de la rencontre entre deux personnes. Ces phénomènes d’emprise sont très marqués par la domination masculine et des représentations de mise à disposition (sexuelle, domestique, affective) des femmes. Celles-ci sont d’autant plus susceptibles de s’y engager qu’on socialise les filles à la docilité et au sacrifice de soi, dimension incontournable de l’amour dans les représentations traditionnelles.

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mercredi, 9 juin, 2021

Pauvre petit Blanc

Autour de Sylvie Laurent, Pauvre petit Blanc, Éditions de la MSH, 2020, 320 pages, 12 €

pauvre_petit_blanc.png, juin 2021« Amérique : L’exalter quand même, surtout quand on n’y a pas été. Faire une tirade sur le self-government. » Voilà ce qu’il fallait penser des États-Unis du temps de Flaubert. Aujourd’hui il est de bon ton de déplorer tout ce qui nous arrive d’Amérique du Nord avec dix ans de retard, un peu moins depuis que les idées traversent l’Atlantique en moins d’une seconde. C’est bien connu, tout ce qui nous vient d’Amérique, plus précisément des campus états-uniens, est haïssable. Le vulgarisateur de philosophie Pascal Bruckner n’avait il y a quelques semaines à la radio (1) pas de mots assez durs contre l’expression male gaze, forgée par Laura Mulvey dans les années 1970 et très en usage de nos jours chez les féministes françaises. Si l’on traduit comme il le fait gaze par regard, l’expression n’a pas lieu d’être utilisée en français, si ce n’est pour faire croire qu’on a lu Visual Pleasure and Narrative Cinema en VO. Sauf que le regard, c’est look en anglais, et que gaze est un regard appuyé qui correspond à notre verbe fixer. C’est un universel anthropologique (valable même au-delà de la barrière des espèces) : un regard appuyé est a priori agressif, on ne regarde pas autrui comme on regarde un bout de gras. C’est pourtant comme cela que les hommes s’accordent le droit de regarder les femmes, au motif de leur seul plaisir scopique et sans considération pour ce qui n’est que l’objet de leur regard. J’ai tenté un jour une traduction en français de male gaze, pour faire plaisir à Bruckner, et j’ai risqué relougarder, un mot-valise à la québécoise moyennement satisfaisant… Oui, c’est vrai que nous féministes utilisons beaucoup de mots et de concepts nés aux USA. C’est vrai que c’est parfois ridicule quand cela semble mal plaqué sur la France (le « pro-sexe » à la française, l’« inclusivité » à la française) ou que l’anglais est mal prononcé ou sert de critère de distinction sociale. Mais c’est vrai aussi que les USA accueillent beaucoup de chercheurs et chercheuses de partout, d’Amérique du Sud, d’Inde et même de France… Ça bouillonne et le résultat est partagé avec le monde entier.

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mercredi, 26 mai, 2021

Les Quichottes

couv-quichotteshd_0.jpg, mai 2021Les Quichottes. Voix de la Laponie espagnole, Paco Cerdá, traduit de l'espagnol par Marielle Leroy, La Contre-allée, 2021, 272 pages, 20 €

L’Union européenne est plus densément peuplée que l’Asie (99 hab/km²) ou l’Afrique (44 hab/km²) mais comme partout, la population y est inégalement répartie, se concentrant dans les grandes villes et sur les littoraux. L’Espagne offre un paysage démographique encore plus contrasté puisque le cœur du pays, une région montagneuse au nord et à l’est de Madrid, est aussi dépeuplée que la Laponie, la région la plus septentrionale de Scandinavie. La notion de Serranía celtibérica a permis de décrire ce qui ne sautait pas tout à fait aux yeux. Si elle était une région en soi, elle montrerait des indicateurs inquiétants mais à cheval sur huit provinces et une communauté autonome, la Laponie espagnole est restée longtemps discrète.

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mardi, 27 avril, 2021

Décroissance ou barbarie

C’est in extremis que j’ai pu me procurer un numéro de La Décroissance d’avril dans ma petite ville prospère, en bordure du bois de Vincennes, où l’on ne croise presque jamais de Noir·es ou d’Arabes et qui a réélu l’an dernier son maire de droite dès le premier tour. D’habitude, m’explique le monsieur qui tient le kiosque sur la grand place, les numéros de ce journal arrivent puis repartent et c’est la première fois qu’il en vend un… et même deux quand j’achète le dernier. Le buraliste de la rue de la Poste, qui en commande à peine plus chaque mois, a été dévalisé.

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vendredi, 19 mars, 2021

Les Émotions de la Terre

livre_affiche_635.png, mar. 2021Glenn Albrecht, Les Émotions de la Terre. Des nouveaux mots pour un nouveau monde, Les Liens qui libèrent, 2021, 366 pages, 9,90 €

Lors du premier confinement, c'est un fait qui est apparu avec plus d'évidence que jamais : la nature fait du bien, au corps et à l'esprit. Or dans une société industrielle qui détruit son milieu, l'accès à la nature est restreint ou dégradé. Glenn Albrecht a nommé le malaise devant cette dégradation la solastalgie, néologisme ou plutôt mot-valise évoquant la consolation et la nostalgie, soit la douleur d'avoir perdu un milieu qui faisait du bien. Ce philosophe australien est d'ailleurs gourmand de néologismes, les siens et ceux des autres. On connaît la nostalgie (un mot inventé au XVIIe siècle pour décrire le sentiment douloureux pour un pays éloigné et, dans une acception plus récente, une époque révolue) ; l'Anthropocène, la période géologique qui a succédé à l'Holocène et se caractérise par le changement apporté par l'être humain (on y reviendra) à son milieu ; l'écocide (l'équivalent d'un crime de guerre ou crime contre l'humanité mais perpétré contre le milieu). Je dis « milieu » pour éviter cette expression récusée par l'auteur d'« environnement », bien trop anthropocentrique. À ces mots il faut ajouter ses créations propres, entre beaucoup d'autres la météoranxiété, ou angoisse devant un climat devenu imprévisible, la Terraphthora, les forces qui détruisent la Terre alors que la Terranascia est au contraire l'ensemble des forces créatrices.

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mardi, 9 mars, 2021

Les Apprentis sorciers de l’azote

azote.jpeg, mar. 2021Claude Aubert, Les Apprentis sorciers de l’azote. La Face cachée des engrais chimiques, Terre vivante, 2021, 144 pages, 15 €

Chaque année au printemps, c’est la saison des épandages agricoles. Une pollution mal connue qui pourtant est responsable de la présence dans l’air, entre autres, de particules fines PM 2,5 (de moins de 2,5 micromètres). Ces particules fines provoquent chaque année des morts prématurées mais elles sont aussi mises en cause pour l’aggravation de maladies respiratoires transmissibles, dont le Covid. Le confinement du printemps 2020, qui a vu une baisse jamais observée auparavant des transports, a été l’occasion de constater l’impact spécifique de notre agriculture, dû notamment aux engrais azotés. Et alors que les autres pollutions de l’air baissent depuis quelques décennies, celles-ci restent stables. C’est à ce problème et à d’autres que l’agronome Claude Aubert, pionnier de l’agriculture bio, consacre un ouvrage simple, clair et joliment illustré.

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lundi, 8 mars, 2021

Du balai

balaiM.jpg, mar. 2021Sandrine Rousseau et François-Xavier Devetter, Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, Raisons d'agir, 2011

Écrit il y a maintenant dix ans, sous l’ère Sarkozy, Du balai reste un livre précieux. Les gouvernements de droite qui s’étaient succédé depuis 2002 s'étaient attachés à réinventer les emplois domestiques et à exploiter les « gisements d'emploi » en accordant des avantages fiscaux aux particuliers qui consentiraient à créer de nouveaux emplois en recourant aux services de femmes de ménage. Rousseau et Devetter, conjuguant des approches économiques et sociologiques, faisaient de ces politiques un constat accablant. Passées les premières mesures incitatives, les encouragements se faisaient toujours plus coûteux et pour un résultat toujours moindre (jusqu'à 50 000 € par emploi, si j'ai bonne mémoire car je n'ai pas relu le livre depuis sa publication – mais Morel et Carbonnier, dans un livre plus récent chroniqué ici-même, fournissent une évaluation encore plus sévère). Ces politiques s’inscrivaient surtout dans un mouvement d’allégement des impôts des ménages les plus aisés. Les deux auteur·es démontraient en effet que le critère déterminant le plus fortement le recours aux emplois domestiques de nettoyage n’était ni le temps travaillé du couple, ni celui de la femme mais leur revenu, tout simplement. Se payer une femme de ménage ne correspond pas tant à un besoin qu’à un cadeau qu’on s’offre parce qu’on en a les moyens.

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dimanche, 28 février, 2021

Le Retour des domestiques

retour-domestiques.jpg, fév. 2021Clément Carbonnier et Nathalie Morel, Le Retour des domestiques, Le Seuil, 2018, 112 pages, 11,80 €

C'est en 1991, sous un gouvernement socialiste, que la France s'engage dans une stratégie de création d'emplois domestiques. La désindustrialisation et les gains de productivité ont fait perdre beaucoup d'emplois « du milieu de la distribution des revenus » et il s'agit alors d'exploiter un « gisement » d'emplois dans les services. L'outil qui est alors mis en œuvre, c'est la défiscalisation des dépenses des ménages à hauteur de 50 %, le tout dans une limite de 3 800 € par an. Les décennies suivantes verront ce seuil évoluer, à la baisse puis à la hausse, sans que soit fondamentalement remis en question le principe de faire assurer par la collectivité la moitié de ces dépenses privées par des impôts non-perçus. En 2003 cette limite est relevée à 10 000 €, puis à 12 000 € par le plan Borloo deux ans plus tard.

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dimanche, 7 février, 2021

Imbrication

imbrication.jpg, fév. 2021Jules Falquet, Imbrication. Femmes, race et classe dans les mouvements sociaux, éditions du Croquant, 2020, 302 pages, 15 €

Depuis plus de trente ans, la sociologue Jules Falquet travaille sur les mouvements féministes et lesbiens en Amérique latine et dans les Caraïbes (ou Abya Yala, un terme autochtone qui se diffuse sur le continent). Imbrication est un riche recueil d’articles réécrits à partir de ses travaux antérieurs sur divers terrains de recherche : avec des militantes salvadoriennes peinant à faire valoir leurs droits auprès de leurs camarades révolutionnaires ; avec des Indiennes du Chiapas qui édictent leurs droits en tant que femmes malgré des conflits de loyauté avec leurs communautés ; autour d’un collectif d’intellectuelles lesbiennes noires aux États-Unis qui observent l’imbrication de rapports sociaux qui leur sont tous défavorables ; avec des féministes noires posant les bases de leur engagement au niveau continental ; avec des féministes latino-américaines observant l’ONGisation de leur mouvement. Ce sont toutes des femmes en lutte mais majoritairement des intellectuelles (lesbiennes, ce que rappelle Falquet, qui se présente elle-même comme lesbienne, blanche et appartenant à la petite bourgeoisie académique) et même si leurs débats semblent nourris d’expériences militantes et d’organisation populaire, il n’est pas toujours facile de comprendre le lien entre théorie et pratiques.

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samedi, 23 janvier, 2021

Homo domesticus

domesticus.jpg, janv. 2021James C. Scott, Homo domesticus. Une histoire profonde des premiers États, traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, La Découverte, 2021, 324 pages, 13 €

C’est un récit classique, celui d’une humanité qui se dirige de manière continue vers son accomplissement. Jadis sans État ni agriculture, nos ancêtres découvrirent enfin comment planter des céréales puis comment s’organiser dans des formes politiques de plus en plus complexes. James C. Scott va à rebrousse-poil (against the grain en anglais, c’est aussi le titre original du livre) de cette histoire en présentant un tableau beaucoup plus critique des premiers États et de l’hésitation entre sociétés avec ou sans État. Car il ne s’agit déjà pas d’une histoire linéaire. Les individus qui vivent sous un État peuvent s’en libérer et les États eux-mêmes s’effondrer – sans que les individus qui y vivaient ne s’en trouvent plus mal.

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dimanche, 13 décembre, 2020

La force des témoignages

Depuis quelques années, j'assume sur ce blog une parole parfois intime mais toujours politique. Parce que ce que nous fait, à chacun·e d'entre nous, la vie compte aussi pour dire la violence de notre organisation sociale. La manière dont les plus faibles sont méprisé·es, exclu·es, broyé·es est un coup de loupe sur ce que nous vivons tou·tes : une dépossession de nos vies sous un régime politique autoritaire et inégalitaire, à la puissance multipliée par les techniques (y compris les techniques de gestion), au service de l'accumulation du capital et nourri de haine des autres et de soi. Je suis de celles et ceux qui pensent que cette violence se déploie jusque dans notre psychisme et nos rapports intimes et que c'est important d'en parler au plus près de nos expériences. C'est pour ça que j'ai choisi (après quelques hésitations) de mettre en lumière deux témoignages très différents, celui de Gabrielle Deydier sur la haine pour les personnes obèses et celui d'Antonin Richard, sauveteur en mer.

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samedi, 12 décembre, 2020

Pour vivre heureux, vivons égaux !

Kate Pickett et Richard Wilkinson, Pour vivre heureux, vivons égaux ! Comment l'égalité réduit le stress, préserve la santé mentale et améliore le bien-être de tous, Les Liens qui libèrent, 2020, 416 pages, 8,90 €

livre_affiche_612.png, déc. 2020

On se doutait que l'inégalité est préjudiciable aux personnes en bas de la hiérarchie, qu'elle est responsable de maux physiologiques et psychologiques. Les hommes de classe populaire meurent jusqu'à dix ans plus tôt que les cadres et à l'extrême, le dénuement cause jusqu'à des retards de développement chez les enfants mal nutris. Mais ce que nous apprennent Pickett et Wilkinson, c'est que l'inégalité s'attaque au bien-être dans l'ensemble de la société. Les deux Britanniques, déjà auteur·es d'un ouvrage intitulé Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous (Les Petits Matins, 2013), s'attaquent ici plus précisément aux questions de santé mentale à partir de leurs recherches en épidémiologie, soit une approche statistique des questions sanitaires. Leur propos se fonde sur des corrélations entre les inégalités économiques et d'autres faits établis (la proportion de personnes schizophrènes, d'enfants victimes de harcèlement scolaire, les performances en mathématiques) dans une variété de pays, majoritairement européens et anglo-saxons (ainsi que le Japon et Singapour), et quand il s'agit d'indicateurs plus communs le panel est encore élargi à des pays moins bien étudiés. Puisque une corrélation ne prouve rien, elle et il vont chercher dans la psychologie expérimentale, l'économie ou l'anthropologie physique et sociale de quoi étayer leurs hypothèses. Leur ouvrage est dense, leur approche quantitative leur permet de couvrir nombre de sujets, au point de parfois noyer leur lectorat sous les tableaux, mais le résultat est passionnant. Et il constitue un désaveu criant du choix de l'inégalité qui a été fait depuis environ 1980 dans les économies développées.

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lundi, 30 novembre, 2020

La Guerre sociale en France

9782348045790.jpg, nov. 2020Romaric Godin, La Guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, La Découverte, 2019, 250 pages, 18 €

L’an dernier sortait un ouvrage important, destiné à nous sortir de la sidération devant la situation actuelle : une sorte de blitzkrieg d’un néolibéralisme longtemps contenu en France. Romaric Godin, journaliste économique à La Tribune puis à Mediapart, y fait dans un premier temps l’histoire du néolibéralisme, cette idéologie apparue dès la première moitié du XXe siècle mais tardivement épanouie (1). Aujourd’hui le néolibéralisme constitue une vérité révélée pour nombre d’économistes, il est perçu comme un « "consensus scientifique" en économie » mais « repose sur des prémisses (...) fort contestables sur le plan théorique et (…) très fortement remis en cause par les faits ». Cette doctrine, qui vise la neutralité du marché, refuse tout rôle redistributif à l’État, à contre-courant du compromis français établi en 1936 puis 1945 et qui pose l’État en arbitre entre les exigences du capital et les besoins d’un peuple de travailleurs et de travailleuses.

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dimanche, 25 octobre, 2020

Du libéralisme autoritaire

libéralisme_autoritaire.jpg, oct. 2020Du libéralisme autoritaire, Carl Schmitt et Hermann Heller, présenté par Grégoire Chamayou, La Découverte, « Zones », 2020, 144 pages, 16 €

La collection Zones réédite une polémique qui date de quelques mois avant la concession du pouvoir à Hitler en Allemagne en 1933. Carl Schmitt, juriste conservateur, sur le point de rejoindre les rangs nazis, fait allégeance au pouvoir économique rhénan (il est l'invité d'une « société au long nom » d'entrepreneurs du sud-ouest du pays). Quelques semaines après, Hermann Heller, social-démocrate et juif, lui répond. L'ouvrage est introduit par le directeur de collection, Grégoire Chamayou, auteur de ce livre remarquable qu'est La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire (La Fabrique, 2018). Il s'agit donc ici de poursuivre l'histoire qu'il fait du libéralisme autoritaire, oxymore aujourd'hui au pouvoir un peu partout dans le monde.

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vendredi, 9 octobre, 2020

L'Invention du colonialisme vert

colonialisme_vert.png, oct. 2020L'Invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Guillaume Blanc, Flammarion, 2020, 346 pages, 21,90 €

Ah, les Cévennes, cet « héritage de 5 000 ans d'agro-pastoralisme », comme le dit la com du parc naturel… Le parc national du Simien, en Éthiopie, est aussi le produit de la coexistence entre l'être humain et la nature. Un habitant raconte : « On faisait des terrasses, on faisait des retenues pour l'eau, des sillons, on utilisait de l'engrais pour les cultures et on vivait une bonne vie. » C'était avant l'expulsion des habitant·es du parc, décidée dans les années 1960 et accomplie dans les années 2010 suite à de nombreux rebondissements dont une guerre. « C'est aujourd'hui que le parc est mort, maintenant qu'il n'est plus labouré, qu'il n'y a plus rien pour retenir l'eau, qu'il n'y a plus de bétail. » Ce paysan exilé en ville poursuit : « C'est du temps où on y était que le parc était plus beau. »

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dimanche, 4 octobre, 2020

Friction

9782359251791.jpg, oct. 2020Friction. Délires et faux-semblants de la globalité, Anna Lowenhaupt Tsing, La Découverte, 2020, 460 pages, 24 €

En 1998, le leader autoritaire indonésien Suharto doit abandonner le pouvoir. Les années qui suivent sont celles de la Reformasi, mouvement de démocratisation qui est aussi une période de grande insécurité : la déforestation s'accélère et l'armée empoche les dessous de table. Anna Tsing écrit dans les années suivantes, depuis l'île de Bornéo, cet ouvrage, Friction, où il est question d'un aventureux entrepreneur canadien, d'étudiant·es amateurs de nature, d'une femme qui cite une millier d'espèces animales et végétales présentes autour d'elle, de chef·fes de village capables de parler la langue des écologistes comme celle des développeurs. Entre autres. L'autrice, connue du lectorat français pour son livre Le Champignon de la fin du monde (La Découverte, 2017), est anthropologue et travaille depuis les années 1980 à Bornéo (ou Kalimantan), dans la partie indonésienne de cette île, la plus grande de l'archipel, jadis couverte de forêts équatoriales.

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lundi, 24 août, 2020

Grandeur et décadence

grandeur.jpg, août 2020Grandeur et décadence, Liv Strömquist, Rackham, 2017, 128 pages, 20 €

Je ne sais pas ce qui m'avait retenu tout ce temps de lire Grandeur et décadence, présent dans mes étagères depuis quelques années, cadeau de Noël ou d'anniversaire. Malgré tout le bien que je pense des Sentiments du prince Charles, une mauvaise appréciation m'avait retenue d'ouvrir ce livre-là : il y était question de capitalisme et le propos de Strömquist n'avait rien d'original, m'avait-on dit. J'avais peur de lire la énième BD dans la lignée d'Attac. C'est pourtant un ouvrage très original. Dans le style un peu bordélique des précédents, qui mêle histoires people et théorie politique, Strömquist livre une série d'essais (au sens traditionnel de tentative de réflexion) très stimulants qui interrogent l'infrastructure psychique du capitalisme.

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dimanche, 19 juillet, 2020

Révolte consommée

Revolte-consommee.png, juil. 2020Joseph Heath et Andrew Potter, Révolte consommée. Le Mythe de la contre-culture, traduit de l'anglais par Élise de Bellefeuille et Michel Saint-Germain, L'Échappée, 2020, 368 pages, 20 €

C'est une drôle d'idée éditoriale, que de republier un ouvrage traduit en français il y a quinze ans (1) et qui se pose aussi fièrement contre le reste de son catalogue : la technique qui dépend de ce qu'on en fait, l'agriculture bio qui n'est pas écologique, l'anarchisme qui est la loi de la jungle… Tout y est, dans cet ouvrage qui finit avec de belles propositions de réforme : un impôt sur le revenu progressif, un marché des droits à polluer et des voitures hybrides. Les amis de L'Échappée auraient-ils perdu la tête ?

Peut-être pas. Parce que malgré tout ça, Révolte consommée pose des questions que ne peuvent plus désormais éviter les ami·es de l'émancipation. Ne serait-ce que parce que la rebellitude et l'hégémonie culturelle se portent très bien à l'extrême droite, ce que les auteurs, écrivant au temps d'Empire (Hardt et Negri) et de No Logo (N. Klein), n'avaient d'ailleurs pas vu venir.

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jeudi, 11 juin, 2020

Le Genre du capital

Céline Bessière et Sibylle Gollac, Le Genre du capital, La Découverte, 2020, 336 pages, 21 €

L'adhésion aux constats que dressent les féministes est souvent compliquée par ce fait que les femmes et les hommes vivent ensemble et s'aiment : deux époux de sexe opposé, un père sa fille, une sœur son frère. Le racisme, les haines de classe peuvent advenir quand des groupes sociaux sont séparés, ne se connaissent pas ou peu et admettent des intérêts divergents mais le sexisme, vraiment ? Vraiment. C'est le tableau que dressent Céline Bessière et Sibylle Gollac dans leur ouvrage Le Genre du capital, résultat de deux décennies de recherches (fois deux) sur comment deux moments importants de la vie économique des personnes, l'héritage et le divorce, appauvrissent les femmes en comparaison aux hommes. Au point que les inégalités de patrimoine entre femmes et hommes sont passées de 9 % en 1998 à 15 % moins de vingt ans plus tard. Celles-ci tiennent en partie à la place des femmes dans le monde du travail, domaine arpenté depuis quelques décennies par des sociologues féministes et dont les autrices rappellent rapidement quelques aspects. Les femmes en couple avec des enfants travaillent 54 heures par semaine dont seulement 20 sont rémunérées. Les hommes 51 dont 33 sont rémunérées. La répartition des richesses, elle aussi inégalitaire, tient à ce facteur mais également à d'autres moins connus et moins bien compris, que Bessière et Gollac mettent en lumière dans leur livre.

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