Criminels climatiques

9782348046773.jpg, mai 2022Mickaël Correia, Criminels climatiques. Enquête sur les multinationales qui brûlent notre planète, La Découverte, 2022, 190 pages, 19 €

Au début des années 2000, l’industrie pétrolière promeut le concept d’empreinte carbone. Chacun·e selon son mode de vie a une empreinte comptabilisée en émissions de gaz à effet de serre (GES) : kilomètres en voiture ou en avion, alimentation, achats, chauffage correspondent à des consommations énergétiques et aux émissions de GES conséquentes. Et si, au-delà des individus, on comptait l’empreinte carbone des pays ? celle des entreprises ? et pourquoi pas celle des entreprises qui livrent l’énergie aux consommateurs finaux ? L’idée semble a priori simple ou bien alors incongrue car ces entreprises ne se contentent-elles pas de fournir aux dits consommateurs ?

Dans son dernier ouvrage, le journaliste Mickaël Correia (1) passe au crible l’action de trois groupes emblématiques des énergies fossiles, trois géants relativement méconnus du secteur : Saudi Aramco pour le pétrole, China Energy pour le charbon et Gazprom pour le gaz, par ordre décroissant de chiffre d’affaires. Trois types d’énergie, trois pays, trois zones d’influence. À elles seules, ces compagnies émettent à peine moins de GES que les États-Unis et la Chine. Et leurs perspectives de croissance sont florissantes, contrairement à notre intérêt collectif qui serait de laisser sous terre « 80 % des réserves de charbon, la moitié de celles de gaz et un tiers de celles de pétrole » pour éviter des conditions invivables sur Terre. En s’intéressant à l’empreinte carbone de chacune de ces trois entreprises, Correia met sur elles la responsabilité que l’industrie aimerait éviter. Car, loin de se contenter de fournir pour répondre aux besoins insatiables de l’« humanité » (2), elle contribue largement à la construction des dits besoins. En clair, elles ne fournissent pas seulement la drogue, elles poussent à l’addiction.

Ces entreprises sont criminelles à plusieurs titres, comme le dit Correia à la suite de Christophe Bonneuil. Non seulement car leurs activités extractives dégradent les milieux (voir la péninsule de Yamal en Sibérie), sont toxiques ou mortelles, parce qu’elles contribuent au désordre climatique dans une mesure qui est régulièrement rappelée par l’auteur. Mais aussi parce qu’elles verrouillent notre possibilité d’enrayer cette trajectoire à force d’abondance énergétique et par leur influence politique.

Depuis les années 1960, la réalité du changement climatique est connue de l’industrie des hydrocarbures. Correia cite Saudi Aramco en 1965, c’était aussi le cas de Total (voir encore Bonneuil). Et malgré tout, ces compagnies ont continué leur business as usual, sans prendre en compte ce fait, en s’assurant qu’il ne soit pas pris en considération. Saudi Aramco, China Energy et Gazprom s’affairent depuis des décennies, sous des formes et des noms qui ont pu évoluer, à fourguer autant d’énergie que possible… peut-être aux dépens de leurs concurrents divers mais surtout en évitant les rares tentatives de régulation des États (souvent pas ceux dont elles sont issues) et en promouvant l’usage des énergies fossiles (un chapitre est consacré à l’activisme de Saudi Aramco pour faire croître la consommation mondiale de plastiques à usage unique). Le tout en échange de bénéfices monstrueux.

Lien avec les États et influence réciproque (3), impérialisme (voir le chapitre sur China Energy profitant de la Belt and Road Initiative, ou nouvelles routes de la soie, pour équiper Asie du Sud et Afrique de centrales thermiques très polluantes et qui ne correspondent pas à leurs besoins), soft power (4) et greenwashing (5) font partie de cette riche description de l’activisme des criminels climatiques. On aimerait parfois un peu plus d’analyse à partir de de ces faits mais la matière est là et elle est impressionnante, servie par un récit rapide, fluide et agréable, émaillée d’étonnantes citations de début de partie. On attend la suite.

(1) Je précise que Mickaël Correia est un copain.
(2) Dont l’avidité serait un gouffre sans fin, voir l’entrée « Nature humaine » de Jean-Michel Hupé et Vanessa Lea dans Greenwashing. Manuel pour dépolluer le débat public, Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (dir.), Le Seuil, 2022.
(3) La difficulté de l’État chinois à réguler l’installation de centrales thermiques est un des faits les plus étonnants relatés dans le livre.
(4) Le camarade Correia, auteur d’une Histoire populaire du football, en profite pour consacrer de nombreuses pages à son sport favori.
(5) Les quelques pages sur Gazprom et le mirage de l’hydrogène font écho à celles sur Saudi Aramco œuvrant à l’efficacité des véhicules thermiques pour toujours, au nom d’une transition écologique, préserver et accroître le marché de leurs produits. Sur ce sujet, lisez et faites lire Greenwashing. Manuel pour dépolluer le débat public, op. cit.

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