Promising Young Woman

promising.jpeg, juin 2021Promising Young Woman (USA-UK, 2020, 108'), Emerald Fennell avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Laverne Cox

Il est question dans cette chronique de viol et l’intrigue du film est largement dévoilée.

Voilà un film qui est presque passé inaperçu sur les écrans français, la faute peut-être à un mauvais marketing. « Thriller féminin et frais », c’est un peu fade pour un film féministe, réalisé par une jeune actrice et autrice, et qui s’attaque aussi frontalement à la culture du viol. Cassandra va avoir 30 ans, elle travaille sans enthousiasme dans un café et vit encore chez ses parents. Son passe-temps : prétendre être complètement ivre dans un bar ou une boîte, à la merci d’une belle âme qui la ramènera chez elle sans encombre. C’est la première scène du film : trois hommes la repèrent dans un bar. Le premier flaire la bonne affaire (une femme qu’on pourra violer sans difficulté ni remords), le second n’a pas de mots assez durs contre son comportement (s’être rendue vulnérable au viol en étant ivre et sans protection amicale), le troisième s’inquiète pour elle, la ramène chez elle… oh et puis non, chez lui où il essaie de la faire boire encore plus, lui servant une liqueur dégueulasse dans un verre trois fois plus rempli que le sien. C’est alors qu’il enlève sa culotte avec des mots rassurants pour une femme quasiment inconsciente que Cassandra se révèle très sobre et lui fait honte de son comportement. Pas de testicules méthodiquement découpées, simplement une femme qui exprime de manière claire son refus et son mépris pour un homme qui pensait profiter d’un viol acceptable.

Cassandra a abandonné ses études de médecine justement parce que les viols de femmes ivres sont acceptables. Alors qu’elle et son amie d’enfance Nina étaient les étudiantes les plus brillantes de la promo, leur destin prometteur est fauché en plein vol par le viol subi par Nina, un soir d’ivresse. Ses camarades de classe ont profité de sa vulnérabilité pour la violer, faisant ensuite tourner la vidéo de ce grand moment de rigolade. Tout le monde a ensuite fermé les yeux. L’intrigue est déclenchée par la rencontre de Cassandra avec un de ces ex-étudiants, pédiatre sympathique et drôle qui la replonge dans les histoires de ce petit groupe et enraye sa routine de la femme torchée à ramener chez elle.

Cassandra commence alors sa vengeance avec la meilleure amie du violeur, une femme très satisfaite de son boulot rémunérateur et de son statut de mère qui répond à toutes les injonctions. Celle-ci lui redit que Nina l’avait bien mérité, étant ivre, pendant que Cassandra la fait boire puis la laisse aux bons soins d’un homme qui doit profiter de son incapacité pour la ramener dans une chambre d’hôtel. Elle s’attaque ensuite à la doyenne à travers sa fille, qui lui a confié son téléphone et dont elle prétend l’avoir laissée seule avec des jeunes hommes. La doyenne, qui jusqu’alors trouvait très juste de ne pas briser la vie de jeunes hommes accusés de viol (innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit matériellement établie), semble comprendre alors que d’autres vies sont brisées par les viols de campus, celles de jeunes femmes dont la parole est systématiquement désavouée par le statu quo : c’est sa parole contre la sienne, on ne peut rien faire. La journaliste Peggy Orenstein a écrit sur cette culture des lycées et des campus US, dans laquelle la sexualité est à la fois obligatoire et honteuse pour les filles, parfois violente, où elles doivent exhiber des corps parfaits qu’elles connaissent au fond très mal et où chaque écart d’avec la norme est sanctionné, pendant que des garçons tout ou presque est accepté selon le fameux adage « Boys will be boys » : ah, les garçons, on ne les changera pas. Alors que si, ce serait bien de les changer.

La culture du viol implique des réponses masculines hyper violentes contre des violeurs emblématiques (le violeur d’enfants, de femmes inconnues dans une ruelle sombre, a fortiori quand il est pauvre et étranger). À ceux-là il n’est fait aucun cadeau, ils font l’objet de la plus grande violence. Laurent Gayer et Gilles Favarel-Garrigues, auteurs d’un ouvrage sur les simulacres de justice populaire dans le monde, rendent compte de la place importante de la justice expéditive qui est exercée contre des violeurs présumés, en particulier d’enfants. Il faut gratter un peu pour comprendre que derrière cette détestation consensuelle, il y a le déni de tous les autres viols, ceux qui sortent de l’évidence de la ruelle sombre. J’en parlais ici.

Loin de ces réponses violentes qui paradoxalement contribuent à la culture du viol, Cassandra exerce des représailles qui donnent à penser. Ses violeurs d’opportunité s’en sortent avec la honte aux joues et elle ne fait pas plus de mal à son ancienne camarade de classe auto-satisfaite qu’à la fille de la doyenne. Ce ne sont que des leçons. La dernière, elle la fait à Al, le violeur de Nina. Cassandra fait irruption à son enterrement de vie de jeune homme, grand moment de construction sociale de l’identité masculine, sous les habits d’une strip-teaseuse travestie en infirmière. Al est sorti major de promo après le drame vécu par les deux jeunes femmes , il est toujours aussi populaire et tout lui sourit. La violence la plus grave qu’elle se propose de lui faire est de le tatouer, de le marquer du nom de Nina, celle que tout le monde a oubliée depuis qu’elle s’est suicidée suite à ce viol. Al s’insurge : elle ne peut pas imaginer l’horreur que c’est, pour un homme, que d’être accusé de viol. Alors que l’horreur de subir un viol est, elle, encore hors du champ de sa compréhension. Cassandra, loin de lui faire mal physiquement, s’offre au contraire en victime et enclenche un mécanisme qui aboutira à ce que la société demande des comptes, enfin, à Al pour la violence qu’il exerce contre des femmes, une violence qu’il trouve jusqu’au bout parfaitement acceptable, voire légitime.

Beaucoup de spectatrices pourront être déçues que la vengeance de Cassandra ne s’exprime pas violemment car oui, devant la culture du viol et le mal qu’elle fait, nous nous complairions volontiers dans la violence vengeresse. Mais Emerald Fennell nous engage dans un récit plus fin, plus juste, plus constructif. Ce que nous voulons, ce n’est pas punir, c’est prévenir. C’est faire comprendre tout ce qui a pour nom viol. « Thriller féminin et frais », non, mais belle comédie noire et féministe.

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