lundi, 30 novembre, 2020
Par Aude le lundi, 30 novembre, 2020, 09h11
Romaric Godin, La Guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire, La Découverte, 2019, 250 pages, 18 €
L’an dernier sortait un ouvrage important, destiné à nous sortir de la sidération devant la situation actuelle : une sorte de blitzkrieg d’un néolibéralisme longtemps contenu en France. Romaric Godin, journaliste économique à La Tribune puis à Mediapart, y fait dans un premier temps l’histoire du néolibéralisme, cette idéologie apparue dès la première moitié du XXe siècle mais tardivement épanouie (1). Aujourd’hui le néolibéralisme constitue une vérité révélée pour nombre d’économistes, il est perçu comme un « "consensus scientifique" en économie » mais « repose sur des prémisses (...) fort contestables sur le plan théorique et (…) très fortement remis en cause par les faits ». Cette doctrine, qui vise la neutralité du marché, refuse tout rôle redistributif à l’État, à contre-courant du compromis français établi en 1936 puis 1945 et qui pose l’État en arbitre entre les exigences du capital et les besoins d’un peuple de travailleurs et de travailleuses.
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dimanche, 25 octobre, 2020
Par Aude le dimanche, 25 octobre, 2020, 12h13
Du libéralisme autoritaire, Carl Schmitt et Hermann Heller, présenté par Grégoire Chamayou, La Découverte, « Zones », 2020, 144 pages, 16 €
La collection Zones réédite une polémique qui date de quelques mois avant la concession du pouvoir à Hitler en Allemagne en 1933. Carl Schmitt, juriste conservateur, sur le point de rejoindre les rangs nazis, fait allégeance au pouvoir économique rhénan (il est l'invité d'une « société au long nom » d'entrepreneurs du sud-ouest du pays). Quelques semaines après, Hermann Heller, social-démocrate et juif, lui répond. L'ouvrage est introduit par le directeur de collection, Grégoire Chamayou, auteur de ce livre remarquable qu'est La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire (La Fabrique, 2018). Il s'agit donc ici de poursuivre l'histoire qu'il fait du libéralisme autoritaire, oxymore aujourd'hui au pouvoir un peu partout dans le monde.
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vendredi, 9 octobre, 2020
Par Aude le vendredi, 9 octobre, 2020, 09h04
L'Invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Guillaume Blanc, Flammarion, 2020, 346 pages, 21,90 €
Ah, les Cévennes, cet « héritage de 5 000 ans d'agro-pastoralisme », comme le dit la com du parc naturel… Le parc national du Simien, en Éthiopie, est aussi le produit de la coexistence entre l'être humain et la nature. Un habitant raconte : « On faisait des terrasses, on faisait des retenues pour l'eau, des sillons, on utilisait de l'engrais pour les cultures et on vivait une bonne vie. » C'était avant l'expulsion des habitant·es du parc, décidée dans les années 1960 et accomplie dans les années 2010 suite à de nombreux rebondissements dont une guerre. « C'est aujourd'hui que le parc est mort, maintenant qu'il n'est plus labouré, qu'il n'y a plus rien pour retenir l'eau, qu'il n'y a plus de bétail. » Ce paysan exilé en ville poursuit : « C'est du temps où on y était que le parc était plus beau. »
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dimanche, 4 octobre, 2020
Par Aude le dimanche, 4 octobre, 2020, 11h52
Friction. Délires et faux-semblants de la globalité, Anna Lowenhaupt Tsing, La Découverte, 2020, 460 pages, 24 €
En 1998, le leader autoritaire indonésien Suharto doit abandonner le pouvoir. Les années qui suivent sont celles de la Reformasi, mouvement de démocratisation qui est aussi une période de grande insécurité : la déforestation s'accélère et l'armée empoche les dessous de table. Anna Tsing écrit dans les années suivantes, depuis l'île de Bornéo, cet ouvrage, Friction, où il est question d'un aventureux entrepreneur canadien, d'étudiant·es amateurs de nature, d'une femme qui cite une millier d'espèces animales et végétales présentes autour d'elle, de chef·fes de village capables de parler la langue des écologistes comme celle des développeurs. Entre autres. L'autrice, connue du lectorat français pour son livre Le Champignon de la fin du monde (La Découverte, 2017), est anthropologue et travaille depuis les années 1980 à Bornéo (ou Kalimantan), dans la partie indonésienne de cette île, la plus grande de l'archipel, jadis couverte de forêts équatoriales.
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lundi, 24 août, 2020
Par Aude le lundi, 24 août, 2020, 10h02
Grandeur et décadence, Liv Strömquist, Rackham, 2017, 128 pages, 20 €
Je ne sais pas ce qui m'avait retenu tout ce temps de lire Grandeur et décadence, présent dans mes étagères depuis quelques années, cadeau de Noël ou d'anniversaire. Malgré tout le bien que je pense des Sentiments du prince Charles, une mauvaise appréciation m'avait retenue d'ouvrir ce livre-là : il y était question de capitalisme et le propos de Strömquist n'avait rien d'original, m'avait-on dit. J'avais peur de lire la énième BD dans la lignée d'Attac. C'est pourtant un ouvrage très original. Dans le style un peu bordélique des précédents, qui mêle histoires people et théorie politique, Strömquist livre une série d'essais (au sens traditionnel de tentative de réflexion) très stimulants qui interrogent l'infrastructure psychique du capitalisme.
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dimanche, 19 juillet, 2020
Par Aude le dimanche, 19 juillet, 2020, 21h15
Joseph Heath et Andrew Potter, Révolte consommée. Le Mythe de la contre-culture, traduit de l'anglais par Élise de Bellefeuille et Michel Saint-Germain, L'Échappée, 2020, 368 pages, 20 €
C'est une drôle d'idée éditoriale, que de republier un ouvrage traduit en français il y a quinze ans (1) et qui se pose aussi fièrement contre le reste de son catalogue : la technique qui dépend de ce qu'on en fait, l'agriculture bio qui n'est pas écologique, l'anarchisme qui est la loi de la jungle… Tout y est, dans cet ouvrage qui finit avec de belles propositions de réforme : un impôt sur le revenu progressif, un marché des droits à polluer et des voitures hybrides. Les amis de L'Échappée auraient-ils perdu la tête ?
Peut-être pas. Parce que malgré tout ça, Révolte consommée pose des questions que ne peuvent plus désormais éviter les ami·es de l'émancipation. Ne serait-ce que parce que la rebellitude et l'hégémonie culturelle se portent très bien à l'extrême droite, ce que les auteurs, écrivant au temps d'Empire (Hardt et Negri) et de No Logo (N. Klein), n'avaient d'ailleurs pas vu venir.
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jeudi, 11 juin, 2020
Par Aude le jeudi, 11 juin, 2020, 07h35
Céline Bessière et Sibylle Gollac, Le Genre du capital, La Découverte, 2020, 336 pages, 21 €
L'adhésion
aux constats que dressent les féministes est souvent compliquée par ce
fait que les femmes et les hommes vivent ensemble et s'aiment : deux
époux de sexe opposé, un père sa fille, une sœur son frère. Le racisme,
les haines de classe peuvent advenir quand des groupes sociaux sont
séparés, ne se connaissent pas ou peu et admettent des intérêts
divergents mais le sexisme, vraiment ? Vraiment. C'est le tableau que
dressent Céline Bessière et Sibylle Gollac dans leur ouvrage Le Genre du capital,
résultat de deux décennies de recherches (fois deux) sur comment deux
moments importants de la vie économique des personnes, l'héritage et le
divorce, appauvrissent les femmes en comparaison aux hommes. Au point
que les inégalités de patrimoine entre femmes et hommes sont passées de
9 % en 1998 à 15 % moins de vingt ans plus tard. Celles-ci tiennent en
partie à la place des femmes dans le monde du travail, domaine arpenté
depuis quelques décennies par des sociologues féministes et dont les
autrices rappellent rapidement quelques aspects. Les femmes en couple avec des
enfants travaillent 54 heures par semaine dont seulement 20 sont
rémunérées. Les hommes 51 dont 33 sont rémunérées. La répartition des
richesses, elle aussi inégalitaire, tient à ce facteur mais également à
d'autres moins connus et moins bien compris, que Bessière et Gollac
mettent en lumière dans leur livre.
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lundi, 16 mars, 2020
Par Aude le lundi, 16 mars, 2020, 08h45
Xavier Ricard Lanata, La Tropicalisation
du monde, PUF, 2019, 128 pages, 12 €
Et si le monde occidental, celui des pays riches et peuplés de Blanc·hes,
faisait aujourd'hui l'objet d'un processus de
« tropicalisation » ? Lanata, anthropologue et économiste du
développement, fait l'hypothèse que nous sommes à un point où le monstre
capitaliste, créé et nourri dans les pays du nord, est devenu tellement avide
que le Sud ne lui suffit plus. Jusqu'alors, l'économie capitaliste a connu des
pratiques différentes dans les pays colonisés et les pays colonisateurs. Là-bas
il était violemment prédateur, utilisant les territoires comme puits de
ressources et les populations locales comme bras pour les exploiter. Et quand
les locaux n'étaient pas assez nombreux, d'autres peuples étaient déportés pour
servir de main d’œuvre (1). La vision toxique que nous avons de l'environnement
comme d'un milieu à exploiter ne s'est jamais mieux déployée que pendant
l'histoire coloniale à son apogée, du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe.
C'est alors qu'on a assisté à « la décorrélation entre les lieux de
consommation et les lieux de production, par l'extension considérable des
réseaux d'échange et des chaînes de valeur » (p. 61). Nous vivons
encore dans ces structures et ces représentations, avec plus ou moins
d'inquiétude sur le fait de toucher un jour le fond et d'arriver à épuisement
du modèle.
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jeudi, 27 février, 2020
Par Aude le jeudi, 27 février, 2020, 11h53
Julia Laïnae, Nicolas Alep,
Contre l'alternumérisme, La Lenteur, 2020, 128 pages,
10 €
Julia Laïnae et Nicolas Alep tapent large en consacrant un petit livre à
l'« alternumérisme ». Large mais toujours juste, car chaque cible est
précisément définie et sa contribution à une « autre informatisation
possible » fait l'objet d'une critique sérieuse et bien documentée. Des
utopistes d'Internet aux inquiet·es des écrans, ces tendances ont ceci en
commun qu'elles ne refusent ni les outils numériques, ni leur omniprésence dans
la vie sociale, mais souhaitent en encadrer l'usage. Voyons plutôt.
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mardi, 3 décembre, 2019
Par Aude le mardi, 3 décembre, 2019, 19h09
La Révolution féministe, Aurore Koechlin, Amsterdam, 2019,
170 pages, 12 euros
Aurore Koechlin est une jeune chercheuse en sociologie du genre qui livre
ici un premier livre prometteur, à la fois petite histoire du féminisme et
réflexion sur les perspectives du mouvement. C'est ambitieux… mais c'est
réussi. L'ouvrage commence avec une quarantaine de pages consacrées à
l'histoire des mouvements féministes, les trois fameuses vagues :
mouvements suffragistes au début du XXe siècle, libération des femmes dans les
années 1970 (pour la France), mouvements d'inspiration queer ou black
feminist enfin, le tout assez centré sur la France mais à l'écoute des
autres mondes qui contribuent à la fabrication du féminisme hexagonal.
L'autrice poursuit en nous apprenant qu'une quatrième vague est en train de se
former. Elle en dresse les contours, en reprend la principale question à ses
yeux, celle de l'exploitation des femmes en tant que classe mais appartenant
également à d'autres, et propose une stratégie féministe capable de passer
entre quelques écueils pour prendre nos maux à la racine.
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dimanche, 1 décembre, 2019
Par Aude le dimanche, 1 décembre, 2019, 14h21
Les Besoins
artificiels. Comment sortir du consumérisme, Razmig Keucheyan, La
Découverte, « Zones », 2019, 250 pages, 18 euros
Depuis quelques années le Black Friday, ce lendemain de Thanksgiving dévoué à
la consommation, donne lieu en France à des soldes frénétiques. L'édition de
2019 a été également l'occasion de nombreuses actions de sabotage, dans le
monde comme ici. L'impact écologique et social de la fièvre acheteuse est
connu, régulièrement dénoncé. Le Buy Nothing Day du magazine
Adbusters, dernier samedi de novembre, a longtemps été marqué d'une
pierre blanche dans l'agenda des militant·es de la décroissance, un jour dédié
à des actions de sensibilisation dans les temples de la consommation. Mais
l'urgence climatique toujours plus pressante, la part croissante de la vente en
ligne et de ses conséquences
sociales
et
écologiques,
tout ça a donné cette année des actions directes plus radicales, souvent menées
dans les magasins plutôt que dans les nœuds logistiques. Cette orientation,
côté consommation plutôt que production, a suscité quelques malaises :
« Le Black Friday, c'est l'occasion pour des classes moins aisées de payer
des cadeaux pas trop chers à leur petite famille », ai-je entendu ici ou
là. L'urgence écologique, oui, mais acheter pour Noël (1) est un besoin qui
doit être pris en compte. Peut-être est-ce là un de ces besoins artificiels à
remettre en cause ? Et comment ?
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vendredi, 29 novembre, 2019
Par Aude le vendredi, 29 novembre, 2019, 13h32
Collectif Désobéissances libertaires, Une critique
anarchiste de la justification de la violence, Atelier de création
libertaire, Lyon, 2019, 144 pages, 8 euros
Suite au succès du livre de Peter Gelderloos Comment la non-violence
protège l'État (Libre, 2018), des anarchistes non-violents rentrent dans
le débat. Ce petit livre est bizarrement fichu : deux textes de réfutation de
Gelderloos, avec quelques redites, quelques éléments d'histoire de la
non-violence, deux contributions sur les black blocs de 2018 en France, soit
des textes militants épars, produits dans un contexte donné qui n'est pas
toujours celui du livre… Gelderloos
avait justement bien ordonné son propos : la non-violence est inefficace,
raciste, étatiste, patriarcale, stratégiquement inférieure et illusoire.
Ici il faudra chercher dans le désordre la réfutation de ces différentes prises
de position. Puisqu'au fond le succès de Gelderloos témoigne de la mauvaise
presse qu'a la non-violence dans les milieux anti-autoritaires, on peut
regretter que l'argumentaire qui la défend ne soit pas présenté et déployé dans
un seul texte plus clair mais cet ouvrage a le mérite d'être riche et
varié.
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lundi, 25 novembre, 2019
Par Aude le lundi, 25 novembre, 2019, 20h32
Sorry We Missed You, un film de Ken Loach (Royaume-Uni,
2019)
« Sorry we missed you », c'est cette note qui vous attend quand vous
avez raté le passage du colis que vous avez commandé sur Internet. Ricky, le
héros du dernier Ken Loach, est un travailleur indépendant qui travaille pour
une compagnie de transports de colis. Il sillonne les rues des Newcastle pour
livrer à des particuliers des colis, plus ou moins gros, plus ou moins urgents.
Des achats sur Amazon ou une autre plate-forme de vente en ligne aussi bien que
des repas, des colis à livrer dans la journée et d'autres dans une fourchette
d'une heure. Il a acheté sa camionnette pour ne pas la louer à l'entreprise qui
lui donne ses missions et passe sa journée pressé par un objet connecté (à la
fois scanner, téléphone, GPS) qui bippe quand il quitte le camion plus de deux
minutes. Sur le papier, l'entreprise donneuse d'ordres est sa cliente. En vrai,
vu le dispatcher qui est toujours sur son paletot, la boîte ressemble
étrangement à un employeur, aussi exigeante et peu accommodante que les pires
petits patrons décrits par le cinéaste anglais.
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mardi, 19 novembre, 2019
Par Aude le mardi, 19 novembre, 2019, 11h56
Cause animale, cause du capital, Jocelyne Porcher, Le
Bord de l'eau, Lormont, 120 pages, 12 €
Make the world a better place… Rendre le monde meilleur, c'est
l'objectif bien connu des start-ups qui préparent des initiatives disruptives
permettant au capitalisme d'effectuer les transitions nécessaires à sa survie –
malgré les trous qu'il creuse et les impasses qu'il emprunte. Jocelyne Porcher
n'y va donc pas par quatre chemins et peint pour introduire son ouvrage le
paysage économique et financier de la « viande » in vitro ou
« viande » de culture cellulaire, cette innovation qui devrait
permettre à terme de cesser de manger des animaux. Ce qu'on appelle
« agriculture cellulaire » semblait fou il y a encore quelques années
mais le kilo de « viande » cultivée en labo à partir de cellules
animales devrait dans les mois qui viennent être assez bas pour que le steak in
vitro apparaisse dans les restaus branchés (1). Suite à ce premier chapitre, la
sociologue, spécialiste de la relation humain-animal, déplie son propos :
d'où vient que c'est aujourd'hui que surgit cette préoccupation massive pour le
bien-être des animaux ? C'est parce que les alternatives aux productions
animales industrielles (responsables de la pollution des eaux et de l'air, de
l'emprise sur les terres via l'aliment du bétail, de problèmes sanitaires et
qui accessoirement ont des rendements économiques en baisse), ces alternatives
sont prêtes.
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mercredi, 18 septembre, 2019
Par Aude le mercredi, 18 septembre, 2019, 11h59
Mjólk de Grímur Hákonarson, sortie le 11 septembre
2019 en France
En France,
parmi les géants de l'agroalimentaire se trouvent en bonne place des
coopératives, dirigées par des paysan·nes pour des paysan·nes mais qui
mènent des politiques peu favorables à une majorité de leurs adhérent·es.
Comment donc les coopératives agricoles en sont-elles arrivées là ?
(Pourquoi sommes-nous gouverné·es par des élu·es menant des politiques
défavorables à une majorité de l'électorat, sans mentionner les générations
futures ?)
Inga et son mari sont un couple d'éleveurs laitiers dans un coin perdu
d'Islande. Elle assure les vêlages avec un bon coup de poignet. Lui complète le
maigre revenu de la ferme en conduisant un camion. Les deux se battent pour
tenir leur ferme à flots. Équipé·es d'un robot de traite avec d'efficaces
capteurs optiques de mamelles qui leur évite d'interagir chaque jour avec leurs
bêtes, ils passent plus de temps avec leurs machines. Dans sa cabine de
pilotage, elle consulte son Facebook l'air éteint. Lui ne va pas mieux et quand
son camion sort de la route une nuit, on découvre qu'il pourrait s'agir d'un
suicide…
La perte de son mari déclenche chez Inga une belle colère et cette femme
qu'on croyait éteinte, dont on distinguait à peine les traits, se révèle, y
compris aux spectateurs et spectatrices. Pour elle, c'est la coopérative qui
est responsable de la course de rats qu'on leur a fait mener, du suréquipement
et du chantage pour rester économiquement dépendant·es de la coop. La coop
aurait même demandé à son mari de signaler chaque livraison de produits achetés
ailleurs que chez elle, faisant de lui l'espion de ses collègues… Le président,
un éleveur de chevaux qui passe plus de temps en costard, récuse ses
accusations (qu'elle a publiées sur Facebook) et explique à Inga les bases de
l'engagement coopératif : se serrer les coudes entre paysan·nes, faire
vivre le tissu local, etc. Elle reprend ces belles paroles lors d'une AG des
producteurs laitiers : à la fin du XIXe siècle, les paysan·nes du coin se
sont doté·es d'un bel outil pour être indépendant·es de la tutelle danoise et
pour vivre mieux mais cet outil est aujourd'hui cassé.
Dans son précédent film Béliers, Grímur Hákonarson mettait en scène
deux frères fâchés à mort sur fond d'épidémie ovine et de prophylaxie agressive
(un animal malade et tout le troupeau doit être abattu). Ce nouvel opus met
toujours en scène
les conditions socio-économiques du désarroi des éleveurs et les personnes
qui le vivent, dans toute leur singularité. Ici une femme qui redonne du sens à
sa vie et qu'on accompagne à la fin du film, chantonnant sur une vieille
chanson pop à la radio qu'une nouvelle vie commence et que cette fois ce sera
bien la sienne. Pas celle de la coop.
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jeudi, 20 juin, 2019
Par Aude le jeudi, 20 juin, 2019, 10h58
Marie-France Hirigoyen, Les Narcisse, La Découverte,
2019, 238 pages, 18 euros
Déjà autrice d'enquêtes sur le harcèlement au travail, sur l'isolement ou
les violences conjugales, Marie-France Hirigoyen livre ici un ouvrage où il est
question de tout cela et qui met en lumière (ce qui devrait leur plaire) les
personnalités narcissiques. Après un prologue sur LA personnalité narcissique
du moment, Donald Trump, elle revient sur la définition du narcissisme et les
enjeux autour de la reconnaissance de cette pathologie : notion
psychanalytique, elle a dû être réinterprétée pour entrer dans le champ,
aujourd'hui dominant, de la psychologie cognitive avant de se voir reconnue. Ce
qui était d'autant plus vital que le désordre est commun. Le narcissisme est un
trait sous-jacent de toutes les personnalités, qui cultivent ce qu'Hirigoyen
appelle un « narcissisme sain ». Dans ses dimensions pathologiques,
le narcissisme peut être « grandiose » ou « vulnérable ».
On connaît assez bien le Narcisse grandiose : très majoritairement
masculin, il a besoin de reconnaissance, beaucoup trop d'assurance et un
remarquable manque d'empathie. Trump constitue un cas d'école. Le Narcisse
vulnérable est moins connu et l'autrice ne trouve pas d'autre illustration que
François Hollande, président de la République française de 2012 à 2017, si vous
l'aviez oublié. Même besoin d'exister en se flattant mais plus de difficulté à
le faire, notre Narcisse vulnérable peut être confondu avec une personne
dépressive. Ne pas confondre les deux avec le pervers narcissique, figure très
présente dans l'imaginaire français et dont Vladimir Poutine semble constituer
un bon exemple.
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mardi, 23 octobre, 2018
Par Aude le mardi, 23 octobre, 2018, 09h04
Mona Chollet, Sorcières. La Puissance invaincue des
femmes, La Découverte/Zones, 2018, 240 pages, 18 euros
Ce n’est pas pour rien que la chasse aux sorcières est souvent située à tort
au Moyen Âge et attribuée, à tort également, à un bas peuple aveuglé par
l’ignorance. C’est parce que c’est un exploit qui fait moche sur la carte de
visite des élites européennes, en grande partie laïques et universitaires, qui
ont accusé des femmes de tous âges (1) de se frotter la vulve sur des balais
volants et d’entretenir des rapports charnels avec le diable… des accusations
délirantes portées par de si sérieux messieurs.
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dimanche, 18 mars, 2018
Par Aude le dimanche, 18 mars, 2018, 09h23
Nicolas Rouillé, Timika, Anacharsis, Toulouse, 2018,
492 pages, 22 euros.
« Western papou », prévient la couverture. Timika, cette ville de
Papouasie occidentale située dans les environs de la plus grande mine d'or du
monde, a en effet des airs de ville-frontière pourrie par la corruption, le
fric de l'or qui ruisselle tant bien que mal, pourrie enfin par cette guerre
méconnue que l'Indonésie mène contre les Papous. Si aujourd'hui ce grand
archipel épouse parfaitement les frontières des Indes néerlandaises, une
création coloniale, cela n'a rien d'une évidence car la Nouvelle Guinée est une
île peuplée de Papous, peuple mélanésien et chrétien. Sa partie occidentale a
été rattachée de force à l'Indonésie dans les années 1960, suite à une annexion
forcée et à un référendum sous contrôle, avec la complaisance de la communauté
internationale. Jakarta mène depuis lors une guerre pour garder le territoire
dans son giron. Car, qu'il s'agisse de bois ou de métaux, l'île est aussi riche
en matières premières que ses habitant·es sont pauvres.
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samedi, 21 octobre, 2017
Par Aude le samedi, 21 octobre, 2017, 10h44
Aude Picault, Idéal standard, Dargaud,
2017, 152 pages, 17,95 euros
Claire a 32 ans et elle rêve de rencontrer l’homme de sa vie. Cette
infirmière en néonatologie, un peu conformiste et un peu complexée, a des airs
de madame Toutlemonde, c’est un personnage un peu fade qu’on a croisé mille
fois dans la presse féminine ou les séries états-uniennes. On la voit
multiplier les aventures amoureuses dans l’espoir de rencontrer le bon. Passant
du mec qui répugne à s’engager mais qu’elle croise deux mois plus tard très en
couple au supermarché à celui qui lui demande de partir le matin comme si elle
était la femme de ménage ou qu’elle avait fini de s’occuper de la plomberie
(1), Claire est en train de baisser les bras quand arrive le prince charmant,
une barbe de trois jours qui bosse dans la finance et fait beaucoup d’efforts
pour la séduire. Fin du premier acte, tout ne fait que commencer.
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mardi, 19 septembre, 2017
Par Aude le mardi, 19 septembre, 2017, 17h42
Nicholas Carr, Remplacer l'humain.
Critique de l'automatisation de la société, traduit de l'anglais
(États-Unis) par Édouard Jacquemoud, 272 pages, 19 euros, L'Échappée,
2017
Résister à l’automatisation, voilà une entreprise qui semble insensée. Ce
serait résister à la logique selon laquelle les investissements dans les
machines sont très vite plus rentables que le recours à du travail humain (et
que l’argent décide de la marche du monde). Ce serait résister également à
notre goût pour l’économie de moyens, une tendance presque naturelle à s’éviter
de la peine. Il est toujours possible de s’en désoler à longueur de pages, de
la documenter de manière intéressante mais à quoi bon ? Nicholas Carr
réussit pourtant à livrer avec Remplacer l’humain un livre
passionnant.
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