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vendredi, 8 mars, 2024

Comment j’ai appris à mépriser Sandrine Rousseau

Il me semble important de critiquer les camarades, non par plaisir égocentrique et pour se mettre en valeur à leurs dépens mais parce que toutes les stratégies peuvent être interrogées et que personne n’est à l’abri d’une dérive. Les critiques du camp opposé, par leur violence, leur injustice ou leurs présupposés biaisés, tendent plutôt, et c’est compréhensible, à conforter celle ou celui qui les essuie qu’à susciter un peu de remise en cause. Au contraire, une critique « amie » doit faire surgir des questionnements, rappeler des exigences partagées… et accessoirement être cordiale et éviter la personnalisation.

Ce billet n’est pas une critique amie.

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vendredi, 2 février, 2024

Chères collaboratrices

9782348077609.jpg, fév. 2024Sandrine Holin, Chères collaboratrices. Comment échapper au féminisme néolibéral, La Découverte, 2023, 240 pages, 19,50 €

Voici un livre dont on a envie de partager la lecture avec beaucoup d’amies et de camarades, en raison de son sujet qui en France reste assez rarement abordé. S’il est facile de mépriser certains féminismes, il est plus difficile en revanche de poser le doigt sur ce qui pose réellement problème. Ainsi du féminisme pour cadres sup qui a trouvé en Sheryl Sandberg, ex-dirigeante de Facebook et milliardaire, son égérie (voir ici une critique par bell hooks, citée dans Chères collaboratrices). Sandrine Holin, survivante du féminisme en entreprise, remonte à la source du phénomène.

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samedi, 4 novembre, 2023

Sous le parapluie trans

Je suis bénévole dans un festival de cinéma qui tient à une non-mixité aujourd’hui devenue moins courante. Alors que bon nombre d’espaces non-mixtes sont « sans mecs cis(genre) », soit adoptent une non-mixité queer, nous tenons à être un lieu pour « les femmes et les lesbiennes » (1). Depuis vingt ans que je connais le festival, toutes les femmes y sont les bienvenues, cisgenre ou transgenre. J’apprécie le fait que chaque groupe puisse bâtir un espace qui correspond à ses aspirations et que diverses définitions de la non-mixité cohabitent, qu’on ne standardise pas les pratiques militantes. Ce festival réunit des festivalières très diverses, de tous âges, venues de tout le pays, avec des positionnements politiques différents qui se frottent parfois. L’an dernier un tag sur le mur externe du lieu disait : « Festival transphobe ». Cette année ce sont des « lesbiennes pas queer » tout aussi courageuses et anonymes qui ont pris la parole de cette manière très déplaisante pour faire connaître leurs reproches. Ça veut peut-être dire que le festival n’est pas monolithique et ces attaques sont une reconnaissance de la diversité qui y a cours.

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vendredi, 8 septembre, 2023

Séparer la femme de l’artiste

On ne peut pas séparer l’homme de l’artiste, dit-on. Au-delà de la simple volonté de punir des méfaits qui ne l’ont pas été et de porter atteinte au succès d’un artiste par ailleurs méchant homme, il y a l’idée que l’œuvre tout entière respire le vice reproché à son auteur. Est-ce si vrai ? Si c’était le cas, toute la série de J.K. Rowling, tout le monde de fiction qu’elle a créé autour d’une école de sorcellerie, transpirerait la haine des femmes trans qu’on attribue à l’autrice, celle dont on ne prononce plus le nom. Or il m’a été plus d’une fois donné de constater que pour les fans de Harry Potter qui sont trans ou soutiennent les personnes trans dans leur lutte contre un carré de féministes, en nul cas cet univers fictionnel ne devait être banni de leurs étagères. Il continue à être lu, à offrir des références, à être exploité commercialement – et de quelle manière ! L’œuvre continue à être révérée mais sur l’artiste tombent des foudres qui vont jusqu’à invisibiliser sa maternité de l’œuvre, voire, mais c’est pour rire, à l’attribuer à un homme. Vous savez, Harry Potter à l'école des sorciers, le livre de Daniel Radcliffe. Certes tout le monde sait que le type en question avait 8 ans quand le bouquin est paru mais est-ce si drôle de matilder une autrice pour la simple raison qu’on est opposée à son propos ? Tellement de femmes ont été spoliées de leur œuvre, en leur temps ou pour la postérité, que le phénomène a été identité sous le nom d’effet Matilda.

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dimanche, 23 avril, 2023

« Mon corps, mon choix »

Il y a quelques jours, dans un groupe féministe, nous avons déplié un paragraphe de notre manifeste qui reprenait le slogan « Mon corps, mon choix ». J’avais émis quelques doutes sur cette formulation car si entendue comme un appel à la liberté reproductive et sexuelle des femmes elle fait consensus, elle contient aussi tout un monde contre lequel, en tant que féministes au sein d’un syndicat de transformation sociale, nous luttons. Enfin, j’espère.

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mardi, 18 octobre, 2022

Le Genre du capital

9782348075803LD.jpg, oct. 2022Céline Bessière et Sibylle Gollac, Le Genre du capital, La Découverte, 2022 (2020), 400 pages, 14 €

La réédition de cet ouvrage en collection de poche me donne l'occasion de republier cette chronique, précédemment parue en juin 2020.

L'adhésion aux constats que dressent les féministes est souvent compliquée par ce fait que les femmes et les hommes vivent ensemble et s'aiment : deux époux de sexe opposé, un père sa fille, une sœur son frère. Le racisme, les haines de classe peuvent advenir quand des groupes sociaux sont séparés, ne se connaissent pas ou peu et admettent des intérêts divergents mais le sexisme, vraiment ? Vraiment. C'est le tableau que dressent Céline Bessière et Sibylle Gollac dans leur ouvrage Le Genre du capital, résultat de deux décennies de recherches (fois deux) sur comment deux moments importants de la vie économique des personnes, l'héritage et le divorce, appauvrissent les femmes en comparaison aux hommes. Au point que les inégalités de patrimoine entre femmes et hommes sont passées de 9 % en 1998 à 15 % moins de vingt ans plus tard. Celles-ci tiennent en partie à la place des femmes dans le monde du travail, domaine arpenté depuis quelques décennies par des sociologues féministes et dont les autrices rappellent rapidement quelques aspects. Les femmes en couple avec des enfants travaillent 54 heures par semaine dont seulement 20 sont rémunérées. Les hommes 51 dont 33 sont rémunérées. La répartition des richesses, elle aussi inégalitaire, tient à ce facteur mais également à d'autres moins connus et moins bien compris, que Bessière et Gollac mettent en lumière dans leur livre.

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lundi, 26 septembre, 2022

Quand les identités s’affrontent dans les assiettes

C’est un air connu, que les marionnettes du jeu électorat se remettent à siffler quand elles s’inquiètent qu’on les ait oubliées. Fabiend’chez nous Roussel et sainte Sandrine Rousseau, deux héros de la défaite de la gauche en Hauts-de-France qui se sont imposé·es dans l’arène nationale, remettent le couvert sur la question de la consommation de viande. Rousseau, qui n’était pas végétarienne la dernière fois que j’ai mangé avec elle, renforce son image d’écoféministe en dénonçant une consommation masculine de viande qui détruit la planète. Sur le fond, le propos est assez juste : la manière dont sont associées la consommation de viande et la masculinité, la chasse, la prédation, la force physique et même la couleur rouge (1), dite aussi virilo-carnisme ou carno-phallogocentrisme pour faire plus simple, est une représentation sociale mise en lumière depuis plusieurs décennies et qui explique encore aujourd’hui la consommation différenciée de viande entre femmes et hommes (2). La journaliste féministe Nora Bouazzouni a d’ailleurs produit récemment deux ouvrages éclairants et bien argumentés sur le sujet, Faiminisme et Steaksisme (Nouriturfu, 2017 et 2021). Roussel, qui drague un électorat en tout point opposé, en a profité pour faire son apologie des vraies valeurs françaises, vin, viande et fromage.

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mardi, 29 mars, 2022

Le Piège identitaire

Le-piege-identitaire.png, mar. 2022Le Piège identitaire. L’Effacement de la question sociale, Daniel Bernabé, traduit de l’espagnol par Patrick Marcolini avec Victoria Goicovich, L’Échappée, 312 pages, 20 €

En 2018, le journaliste et essayiste Daniel Bernabé publiait en Espagne un ouvrage critique des tendances de la gauche à servir les besoins de reconnaissance des minorités tout en abandonnant toute prétention à lutter contre l’organisation socio-économique qui permet l’exploitation des travailleurs et travailleuses. Résumé comme ça, le livre semble rejoindre le lot de ces nombreuses imprécations moqueuses et convenues contre les « racialisateurs », les féministes post-modernes ou les poses de la bourgeoisie de gauche dans l’espace public. Mais l’exercice est bien plus subtil et cette publication, traduite et légèrement adaptée au contexte français de 2022 par Patrick Marcolini (1), est une réussite. Car il ne s’agit pas pour l’auteur de déclarer la nullité des demandes des groupes sociaux minorisés (femmes, personnes non blanches, LGBT, etc.) mais de les articuler à une critique sociale plus large et vigoureuse, celle d’un capitalisme en roue libre, qui ne rencontre plus guère d’opposition dans les sociétés européennes.

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vendredi, 17 décembre, 2021

Trois BD pour parler d’agriculture

La bande dessinée documentaire a le vent en poupe depuis quelques années, et l’agriculture fait partie de ses centres d’intérêt. Trois ouvrages ont abordé récemment les questions agricoles, de diverse manière.

BD-Ou-patron-800x1061.jpeg, déc. 2021Il est où le patron ?, Maud Bénézit et les Paysannes en polaire, Marabout, 2021, 176 pages, 19,50 €
Suite à des rencontres entre femmes du milieu agricole, les « Paysannes en polaire » ont mis en récit leurs histoires singulières grâce à la dessinatrice (et agronome de formation) Maud Bénézit. Éleveuses de chèvres et de brebis, apicultrices et maraîchères dans le Sud-Est, elles s’inventent trois alter ego de fiction confrontées au sexisme en agriculture, une profession à 75 % masculine et où les femmes sont souvent des épouses, avec des statuts inégaux (conjointe collaboratrice, aidante familiale, cheffe d’exploitation après le départ à la retraite du mari). Du parcours d’installation au travail lui-même, elles sont souvent renvoyées à des rôles qui complètent le travail des hommes, jugé central. À elles la transformation des produits, l’accueil, la vente, la compta et le travail ménager et familial qui libèrent les hommes des « vraies » activités, la production. D’où la question, quand un collègue arrive sur une ferme : il est où le patron, l’homme, celui-là dont le travail compte « vraiment » ? On retrouve dans ce livre le propos d’autres groupes de femmes, qui éclosent depuis quelques années, notamment dans le monde agricole alternatif. Ces groupes interrogent les questions d’ergonomie en inventant des outils (comme le porte-piquet à roulettes), là où des générations d’agriculteurs ont trouvé plus simple de se casser le dos et de souffrir en silence. Il y est aussi question de la place des femmes dans les instances agricoles (y compris les syndicats en rupture avec le modèle dominant) mais aussi, plus globalement, de violences conjugales et de dynamiques de couple dans un contexte hétérosexiste – même si tous les personnages de paysannes ne sont pas hétéros. Une belle introduction à ces thèmes qui surgissent aujourd’hui en agriculture et qui font l’objet de travaux dans les structures paysannes et rurales.

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lundi, 23 août, 2021

La Terre des hommes

terredeshommes.jpg, août 2021Naël Marandin, La Terre des hommes (2020), avec Diane Rouxel, Finnegan Oldfield, Jalil Lespert et Olivier Gourmet
Sortie le 25 août 2021

Il est question de viol dans cette chronique.

Constance est fille d’éleveur dans le Charolais et voudrait reprendre, avec son fiancé, la ferme de son père. Mais quand son père fait faillite et n’est plus en mesure de transmettre l’exploitation, le projet d’installation de la jeune femme est mis en difficulté. Les Safer, sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, sont des structures co-gérées par la profession et l’État pour réguler le foncier agricole. C’est devant une commission de la Safer locale que Constance devra montrer la solidité de son dossier et sa capacité à reprendre la ferme familiale – sur laquelle lorgne le voisin agriculteur, qui vient déjà visiter les lieux comme s’ils lui appartenaient. Jeune femme (heureusement en couple avec un homme (1)), désireuse de pratiquer un élevage plus respectueux des bêtes et de l’environnement, mais aussi plus rémunérateur, elle a un projet « atypique ». Aussi, quand un membre de la commission, un quadragénaire influent dans le milieu agricole et connaissance de longue date, lui propose de l’aide, elle l’accepte.

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mercredi, 30 juin, 2021

Féminisme : se ressaisir des questions économiques

Quand certains hommes croient devoir commenter l’actualité du féminisme, c’est pour dire quelles sont les bonnes idées et les mauvaises, les bonnes féministes et les mauvaises, ce à quoi le féminisme doit s’intéresser (pas à remettre en question leur confort et leur pouvoir). Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises féministes, il n’y a que des questions à discuter, des choix qui peuvent être interrogés et parfois des propos regrettables. Aujourd’hui j’ai envie de mettre l’accent sur un chantier qui a été un peu délaissé mais qui semble resurgir. Cela ne signifie pas qu’il soit plus important que d’autres qui ont plus été au centre de nos préoccupations ces dernières années. Au contraire, tout s’imbrique, la réalité matérielle est une conséquence des représentations genrées et des injonctions sexistes, les violences sexuelles se nourrissent des violences économiques. Mais ces questions économiques se rappellent à notre attention (1).

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lundi, 14 juin, 2021

Promising Young Woman

promising.jpeg, juin 2021Promising Young Woman (USA-UK, 2020, 108'), Emerald Fennell avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Laverne Cox

Il est question dans cette chronique de viol et l’intrigue du film est largement dévoilée.

Voilà un film qui est presque passé inaperçu sur les écrans français, la faute peut-être à un mauvais marketing. « Thriller féminin et frais », c’est un peu fade pour un film féministe, réalisé par une jeune actrice et autrice, et qui s’attaque aussi frontalement à la culture du viol. Cassandra va avoir 30 ans, elle travaille sans enthousiasme dans un café et vit encore chez ses parents. Son passe-temps : prétendre être complètement ivre dans un bar ou une boîte, à la merci d’une belle âme qui la ramènera chez elle sans encombre. C’est la première scène du film : trois hommes la repèrent dans un bar. Le premier flaire la bonne affaire (une femme qu’on pourra violer sans difficulté ni remords), le second n’a pas de mots assez durs contre son comportement (s’être rendue vulnérable au viol en étant ivre et sans protection amicale), le troisième s’inquiète pour elle, la ramène chez elle… oh et puis non, chez lui où il essaie de la faire boire encore plus, lui servant une liqueur dégueulasse dans un verre trois fois plus rempli que le sien. C’est alors qu’il enlève sa culotte avec des mots rassurants pour une femme quasiment inconsciente que Cassandra se révèle très sobre et lui fait honte de son comportement. Pas de testicules méthodiquement découpées, simplement une femme qui exprime de manière claire son refus et son mépris pour un homme qui pensait profiter d’un viol acceptable.

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dimanche, 13 juin, 2021

Je n’existais plus

emprise.png, juin 2021Pascale Jamoulle, Je n’existais plus. Les Mondes de l’emprise et de la déprise, La Découverte, 2021, 300 pages, 22 €

L’ouvrage de Pascale Jamoulle, une anthropologue exerçant sur des terrains français et belges, est composé de cinq parties autonomes décrivant des situations d’emprise sur des terrains bien différents. Les premières sont consacrées au parcours très singulier d’une amie de l’autrice, entre violences sexuelles, emprise dans le couple et dans une organisation politique sectaire, puis à ceux, plus brefs, de femmes victimes de violences dans le couple. Les femmes prises dans ces relations disent à quel point elles « n’existent plus », ne sont plus en mesure d’exercer leur libre arbitre. Jamoulle s’attache aux caractères systémiques de l’emprise, au-delà de la rencontre entre deux personnes. Ces phénomènes d’emprise sont très marqués par la domination masculine et des représentations de mise à disposition (sexuelle, domestique, affective) des femmes. Celles-ci sont d’autant plus susceptibles de s’y engager qu’on socialise les filles à la docilité et au sacrifice de soi, dimension incontournable de l’amour dans les représentations traditionnelles.

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jeudi, 11 mars, 2021

Comment demander pardon

Nous sommes nombreuses (1) à devoir vivre avec le souvenir d’agressions ou d’abus restés impunis et qui n’ont donné lieu, au mieux, qu’à des excuses merdiques qui ont sûrement été l’occasion pour leurs auteurs de se faire briller l’ego une fois de plus mais nous laissent, à nous, un goût amer. Parce que derrière l’évidence de cette figure imposée (on demande pardon) il y a souvent une incompréhension de ce qui se joue et un refus d’aller jusqu’au bout de la démarche.

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lundi, 8 mars, 2021

Séductions du bourreau

Il y a quelques années, Charlotte Lacoste publiait un livre très riche de critique littéraire, Séductions du bourreau (PUF, 2010), qui faisait suite à la réception du roman Les Bienveillantes de Jonathan Littel en 2006. Cet ouvrage à succès consistait en un long monologue d'un criminel nazi. Ce procédé invitant à l'empathie du lectorat pour le narrateur ou la narratrice, il posait quelques problèmes éthiques puisque les lectrices et lecteurs étaient ainsi livré·es au point de vue unique d'un officier dans un camp d'extermination.

Dès 1946, nous apprenait Charlotte Lacoste, le public s'était lassé du sempiternel récit des victimes de la Shoah et leur reprochait de ne pas aller de l'avant. Les victimes sont nombreuses, elle sont impuissantes, leurs récits se ressemblent trop, ils ont une faible valeur narrative, expliquait cette historienne de la littérature. Ils nous mettent mal à l'aise, nous qui aimerions tellement vivre dans un monde juste que nous sommes capables de tout pour entretenir cette fiction, notamment cette abjection très commune : se dire et leur dire qu'elles doivent être coupables de quelque chose, sans quoi tout cela ne leur serait pas arrivé. C'est un biais cognitif appelé « croyance en un monde juste ».

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Du balai

balaiM.jpg, mar. 2021Sandrine Rousseau et François-Xavier Devetter, Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, Raisons d'agir, 2011

Écrit il y a maintenant dix ans, sous l’ère Sarkozy, Du balai reste un livre précieux. Les gouvernements de droite qui s’étaient succédé depuis 2002 s'étaient attachés à réinventer les emplois domestiques et à exploiter les « gisements d'emploi » en accordant des avantages fiscaux aux particuliers qui consentiraient à créer de nouveaux emplois en recourant aux services de femmes de ménage. Rousseau et Devetter, conjuguant des approches économiques et sociologiques, faisaient de ces politiques un constat accablant. Passées les premières mesures incitatives, les encouragements se faisaient toujours plus coûteux et pour un résultat toujours moindre (jusqu'à 50 000 € par emploi, si j'ai bonne mémoire car je n'ai pas relu le livre depuis sa publication – mais Morel et Carbonnier, dans un livre plus récent chroniqué ici-même, fournissent une évaluation encore plus sévère). Ces politiques s’inscrivaient surtout dans un mouvement d’allégement des impôts des ménages les plus aisés. Les deux auteur·es démontraient en effet que le critère déterminant le plus fortement le recours aux emplois domestiques de nettoyage n’était ni le temps travaillé du couple, ni celui de la femme mais leur revenu, tout simplement. Se payer une femme de ménage ne correspond pas tant à un besoin qu’à un cadeau qu’on s’offre parce qu’on en a les moyens.

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dimanche, 7 février, 2021

Imbrication

imbrication.jpg, fév. 2021Jules Falquet, Imbrication. Femmes, race et classe dans les mouvements sociaux, éditions du Croquant, 2020, 302 pages, 15 €

Depuis plus de trente ans, la sociologue Jules Falquet travaille sur les mouvements féministes et lesbiens en Amérique latine et dans les Caraïbes (ou Abya Yala, un terme autochtone qui se diffuse sur le continent). Imbrication est un riche recueil d’articles réécrits à partir de ses travaux antérieurs sur divers terrains de recherche : avec des militantes salvadoriennes peinant à faire valoir leurs droits auprès de leurs camarades révolutionnaires ; avec des Indiennes du Chiapas qui édictent leurs droits en tant que femmes malgré des conflits de loyauté avec leurs communautés ; autour d’un collectif d’intellectuelles lesbiennes noires aux États-Unis qui observent l’imbrication de rapports sociaux qui leur sont tous défavorables ; avec des féministes noires posant les bases de leur engagement au niveau continental ; avec des féministes latino-américaines observant l’ONGisation de leur mouvement. Ce sont toutes des femmes en lutte mais majoritairement des intellectuelles (lesbiennes, ce que rappelle Falquet, qui se présente elle-même comme lesbienne, blanche et appartenant à la petite bourgeoisie académique) et même si leurs débats semblent nourris d’expériences militantes et d’organisation populaire, il n’est pas toujours facile de comprendre le lien entre théorie et pratiques.

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samedi, 23 janvier, 2021

Condamner le viol pour renforcer la culture du viol

Ça arrive comme ça, d'un coup, et ça prend tout le monde par surprise. Alors certes il y a des secousses qui font espérer que… et puis non. Ou plus tard. Matthieu Foucher était parti « à la recherche du #MeTooGay » en septembre 2020 mais celui-ci est arrivé quatre mois plus tard, télescopant le #MeTooInceste qui venait d'exploser. Nous voilà donc scrollant les deux hashtags et likant à tour de bras, espérant signifier notre reconnaissance et donner un peu de courage à celles et ceux qui en ont déjà beaucoup. On vous croit, on est derrière vous, vous n'avez rien à vous reprocher. C'est leur faute.

Et puis régulièrement un compte masculin débarque et explique que le mieux à faire, contre les violences sexuelles, c'est de tuer, torturer, mutiler leurs auteurs. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce genre de comportement appartient pleinement à la culture du viol. Si vous aussi ça vous met mal à l'aise, c'est pour ça.

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dimanche, 16 août, 2020

Le mal que nous nous faisons (deuxième partie)

Je suis une féministe de Twitter. J'exprime en ligne mes idées, mes espoirs et mes indignations, sur mon fil et celui d'autres, parfois en espérant convaincre des anti-féministes partageant leurs préjugés. J'ai rencontré en ligne d'autres autrices, d'autres féministes mais la plupart du temps nous ne faisons que nous croiser. Plus ou moins poliment : il m'arrive même de poser de véritables questions pour mieux comprendre les motivations des un·es et des autres mais elles restent sans réponse.

Heureusement, j'ai connu mieux : une socialisation militante dans des groupes ou petites organisations, le plus souvent en non-mixité, y compris avec d'autres féministes dans un mouvement généraliste mixte. Nous étions camarades. Ces années-là m'ont nourrie, politiquement et intellectuellement, humainement aussi. Et je les regrette. Est-ce moi qui ai changé et suis devenue un esprit chagrin ? Ou le féminisme ? Il m'est encore arrivé de me répandre en public sur l'énergie extraordinaire éprouvée en non-mixité, et que l'autrice avec laquelle nous partagions une rencontre tempère un peu mes propos… oui, c'est vrai que ces derniers temps, être féministe a moins été une suite d'enthousiasmes qu'un chapelet de déceptions.

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jeudi, 11 juin, 2020

Le Genre du capital

Céline Bessière et Sibylle Gollac, Le Genre du capital, La Découverte, 2020, 336 pages, 21 €

L'adhésion aux constats que dressent les féministes est souvent compliquée par ce fait que les femmes et les hommes vivent ensemble et s'aiment : deux époux de sexe opposé, un père sa fille, une sœur son frère. Le racisme, les haines de classe peuvent advenir quand des groupes sociaux sont séparés, ne se connaissent pas ou peu et admettent des intérêts divergents mais le sexisme, vraiment ? Vraiment. C'est le tableau que dressent Céline Bessière et Sibylle Gollac dans leur ouvrage Le Genre du capital, résultat de deux décennies de recherches (fois deux) sur comment deux moments importants de la vie économique des personnes, l'héritage et le divorce, appauvrissent les femmes en comparaison aux hommes. Au point que les inégalités de patrimoine entre femmes et hommes sont passées de 9 % en 1998 à 15 % moins de vingt ans plus tard. Celles-ci tiennent en partie à la place des femmes dans le monde du travail, domaine arpenté depuis quelques décennies par des sociologues féministes et dont les autrices rappellent rapidement quelques aspects. Les femmes en couple avec des enfants travaillent 54 heures par semaine dont seulement 20 sont rémunérées. Les hommes 51 dont 33 sont rémunérées. La répartition des richesses, elle aussi inégalitaire, tient à ce facteur mais également à d'autres moins connus et moins bien compris, que Bessière et Gollac mettent en lumière dans leur livre.

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