Comment demander pardon
Par Aude le jeudi, 11 mars, 2021, 12h26 - Textes - Lien permanent
Nous sommes nombreuses (1) à devoir vivre avec le souvenir d’agressions ou d’abus restés impunis et qui n’ont donné lieu, au mieux, qu’à des excuses merdiques qui ont sûrement été l’occasion pour leurs auteurs de se faire briller l’ego une fois de plus mais nous laissent, à nous, un goût amer. Parce que derrière l’évidence de cette figure imposée (on demande pardon) il y a souvent une incompréhension de ce qui se joue et un refus d’aller jusqu’au bout de la démarche.
J’m’escuse
Ça vaut la peine de rappeler, avant toute chose, que personne ne peut s’excuser soi-même. Ou alors, c’est que s’excuser et se justifier ont le même sens de se donner des excuses, bonnes ou mauvaises. Mon père, par exemple, quels que soient ses torts envers moi, n’a jamais fait que m’expliquer pourquoi il avait bien fait, par exemple d’entreposer mes cartons de livres dans un abri en extérieur où ils ont moisi. Et personne d’autre à la maison ne l’a vu demander pardon, jusqu’à une confrontation assez dure avec mon frère, alors en pleine accession au statut de patriarche, à qui il a fini par dire : « Oui, bon, ça va, je m’excuse. » C’est peut-être ce qu’on peut arracher de mieux à certaines personnes, ça suffit peut-être dans le cadre d’un rapport de pouvoir qui implique que céder, c’est perdre, mais en vrai, le compte n’y est pas.
Je suis désolé
Ça non plus, ça ne coûte pas grand-chose. Moi aussi je suis désolée par la croissance des inégalités en France et dans le monde, désolée que d’autres aient faim, froid, soient en danger, désolée que les crises écologiques s’accélèrent pendant que nos sociétés en accélèrent les causes. Tout le monde est bien désolé. On en fait quoi ?
La reconnaissance
Pour être pardonné, il faut d’abord le demander. Et il faut accepter de reconnaître ses torts, sans prendre pour acquis que cela doit assurer le pardon de l’autre. Reconnaître ses torts, ça veut dire les nommer : « ce que je t’ai dit », « des choses » (voir ici un modèle du genre), « ce qui s’est passé entre nous », ce sont des allusions dans lesquelles chacun·e est libre de mettre ce que bon lui semble. Or, pour avancer, il faut commencer par être d’accord. Ce n’est pas maladresse si les termes sont toujours vagues, s’il n’est pas mis de mot dessus. C’est que ces constats, ce sont des reconnaissances de torts, de défaillances ou d’erreurs et ça n’est jamais très flatteur. C’est donc un enjeu important que de les identifier correctement.
Reconnaître ses actions, c’est aussi reconnaître leurs conséquences. J’ai toujours trouvé extraordinaire cette expression : « Pardonne-moi si je t’ai blessée », comme s’il fallait encore prouver qu’on a véritablement été blessée, qu’on ne disait pas ça seulement pour rigoler ou pour faire chier le monde. « Pardonne-moi de t’avoir blessée », « Je t’ai blessée, pardon » ou « Je vois bien que je t’ai blessée, excuse-moi » sont aussi simples à énoncer et je ne vois pas que les propositions hypothétiques soient couramment utilisées en français en-dehors de situations où elles expriment bel et bien des hypothèses.
Une fois exprimé le récit du côté de l’agresseur, il faut encore être d’accord sur des récits qui ne se contredisent pas. S’assurer que tout fait sens pour les deux parties et que rien n’est oublié. Je ne sais pas vous mais moi j’ai beau me creuser la tête, je n’ai pas souvenir de situations où la reconnaissance est allée jusque là. L’auto-apitoiement est bien plus fréquent et ne remplit pas cette fonction. Parce que c’est encore un retour auto-centré sur l’agresseur, en toute ignorance de la personne qui a subi ses mauvais procédés (2). Quand j’ai quitté le collectif qui m’avait blâmée pour ma réaction à une agression subie devant tout le monde, j’ai bien trouvé un camarade pour s’auto-flageller au nom du groupe mais ça ne remplace pas des excuses, celles de mes agresseurs et celles de leurs allié·es de circonstance.
Réparer
Trop souvent il semble entendu que les torts ne se réparent pas, qu’il suffit de dire pardon et c’est bon, il faut aller de l’avant, voyons. Un jour une copine féministe qui gagnait trois fois plus que moi et jouait avec mon parapluie l’a sans surprise cassé. Elle me l’a rendu en morceaux en me disant « pardon » ou « désolée », je ne sais plus. Mon frère, après avoir embarqué par erreur la seule clef de mon antivol de vélo, me l’a renvoyée par la poste qui l’a perdue (3) et j’ai dû m’acheter un nouvel antivol sans son aide. Il y a des situations dans lesquelles réparer est facile puisque les torts sont matériels et peu coûteux. Même dans ces cas-là, réparer n'est pas une évidence. Il en est d’autres encore où c’est plus compliqué mais on ne peut pas savoir ce qui réparerait le tort de la personne lésée si on ne lui demande pas
Est-on obligée de pardonner ?
Une fois que toutes les conditions sont réunies, est-on obligée de pardonner ? Je ne saurais dire aux autres quoi faire à ce sujet. J’ai un cœur d’artichaut qui se laisse très facilement émouvoir par des excuses correctement exprimées. Ça ne m’est pas arrivé souvent mais à chaque fois il m’a paru impossible de rester sur ma colère et mon ressentiment – alors que dans le cas contraire, beaucoup plus fréquent, ma rancune est très tenace. Je me suis longtemps demandé pourquoi des excuses de merde ajoutaient à ma colère quand d’autres mieux exprimées la faisaient fondre en quelques secondes. C’est simple, c’est parce que trop souvent ces excuses ne servent que ceux qui les expriment, les rassurent ou les mettent en valeur, ne nous sont pas destinées ou alors seulement destinées à nous faire taire, à nous enlever notre légitimité à être en colère. Nous avons le droit d’être en colère, rancunières, de ne pas accorder notre pardon. Ou pas tout de suite. Ou même de revenir dessus s’il a été accordé mal à propos, suite à des manipulations fréquentes dans ces situations.
Le processus du pardon doit être centré sur nos besoins et nous n’avons pas à nous forcer pour agréer d’autres qui ne nous ont pas prises en considération. Nous sommes souvent de bons juges des procédés bons ou mauvais qui nous sont faits.
La justice, c’est encore autre chose.
(1) Même si dans beaucoup de conflits le genre des protagonistes importe peu, tellement de situations me viennent à l’esprit dans lesquels les rôles sont ainsi distribués que je choisis de mettre les agresseurs au masculin et leurs victimes au féminin.
(2) Je me souviens d’un colocataire qui me réveillait moi plutôt que sa copine en rentrant à la fin de ses nuits de cuite, m’avait demandé pardon très sobrement la première fois et les suivantes s’était contenté de se lamenter devant moi d’être alcoolique – sans prendre aucune mesure pour se soigner – comme si je lui avais délivré une autorisation d’oublier les torts qu’il avait envers moi et qu’il renouvellerait quatre ou cinq fois avant que je ne le menace physiquement s’il continuait.
(3) Pour envoyer un objet non-plat par la poste il faut le mettre dans une enveloppe solide, type enveloppe à bulles, ou le coller à plat à un objet plat. Les machines déchiquettent facilement les enveloppes si ces précautions ne sont pas prises.