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Votre recherche de sandrine rousseau a donné 20 résultats.

vendredi, 8 mars, 2024

Comment j’ai appris à mépriser Sandrine Rousseau

Il me semble important de critiquer les camarades, non par plaisir égocentrique et pour se mettre en valeur à leurs dépens mais parce que toutes les stratégies peuvent être interrogées et que personne n’est à l’abri d’une dérive. Les critiques du camp opposé, par leur violence, leur injustice ou leurs présupposés biaisés, tendent plutôt, et c’est compréhensible, à conforter celle ou celui qui les essuie qu’à susciter un peu de remise en cause. Au contraire, une critique « amie » doit faire surgir des questionnements, rappeler des exigences partagées… et accessoirement être cordiale et éviter la personnalisation.

Ce billet n’est pas une critique amie.

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samedi, 9 décembre, 2023

Nourrir la bête

« La magie Shiva n’a jamais été aussi accessible », apprend-on sur les publicités pour cette entreprise qui met à disposition du travail de ménage. « Shiva vous permet de faire le choix de régler la moitié de votre facture chaque mois en bénéficiant immédiatement de votre crédit d’impôt. » Ménage, garde d’enfants et même cours de musique à la maison font l’objet de publicités variées qui insistent toutes sur ce fait : c’est l’État qui paye la moitié !

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lundi, 26 septembre, 2022

Quand les identités s’affrontent dans les assiettes

C’est un air connu, que les marionnettes du jeu électorat se remettent à siffler quand elles s’inquiètent qu’on les ait oubliées. Fabiend’chez nous Roussel et sainte Sandrine Rousseau, deux héros de la défaite de la gauche en Hauts-de-France qui se sont imposé·es dans l’arène nationale, remettent le couvert sur la question de la consommation de viande. Rousseau, qui n’était pas végétarienne la dernière fois que j’ai mangé avec elle, renforce son image d’écoféministe en dénonçant une consommation masculine de viande qui détruit la planète. Sur le fond, le propos est assez juste : la manière dont sont associées la consommation de viande et la masculinité, la chasse, la prédation, la force physique et même la couleur rouge (1), dite aussi virilo-carnisme ou carno-phallogocentrisme pour faire plus simple, est une représentation sociale mise en lumière depuis plusieurs décennies et qui explique encore aujourd’hui la consommation différenciée de viande entre femmes et hommes (2). La journaliste féministe Nora Bouazzouni a d’ailleurs produit récemment deux ouvrages éclairants et bien argumentés sur le sujet, Faiminisme et Steaksisme (Nouriturfu, 2017 et 2021). Roussel, qui drague un électorat en tout point opposé, en a profité pour faire son apologie des vraies valeurs françaises, vin, viande et fromage.

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mardi, 25 janvier, 2022

Harcèlement moral en milieu anti-tech

frederique-vidal.jpeg, fév. 2022Écrire et publier, sur quelque support que ce soit, c’est s’exposer. Aux désaccords diversement exprimés mais aussi à des attaques personnelles, ce qui est plus regrettable. Il y a quelques années j’ai fait l’objet d’une telle attaque. Trois pages d’une méchante brochure étaient consacrées à montrer quelle raclure j’étais : opportuniste et arriviste, je n’écrivais jamais que pour faire une carrière d’autrice « radicale », changeant de cheval au gré des modes militantes, au fond « jalouse » de l’auteur du libelle. Après une réponse en privé, où j’avais mis en copie d’autres personnes attaquées dans le texte, et bien que j’aie été souvent tentée de rétablir un peu de vérité parmi des mensonges très factuels et mesquins, je n’ai jamais pris la peine de commenter cette brochure autrement que par des allusions ici-même. Je connais Thomas J, l’auteur de ces malheureuses pages, depuis 2008 et notre passage chez les jeunes écolos alternatifs et solidaires, une asso soutenue par les Verts puis EELV. J’ai de lui une opinion très mélangée : un homme arrogant mais intéressant, un militant très actif et efficace mais qui a pris des partis douteux, un auteur qui se flatte de comprendre « le » féminisme et « le » Islam sur lesquels il écrit des textes haineux et de faible tenue (on a là le 100 000e islamologue du pays) mais qui documente honnêtement le déferlement technologique dans sa région, une personnalité que j’ai découverte tardivement narcissique et au fond fragile, dont l’écriture carbure à la haine, prenant des cibles pas toujours choisies avec la plus grande sagacité.

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dimanche, 5 septembre, 2021

Misère du cyclisme urbain

« Connasse, t’as qu’à te pousser dans le caniveau, je te double si je veux ! » C’est pas lui qui me gueule ça, c’est moi qui verbalise à voix haute son dring-dring parce que je prends toute la place sur cette piste cyclable trop étroite pour y rouler à deux de front. (Oui, dans la France d’avant – avant le 5 décembre 2019 – on imaginait des cyclistes épars·es se suivre de loin en loin et personne n’avait prévu des pistes suffisamment larges pour doubler.) Il me dépasse quand même, en me frôlant et en me faisant savoir qu’il est vexé que j’aie pu le confondre avec un automobiliste de base. Lui, il est beaucoup mieux. Il fait du vélo, il mange peut-être bio pour sauver la planète en rentrant à 18 h de son boulot de bureau bien payé, si j’en juge par son joli équipement. Il est probablement « déconstruit » et titulaire d’un livret éthique qui partage ses maigres bénéfices avec Pierre Rabhi, un peu comme moi. Sauf que moi, je suis capable de gérer ma frustration et de rester à rouler tranquillement derrière une vieille dame ou un gros monsieur, tant que je n’ai pas la place de les dépasser. Je le retrouve plus tard, j’étais passée devant lui suite à un mauvais choix de sa part au carrefour et il me double de nouveau. On roule à peu près à la même vitesse mais le moindre différentiel lui est insupportable, c’est son droit humain de doubler quiconque le ferait à peine ralentir, dès qu’il estime que « ça passe ». Aujourd’hui c’est lui, un barbu trentenaire ou quadra. Hier c’était elle, une meuf plus jeune en Vélib (1) pour qui s’était vital, de se placer devant moi, j’avais donc roulé deux kilomètres sur l’avenue sagement derrière elle après son dépassement dangereux. Avant-hier c’était un autre gars avec un vélo sportif, dans un virage, et qui roulait sur la piste malgré une vitesse élevée.

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lundi, 8 mars, 2021

Du balai

balaiM.jpg, mar. 2021Sandrine Rousseau et François-Xavier Devetter, Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, Raisons d'agir, 2011

Écrit il y a maintenant dix ans, sous l’ère Sarkozy, Du balai reste un livre précieux. Les gouvernements de droite qui s’étaient succédé depuis 2002 s'étaient attachés à réinventer les emplois domestiques et à exploiter les « gisements d'emploi » en accordant des avantages fiscaux aux particuliers qui consentiraient à créer de nouveaux emplois en recourant aux services de femmes de ménage. Rousseau et Devetter, conjuguant des approches économiques et sociologiques, faisaient de ces politiques un constat accablant. Passées les premières mesures incitatives, les encouragements se faisaient toujours plus coûteux et pour un résultat toujours moindre (jusqu'à 50 000 € par emploi, si j'ai bonne mémoire car je n'ai pas relu le livre depuis sa publication – mais Morel et Carbonnier, dans un livre plus récent chroniqué ici-même, fournissent une évaluation encore plus sévère). Ces politiques s’inscrivaient surtout dans un mouvement d’allégement des impôts des ménages les plus aisés. Les deux auteur·es démontraient en effet que le critère déterminant le plus fortement le recours aux emplois domestiques de nettoyage n’était ni le temps travaillé du couple, ni celui de la femme mais leur revenu, tout simplement. Se payer une femme de ménage ne correspond pas tant à un besoin qu’à un cadeau qu’on s’offre parce qu’on en a les moyens.

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mardi, 8 décembre, 2015

Au fond du trou

D’habitude, je ne vote pas. Si mes ancêtres se sont battus pour quelque chose, c’était pour mener une vie digne, pas pour distribuer des cartes blanches à leurs gouvernants sur la base de questions mal posées. Mais dimanche je suis allée poser mon bulletin dans l’urne. D’abord parce que « malgré tout l’intérêt que présente [mon] CV », cela faisait dix ans que je moisissais au chômage quand j’ai été embauchée il y a six mois par le groupe des élus verts au Conseil régional Nord-Pas de Calais. Autant ces dix années avaient entamé mon optimisme sur la possibilité de créer des alternatives au capitalisme qui n’en reproduisent pas la violence, autant je leur suis reconnaissante de ne pas m’avoir jugée sur les mêmes critères que les gentilles assos chez lesquelles je postulais sans succès. Ensuite parce que, pendant le peu de temps où je les ai côtoyés, la plupart des élus de ce groupe ont su gagner une estime que j’accorde chichement. Certes nos visions ne s’accordent pas tout à fait mais ils et elles correspondent assez largement à ce que les spectateurs de ma conférence sur les élections me disent attendre de leurs élus : être réglos et faire leur boulot. What else?

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mardi, 31 mars, 2015

Manuel de survie à destination des femmes en politique

Sandrine Rousseau, Manuel de survie à destination des femmes en politique, Les Petits Matins, 2015, 108 pages, 9,90 €

Voilà un ouvrage qui s’adresse à toutes les femmes qui pourraient être tentées par l’action publique. Mais même si vous n’avez pas envie de devenir un jour conseillère municipale ou présidente de région, même si vous pensez comme moi que les élections devraient être abolies car la manie de la représentation est en soi un problème, même si vous n’avez pas envie de partager le pouvoir mais de le voir disparaître, ne passez pas votre chemin. Car le pouvoir existe toujours et vous êtes de toute manière susceptible d’y être confrontée un jour. Si ce n’est pas dans votre activité militante, heureusement à l’abri de tout rapport de pouvoir entre femmes et hommes (non ?), ce sera au boulot, avec des proches ou dans la rue.

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mercredi, 24 septembre, 2014

Qui est réac ? Qui est moderne ?

Je viens de livrer mon troisième dossier à L'An 02, la revue d'écologie politique que j'anime. Vous pouvez trouver ce n°6 en librairie à 7 € ou vous abonner à 10 € les deux numéros. 60 pages en couleurs, format A4 ou à peu près, des lectures de bouquins récents, des chroniques et des reportages, 100 % bénévole, elle a besoin de lectrices et de lecteurs pour exister. Pourquoi pas vous ?

L’écologie propose de s’éclairer à la bougie, de renvoyer les femmes à la maison et à leur condition… ou bien, lorsqu’elle gagne en maturité, elle se montre à la pointe de l’innovation, prête à miser sur l’efficacité des nouveaux procédés de management des flux humains et énergétiques. Alors, l’écologie politique : tout à la fois réac et moderne ?

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mardi, 22 juillet, 2014

À Singapour, achète-t-on bien les domestiques ?

Il y en a des fermés le dimanche et d’autres ouverts 24h sur 24. Des luxueux et des miteux. Des spécialisés et des généralistes, avec les enseignes des multinationales du commerce de détail, un H&M, un Starbucks. Au dernier étage, un food court ou un cinéma parfois… C’est le mall ou centre commercial, cette institution qui en Asie du sud-est offre l’avantage de concentrer ses loisirs consuméristes à l’abri du soleil et de la chaleur. Celui de Bukit Timah, à Singapour, a fait couler beaucoup d’encre. Le 27 juin, Al Jazeera publie un excellent papier qui fait le point sur la situation des domestiques étrangères à Singapour, en prenant comme point de départ l’endroit où elles sont le plus visibles, ce petit centre commercial à l’ouest de la ville-état. La presse française s’en empare, France 24 produisant une resucée assez incomplète de l’article en question, illustrée par une photo de gratte-ciels au centre-ville, à 11 km. Les mêmes titres sensationnalistes (« Achetez un domestique » par lepoint.fr, notons un masculin neutre assez déconcertant) et les mêmes photos non-créditées font ensuite le tour d’Internet. Que se passe-t-il donc au Bukit Timah Shopping Centre ?

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jeudi, 19 décembre, 2013

Le patriarche en gros bébé

Dans le mythe originel, le patriarche c'est ce mâle dominant dans une horde composée de ses compagnes et de ses enfants. Il fait violence à tou-te-s à plusieurs titres. Les femmes sont à ses yeux des marchandises (qu'il consomme ou échange), et il en monopolise l'usage sans rien en céder à ses fils. C'est à ces deux titres aussi qu'en tant que féministe je lutte contre le patriarcat, à la recherche d'égalité entre femmes et hommes et sachant qu'elle passe par des exigences d'égalité aussi fortes entre les hommes eux-mêmes. Comme dans cette citation qu'on me rappelait récemment, « Feminism is for everbody » (1) en ce qu'il s'attaque aux deux questions à la fois, et on l'espère la domination en général (classe, race, sexualité, handicap, etc.).

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lundi, 2 décembre, 2013

Écologie politique : comment ne pas entendre

Ce matin sur France Inter, dans un de ces télescopages saisissants qui servent de signe ostentatoire de pensée originale, le chroniqueur politique maison mettait en parallèle la crise écologique et sociale et les échecs d'EELV : c'est parce que "les écolos" engagé-e-s dans la gestion des affaires publiques s'en sortent plutôt mal qu'on se rapproche des limites du système productiviste, notamment le système agro-alimentaire breton. Cassandre ne parle pas assez fort, ou bien elle n'articule pas assez bien, ou encore elle n'utilise pas des concepts assez stratégiques, toujours est-il qu'on peut passer des années à ne pas l'écouter et finir ensuite par le lui reprocher. Ben tiens.

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jeudi, 31 octobre, 2013

Comment peut-on être un homme féministe ?

La réponse est simple : c'est impossible. Le féminisme part d'un point de vue situésur le rôle social réservé aux femmes et les relations femmes-hommes qui en découlent. De son constat découlent des revendications d'égalité qui, elles, peuvent (et doivent) être relayées par les hommes. Cette place ingrate a un nom : proféminisme. Non pas dansle mouvement féministe mais à côté, en allié ou en relais. Et les féministes ont besoin de ces alliés, quand leur parole est méprisée justement parce qu'elle n'a pas l'assurance qu'on développe dans un monde d'hommes (1).

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samedi, 20 juillet, 2013

Le revenu garanti en ligne de mire

Les pistes ébauchées ici se retrouvent dans une brochure là-bas.

La revoilà, cette généreuse idée du revenu garanti, réactivée par des mouvements anti-productivistes ou anti-capitalistes, après une décennie peu propice aux utopies, pendant laquelle elle avait continué son chemin très modestement (1). Rappelons grosso modo (car il en existe plein de variantes) le principe du revenu garanti : c'est une somme offerte à tou-te-s chaque mois, sans condition de revenu ou de bonne volonté à « s'insérer », suffisante pour vivre correctement. Trois critères auquel ne satisfait pas le RSA aujourd'hui. Le revenu garanti est une réforme révolutionnaire, comme on disait (2), qui permet au travail de cesser d'être une valeur centrale et de choisir sans contraintes d'autres « allures de vie ».

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jeudi, 28 juin, 2012

A propos de quelques aspects du débat sur la prostitution

Le nouveau titre de cet article est très ennuyeux, mais j'en avais marre des visites dues à de pauvres recherches Google et je n'étais pas convaincue du caractère pédagogique de ces erreurs d'orientation. Anciennement, donc, "Mais non, grosse pute, c'est pas une insulte !"

Qu'est-ce que j'ai dit ? J'ai fait l'éloge de la peine de mort ? Expliqué comment j'avais voté FN ou fait une sortie raciste ? Non, j'ai juste suggéré que la prostitution faisait partie d'un système hétéro-patriarcal de domination. Pas la grande classe, politiquement, quand on voit l'aura dont jouissent les « travailleurs et travailleuses du sexe » dans les milieux radicaux. Il y a de quoi s'indigner de certaines dispositions dont ils et elles sont victimes (1), mais de là à faire de leur discours l'alpha et l’oméga de la pensée politique sur le sujet, c'est un peu comme si on demandait à l'Armée de décider de notre prochain engagement militaire, ou aux vendeurs/ses de pompes de choisir ce qu'on devrait se mettre aux pieds : laissez la parole aux spécialistes.

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jeudi, 9 septembre, 2010

L'agriculture, au cœur du projet écologiste

Texte co-écrit avec Jacques Caplat pour EcoRev', dans le cadre du dossier "L'agriculture, au cœur du projet écologiste". Les passages en gras sont inédits, la version des auteur-e-s ayant été réécrite par la direction sans leur consentement.

L'agriculture est désormais vécue comme une activité marginale dans nos sociétés dites "post-industrielles". Pourtant, l’activité agricole joue un rôle central dans la manière dont une société s’inscrit dans son territoire, c’est-à-dire à la fois dans l’espace et dans le temps, et dans sa fonction centrale de nourrir l’humanité. Il est tentant de croire à l’avènement d’une civilisation dématérialisée et d'une production agricole hors-sol mais de nombreux signes nous laissent envisager à quel point un socle matériel reste déterminant, des sociétés les plus pauvres aux plus avancées. Il est ainsi acquis que l’explosion des prix agricoles des années 2007-2008 – due entre autres aux agrocarburants – ne s’est pas limitée à provoquer des émeutes dans les pays du Sud, mais qu’elle a également eu une influence importante sur la déstabilisation des marchés financiers, avec les conséquences que l’on sait ("Une crise financière et… environnementale", Sandrine Rousseau, juin 2009, ecolosphere.net). Aujourd’hui, l’agriculture retrouve sa place dans un projet de société plus écologique, et suscite un enthousiasme nouveau : refus des OGM, demande en produits bio et équitables, engouement pour les circuits courts avec les AMAP, ou encore succès de documentaires dans les cinémas, de Notre pain quotidien au récent Solutions locales pour un désordre global.

Repenser l’agriculture implique naturellement une critique sans concession de la mainmise des multinationales sur les mécanismes néolibéraux de l’OMC et sa prétendue régulation "par le marché". Mais cette critique, de plus en plus connue et admise, ne suffit pas à construire une alternative : abattre les multinationales sans avoir d’abord identifié et soutenu les moyens d’une production relocalisée, ce serait s’enfermer dans le cercle sans fin de la répartition a posteriori d’une production centralisée, c’est-à-dire d’une primauté permanente accordée au capital – dont les effets néfastes seraient alors simplement "corrigés" par une politique sociale, comme le fait l’actuelle PAC tant critiquée. C’est justement ce dont les communautés paysannes du Sud ne veulent plus : l’heure est à l’exercice d’une démocratie agricole, basée sur les fondamentaux de l’acte de production (la terre, les semences, le paysan, le milieu naturel et le milieu social) et la reconnaissance du droit de chaque société à définir sa propre politique agricole et assurer sa souveraineté alimentaire. Par ailleurs, il est insuffisant de combattre l’agro-capitalisme sans identifier d’abord ses présupposés scientifiques et la représentation du monde qu’il traduit.

Parce que l’avènement d’une agriculture centralisée, industrialisée et chimique a conduit à mettre en danger le facteur de production (la terre, l’eau, le climat) et à aliéner les paysans (accaparement des terres, intrants chimiques, semences standards, non-reconnaissance des savoirs paysans), nous commencerons par un premier tour d’horizon des impasses et dangers de l’industrialisation de l’agriculture sur le climat (Diane Vandaele puis Claude Aubert), les sols (Emmanuel Bourguignon), le foncier (Michel Merlet puis Joseph Comby) et les semences (Guy Kastler). Dans un deuxième temps, Jacques Caplat (qui coordonne pour nous ce numéro), Michel Pimbert et Marc Dufumier démontreront qu’une fois débarrassés des mythes et impostures de ce modèle, nous pouvons mettre en œuvre une autre agriculture : bio, paysanne et adaptée aux communautés, aux terroirs et aux climats. Nous ébaucherons alors avec Aurélie Trouvé, Geneviève Savigny, José Bové et le groupe PAC 2013 quelques- uns des enjeux d’une agriculture en rupture avec les politiques néolibérales et replacée au cœur des territoires et des attentes sociales. Xavier Poux enfin rappellera en quoi les choix agricoles sont indissociables des paysages et des espaces de vie.

Adoptant un point de vue planétaire, nous nous attacherons donc dans ce numéro à dessiner les contours d’une agriculture inscrite dans une approche propre à l’écologie politique : humaine, environnementale et systémique. Ce dossier, inauguré par un classique de Henry David Thoreau, adressera aussi des clins d’œil à nos autres rubriques, lectures et kit militant. Après un n° 9, consacré en juin 2002 aux "Modernités de la ruralité" et disponible comme les autres en intégralité sur notre site ecorev.org, nous avons le plaisir de vous emmener sur de nouveaux chemins de campagne.

lundi, 8 mars, 2010

Écologie et féminisme, retour sur une polémique

Texte rédigé en collaboration avec Sandrine Rousseau pour la revue EcoRev'

La cause est entendue : l'écologie ne peut que renvoyer les femmes à la maison... A l'automne 2008, Nicolas Sarkozy et le magazine Marianne faisaient pour une fois front commun pour dénoncer « le mode de vie écolo », couches lavables et allaitement. Cet hiver, Élisabeth Badinter peaufine sa position pour défendre la capacité d'émancipation du mode de vie industriel. Cela fait pourtant belle lurette que les femmes ont compris que la machine à laver a libéré une part de leur temps mais que l'égalité ne leur est pas venue à mesure qu'elles équipaient leur cuisine. Le petit pot de malbouffe pour bébé, les couches jetables qui font rougir les fesses, les biberons remplis de lait Nestlé sont certes plus pratiques, mais rien ne garantit que leur usage pourtant pas compliqué soit enfin partagé par les hommes et les femmes. Et de fait, il n'en est rien, le partage du (temps de) travail domestique demeure – décennie après décennie – sensiblement le même, c'est à dire foncièrement inégalitaire. Cette association imperturbable des femmes à la sphère domestique est au cœur de l’inégalité de genre, et se répercute largement dans l’espace public. Faciliter superficiellement les tâches qui y sont associées ne constitue pas un projet politique pour espérer la dépasser.

Le projet écologiste passe certes par une interrogation du mode de vie au quotidien, mais il ne se résume pas à quelques comportements de consommation vertueux, devenus emblèmes du développement durable. L’écologie politique remet en cause un modèle socio-économique bâti autour de l’activité rémunérée, stable et à longs horaires de travail : ceux et celles qui ont la « chance » d’y être conformes peuvent acheter à d’autres les services que – faute de temps – ils et elles ne sont plus en mesure d’assumer. L’émancipation de certaines femmes ne passe ainsi plus par l’égalité et le partage avec les hommes, mais par un modèle de vie qui entraîne la sujétion d’une armée de travailleurs et travailleuses pauvres, de l’industrie agro-alimentaire à la grande distribution. Et à l’emploi à domicile pour les ménages les plus aisés, désormais encouragés financièrement par des politiques publiques aux répercussions sociales et environnementales désastreuses.

A l’heure du développement des très longs horaires de travail, le modèle que l’on propose aux femmes est celui d’hommes cadres suractifs qui travaillent 50 à 70 heures par semaine. Mais la réalité du travail féminin, c’est surtout un temps partiel subi et un revenu qui ne leur permet pas d’émancipation économique. 70 % des travailleurs pauvres sont des femmes, et elles sont aussi plus durement touchées par le chômage. La question posée par les écologistes est donc celle du partage du travail et de la diminution de la durée légale du travail pour tou-te-s, hommes et femmes. L’enjeu n’est pas uniquement de manger des fruits et légumes bio achetés au marché et cuisinés à la maison, il est surtout de ne pas passer sa vie à la gagner et de ne pas consacrer son salaire à un mode de vie peu soutenable. S’il existe avec le réinvestissement de la sphère domestique un risque de fragilisation des acquis des femmes, il est incomparable avec celui que fait courir le mythe du « travailler plus ». Le projet écologiste est bien celui d’une société où chacun-e aura la possibilité de travailler moins tout en percevant sa part des richesses produites, avec le loisir de s’investir dans d’autres activités que le travail rémunéré, telles l’auto-consommation, la culture, la transmission de certaines valeurs à travers l’éducation, ou la vie civique.

Le dossier que notre revue a consacré aux liens entre écologie et féminisme ne défend pas de vision naturaliste des sexes, et il faudra cesser de peser grossièrement l’écologie politique au regard de ses courants les plus marginaux. Nous ne nous réclamons pas d'une nature féminine, en lien avec les éléments, mais faisons le constat d'un usage du monde qui a souvent été imposé aux femmes et les met en première ligne des contradictions les plus flagrantes de notre société. Elles se voient, en raison de leur genre, dicter des modèles : le monde médical déconseille puis recommande fermement l’allaitement, la pub fait d’elles des maman-lessive ou des icônes hyper-sexualisées. Plutôt que de nous inscrire dans une polémique sur le modèle qui devra leur être imposé, nous souhaitons que leur expérience entre enfin en politique pour orienter nos choix socio-économiques.

lundi, 11 août, 2008

Écologie et féminisme

Édito du dossier "Écologie et féminisme", coordonné à l'été 2008 avec Sandrine Rousseau pour la revue EcoRev'

Écologie et féminisme... autant les deux engagements se retrouvent fréquemment chez les mêmes personnes, autant le lien est rarement explicité. Au-delà de l'exigence d'égalité entre hommes et femmes, la présence même, au sein de l'écologie politique, de valeurs humanistes – ces "luttes non-prioritaires en matière d'environnement" et dont les écologistes se mêlent curieusement – serait-elle un simple épiphénomène et non une nécessité idéologique ? Ce dossier d'EcoRev' s'attachera donc dans un premier temps à clarifier le lien entre ces deux mouvements, leur proximité idéologique et leur offensive simultanée sur la citadelle politique.

Écologie et féminisme… donc écoféminisme ? La première traduction française de l'introduction du Rethinking Ecofeminist Politics de Janet Biehl permet de faire un point rapide sur les dérives essentialistes et folkloriques – essentiellement anglo-saxonnes – d'un écoféminisme ayant pu être tenté de déserter un moment le champ politique. Francine Comte et Alain Lipietz se situent résolument dans ce champ-là. Et répondent à nos questions sur quarante ans de féminisme et d'écologie politique à la française.

Noël Burch interroge ce qu'on en commun les images qui nourrissent les adversaires du féminisme et de l'écologie en politique, tandis que Bertram Dhellemmes se penche sur la remise en cause du fonctionnement politique qu'induisent les deux mouvements de pensée. Florence Jany-Catrice, Sandrine Rousseau et François Devetter, en partant de situations concrètes et avec un certain pragmatisme, interrogent dans un second temps le modèle d'égalité hommes/femmes au regard de ses conséquences écologiques. Et ouvrent des pistes qui permettront à la position spécifique des femmes de nourrir la critique du productivisme et de l'organisation sociale du travail.

Alors que les écoféministes au Sud recueillent aujourd'hui le fruit de leurs travaux – prix Nobel de la Paix accordé à Wangari Maathai en 2004, reconnaissance unanime du micro-crédit et du rôle positif de l'investissement des femmes dans l'économie – Bruno Boidin fait le point sur ces nouvelles approches genrées, leurs qualités et leurs limites. Mathilde Szuba, à partir d'un ouvrage ancien de Francis Ronsin, nous permet de nous repencher sur la question de la limitation des naissances, qui a pu lier émancipation féminine, révolution sociale et nécessités environnementales. Un kit militant, en clin d'œil au dossier, présente en fin de numéro les bases de l'écomaternage.

A y regarder de plus près, comme nous avons tenté de le faire, l'écologie et le féminisme peuvent entretenir un dialogue fructueux. En se nourrissant l'un l'autre plutôt qu'en suivant des chemins simplement parallèles, ils mettent en lumière les fonctionnements les plus aberrants de notre société, et lui font des propositions à proprement parler révolutionnaires.

jeudi, 7 août, 2008

L’écologie politique, petite sœur ou jumelle du féminisme ?

Propos recueillis dans le cadre du dossier "Écologie et féminisme", coordonné à l'été 2008 avec Sandrine Rousseau pour la revue EcoRev'

Francine Comte-Segrestaa et Alain Lipietz sont membres des Verts. Elle a présidé la commission Féminisme, et participe à l'animation du Collectif national pour les droits des femmes depuis sa création. Il est député européen. Économiste, il n’a jamais négligé la situation économique et sociale spécifique des femmes. Comment concilient-ils écologie politique et féminisme ? Deux réponses croisées, en forme de retour sur quarante ans d’histoire politique et personnelle.

EcoRev' : On vous sait engagé-e-s pour l’écologie politique et pour le féminisme. Beaucoup de femmes et d’hommes partagent ces deux engagements, sans forcément les lier. Comment se rejoignent-ils dans votre pensée ? dans votre expérience ?

Francine Comte-Segrestaa : Ces deux mouvements, bien qu’ayant des racines antérieures, sont jaillis dans le bouillonnement engendré par Mai 68. Ils portent bien des aspirations communes, mais leur dessein, leur dynamique sont différentes.

Alain Lipietz : Féminisme et écologie ne dérivent pas en effet l’un de l’autre. Disons qu’ils sont jumeaux.

FCS : Tous deux s’enracinent dans un sens aigu de la solidarité. La solidarité fut d’ailleurs le moteur de mon premier engagement (social, tiers-monde). Puis Mai 68 apporta le grand vent de la liberté. Et d’abord la libération de la parole. Pour les femmes, se parler signifia la sortie de l’isolement, et la mise en commun de la vie privée, d’une oppression partagée. Le féminisme naissant s’enracinait bien dans la solidarité : "Nous sommes toutes sœurs". Agir était urgent : divorce, contraception et avortement, viols... Mais le fondement du féminisme, c’était la mise au jour de l’inégalité profonde entre les sexes. Aucun combat pour la liberté, pour la solidarité n’ont de sens sans le bouleversement de cette inégalité, une inégalité qui n’est pas seulement de position inférieure dans une société donnée, mais pérenne, affirmée comme naturelle : aux hommes toutes les valeurs positives, le rôle d’acteurs, aux femmes des valeurs plutôt négatives et la dévolution absolue au rôle maternel. Aux hommes la culture, l’histoire, la technique et les progrès de l’humanité, aux femmes la nature, la prolongation de l’espèce et des normes. C’est tout cela que le féminisme dénonce. L’égalité entre les sexes est une révolution ontologique. La force de cette aspiration fit une brèche dans le schéma simpliste des militants de l’époque, fonctionnant sur la seule opposition binaire capital/travail et remisant les autres combats à plus tard, les traitant comme des contradictions secondaires. Le féminisme s’affirmait comme un nouveau paradigme, une nouvelle façon de considérer la société.

EcoRev' : L'image de mouvements écologistes et féministes surgissant au même moment est-elle correcte, ou le féminisme est-il premier ? Comment se nourrissent-ils l'un l'autre ?

AL : En 1965, j’avais 17 ans, mon amie (future mère de mes deux filles) m’a d’emblée fait lire Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, pour mettre les choses au point ! Cette année-là, René Dumont ne se définissait pas encore comme écologiste, mais De Gaulle avait déjà créé le ministère de l’Environnement. Et déjà aux Etats-Unis des associations faisaient de l’écologie une "political issue". En mai 68, les deux mouvements n’étaient guère présents, ils émergent en tant que mouvements politiques dans les années suivantes. Mais en France le féminisme est en avance sur l’écologie. À cette époque, nous militons, Francine et moi, à la GOP (Gauche ouvrière et paysanne, NDLR) qui est fermement féministe, avec des règles de parité et un grand souci pour les luttes sur la question des territoires (la GOP a animé les premières marches sur le Larzac). Et pourtant la GOP faisait référence au maoïsme. C’est-à-dire que la lutte des femmes et les luttes sur la question des territoires y sont des "fronts secondaires", subordonnés au front principal, l’affrontement capital-travail. Du coup, le féminisme finira par mette en crise toutes les organisations post-soixante-huitardes.

FCS : C’est dans ce contexte basé sur la complexité et le bouleversement des schémas qu’ont pu se développer bien d’autres mouvements, en particulier le combat homosexuel. Mais aussi l’écologie. Bien sûr, il y avait déjà des écologistes, des luttes pour le "cadre de vie", l’environnement, la santé. Mais l’écologie politique, vue comme un nouveau paradigme ayant vocation à relier les rapports sociaux et le rapport des hommes à la nature, à prendre en compte la complexité et l’unité profonde de ces combats, a pour creuset la maturation permise par le féminisme. La prise de conscience de cet élargissement qu’apportait à son tour l’écologie me tourna vers ce combat. J’ai adhéré aux Verts en 1991. Les liens entre ces mouvements sont évidents. L’homme n’est plus le démiurge qui façonne, forge la nature. Il en est un élément. Le rapport que tout être humain entretient avec elle s’enracine dans le rapport avec l’autre qui se tisse en premier dans la relation homme-femme. L’éducation qu’il reçoit à ce sujet est primordiale. Le premier environnement de l’humain n’est-il pas le ventre maternel ? Cela ne signifie pas que les femmes sont forcément plus sensibles à l’écologie que les hommes. Mais cela implique que le combat féministe pour l’égalité soit essentiel pour tout progrès écologiste.

AL : La réconciliation théorique du féminisme avec d’autres mouvements sociaux n’aura lieu en effet que vers la fin des années 70 au sein d’un paradigme plus général : l’écologie politique, qui respectait leur autonomie relative et la convergence de leurs combats. Car cette gémellité entre écologie et féminisme, et leur lien avec la lutte des exploités (mouvement ouvrier, tiers-mondisme) avait des racines profondes. À l’époque, ce n’était pas contre le "libéralisme" mais contre une forme très organisée, planiste, du capitalisme : le fordisme. C’est contre la planification capitaliste fordiste que s’est fait Mai 68. Pour l’écologie, cela signifiait la lutte contre le "déménagement du territoire" et la dictature des "Etats dans l’Etat" (EDF, CEA, etc.). Pour le féminisme, le fordisme érodait la subordination patriarcale (grâce au plein emploi qui permettait l’indépendance économique des femmes) mais ne rendait que plus claire leur subordination politique et domestique. Par ailleurs les femmes, non "par nature", mais de par leur position sociale, étaient plus sensibles aux réalités du travail concret, de la "colonisation de la vie quotidienne" par la société marchande planifiée. En tant que chercheur sur les espaces économiques, j’avais vite compris que j’en apprenais beaucoup plus dans n’importe quel pays en parlant une demi-heure avec une femme qu’en discutant interminablement avec un collègue masculin. Cela vient entre autres de ce que les femmes, insérées (en plus exploitées) dans les mêmes rapports capitalistes ou bureaucratiques que les hommes, font vivre en plus le "premier étage de la civilisation matérielle" selon Braudel : travail domestique, entraide, voisinage, etc. Elles ont davantage à se soucier de la valeur d’usage, les hommes de la valeur d’échange. Or le basculement de l’anti-capitalisme à l’écologie, c’est justement la prise en compte du travail concret et de la valeur d’usage : qu’est-ce qu’on fait ? Comment (dans quels rapports interpersonnels) ? pourquoi ?Le paradigme écologiste était donc particulièrement apte à prendre en compte le féminisme sous sa vaste ombrelle…

EcoRev' : Les mouvements féministes et écologistes ont fait, avant que cela ne devienne un cliché, de la "politique autrement", en renouvelant les pratiques politiques, aussi bien dans leur fonctionnement interne que dans leurs apparitions publiques. Lesquelles de ces pratiques vous paraissent aujourd'hui les plus intéressantes ?

FCS : Le féminisme, dans la droite ligne de Mai 68, mettait l’imagination au pouvoir, les manifestations étaient riches d’invention, d’humour, tous les pouvoirs brocardés. Plus profondément, pour les féministes, la "politique autrement", ce fut d’abord le rejet de tout embrigadement : l’autonomie des mouvements sociaux par rapport au politique était en soi une pratique politique nouvelle. Ce n’était pas évident, vu l’emprise des groupes d’extrême gauche. Mais ce respect de l’autonomie jouait aussi à l’intérieur même du mouvement qui refusait toute unification factice. Le foisonnement des approches féministes était une bonne chose, même si c’était difficile à gérer. Aujourd’hui, les différentes tendances se regardent en chiens de faïence.

Pour les écologistes, le respect de la diversité des approches était une nécessité, car ce mouvement était issu d’une multitude d’actions de terrain différentes. La principale révolution des pratiques fut avant tout la mise en cause des pouvoirs. Des règles de fonctionnement originales ont cherché à limiter, partager les pouvoirs, d’où une complexité rare des statuts des Verts… Mais le premier souci fut d’établir un réel partage des pouvoirs entre les femmes et les hommes : des règles de parité édictées dans les statuts des Verts dès leur fondation. Si elles ont été respectées dans les élections internes, du moins aux niveaux les plus élevés, les places à pourvoir dans les joutes électorales ont toujours été la foire d’empoigne, et les rééquilibrages difficiles. D’autres pratiques ont tenté de changer les donnes au niveau de la parité : partage du temps de parole, parité dans les tribunes, etc. Pour ma part, j’ai surtout lutté à ce niveau ras des pâquerettes, où se joue la place des femmes de façon très concrète. Tout ceci, dans le recul général qui se manifeste depuis quelques années, paraît presque enterré.

AL : D’accord : sous le vernis formel de la parité, les ambitions ordinaires sont réapparues, avec l’institutionnalisation des Verts. Mais celle-ci dérive de l’urgence absolue de mener des politiques publiques face à la crise écologique. Finalement, c’est ce qui me paraît rester le plus "autrement" dans le féminisme et l’écologie : faire de la politique pour des enjeux réels, des contenus, pas la politique pour les places ni la pose critique "radicale". Mais maintenir ce cap est un travail de Sisyphe.

EcoRev' : Aujourd'hui encore, beaucoup d'écologistes sont actives (et actifs ?) dans le mouvement féministe. Le féminisme et l’écologie politique sont-ils restés séparés malgré ce recrutement commun, ou ont-ils su faire se rejoindre leurs préoccupations ? Puisque l'écoféminisme n'a pas fait florès en France, d'autres pensées ont-elles pu nourrir ce rapprochement, et si oui, lesquelles ?

FCS : Les militant-e-s écologistes ne sont pas en nombre dans les mouvements féministes. Il y a chez beaucoup une certaine prise en compte du féminisme – plutôt sous l’angle trop restrictif de l’égalité des droits – mais peu d’engagement. D’ailleurs cela se comprend, même chez des femmes écolo, par le manque de temps. Mais plus profondément, si les deux mouvements restent séparés, ce n’est pas dû au recrutement, mais à la volonté d’autonomie des démarches. Certes il y a des militants politiques au sein du mouvement féministe, mais les associatives sont heureusement présentes et vigilantes sur cette question.

Autonomie, séparation, ne devraient pas signifier ignorance : l’imprégnation entre ces mouvements s’opère trop peu. Pour autant, un écoféminisme fondé sur l’idée que les femmes sont plus proches que les hommes de la nature, de la "Mère Nature", n’est pas une bonne réponse : le féminisme ne peut reposer sur des schémas simplistes d’opposition binaire entre les sexes, ni sur l’appropriation d’un mouvement par l’autre. Par contre, sur des luttes concrètes, l’unité des actions serait à rechercher. Par exemple, sur les questions de santé, de précarité, ou sur la consommation, l’urbanisme, l’éducation, etc., bref, des combats qui concernent les deux mouvements. C’est à travers de telles actions que les deux mouvements peuvent se nourrir mutuellement, et élargir leurs perspectives.

AL : L’écoféminisme n’a été porté, chez les Verts, que par une des "mères fondatrices" de l’écologie française, la regrettée Solange Fernex. Les militant-e-s françai-se-s ont été en effet façonné-e-s par cette crise du "sujet principal unificateur" dans les années 70 (en fait cela remontre à l’althussérisme) ; et les féministes françaises détestent l’idée d’une "nature féminine" (ça, ça remonte à Pétain !). C’est plutôt par la sociologie et la psychanalyse (Guatarri), qui considèrent le rapport entre genres ou entre l’individu et son environnement familial comme des rapports sociaux, que le féminisme apparaît comme une "écologie de l’esprit" et de la vie quotidienne. D’où l’engagement concret des Verts non seulement pour la parité mais pour l’économie sociale et solidaire, appelée à se substituer au travail gratuit millénaire des femmes. René Dumont, fondateur de l’écologie politique française, avait bien compris (sans doute sous l’influence de Charlotte Paquet) que le changement des modes de vie viendrait des femmes.

Francine Comte-Segrestaa, gravement malade à l'heure de cet entretien, est décédée en octobre 2008. Nous souhaitons lui renouveler nos remerciements pour l'énergie qu'elle a consacrée à répondre à nos questions.

dimanche, 10 février, 2008

4-Exploitons-nous les un-e-s les autres

Le boom de la femme de ménage

Les agences d’emploi à domicile, qui fleurissent dans les villes depuis la rentrée 2006, près des agences de travail temporaire, présentent des besoins légitimes : cours particuliers qui peuvent améliorer le quotidien des étudiant-e-s en palliant le manque de connaissances scolaires de certains parents des classes populaires ; soin aux personnes âgées soucieuses de continuer à vivre chez elles, etc. Le ménage est l’une de ces activités, masquée par la diversité de l’emploi à domicile, mais qui représente un tiers de cette forme d’emploi. Car c’est de cela qu’il s’agit : défiscaliser le recours à l’emploi de femmes, plutôt âgées et non diplômées, dans les demeures de familles très aisées. Caricature ?
L'économiste Sandrine Rousseau s’attache à dresser un tableau précis de cette activité (1). Ce sont des femmes qui assurent ces boulots, elles sont souvent plus âgées que les serveuses et les caissières qui sont aussi peu diplômées ; dans des situations sociales difficiles, elles se plaignent plus fortement de la pénibilité physique de leur travail, et elles atteignent rarement le SMIC. C’est qu’elles ne travaillent pas à temps plein, passant un temps important et non rémunéré dans les transports entre deux maisons. Le recours à une femme de ménage dépend très peu des besoins que peuvent avoir certains ménages, du travail à temps complet des deux parents ou du nombre d’enfants par exemple. Il dépend surtout du revenu du ménage, car il devient significatif chez les 10 % les plus riches. En clair : on n’a pas forcément besoin de faire faire le ménage chez soi, mais quand on n’a pas envie de le faire soi-même, on se paye ce luxe si on en a les moyens.

Un projet de société

Les politiques actuelles promeuvent pourtant le recours à la femme de ménage jusque dans les classes moyennes, et aident à financer ces nouveaux emplois. Est-ce une aide de plus pour les ménages qui paient des impôts ? ou un projet de société ?

Côté social, on doit noter l’ignominie que représente des baisses d’impôts supplémentaires pour les plus aisé-e-s. Et condamner les conditions de travail auxquelles resteront soumises les femmes de ménage. Un domicile ne peut être considéré comme un lieu de travail, et à ce titre l’inspection du travail ne peut y entrer. Les personnes qui sont employées au domicile d’une autre ne peuvent en aucun cas bénéficier de la protection que nous devons à tou-te-s les travailleurs/ses.

Côté culturel, c’est une vraie « fracture sociale » qui s’annonce : ceux et celles qui gagnent correctement leur vie, celles qui nettoient leur merde à vil prix. Puisque les working poors sont en majorité des femmes, nous ne pouvons oublier l’approche de genre, et la soumission économique à un homme qui reste nécessaire à la femme seule pour sortir le bec de l’eau. Faire faire le ménage par une personnes étrangère au couple, c’est aussi accepter que les tâches ménagères ne se soient toujours pas bien réparties entre hommes et femmes. C’est à ce titre que les autorités suédoises ont longtemps refusé d’accompagner le « boom de la femme de ménage », témoignage de la violence de la société que nous faisons… ensemble. On ne peut faire ici qu’une brève allusion au psychisme d’une personne habituée à refuser de voir sa merde, qu’elle fait nettoyer par une autre. Rapport au corps et à son milieu de vie incomplet, confrontation à l’altérité (à travers la boniche prolo) qui se résout dans le mépris et la contrainte… on n’ose pas imaginer la capacité à faire société dans ces conditions.

La femme de ménage et le développement durable

Des conséquences environnementales ? Alors que le télé-travail un jour par semaine des travailleurs/ses intellectuel-le-s est censé assurer des économies non négligeables d’énergie, il est des employées qui vont trois fois au boulot dans la journée, et passent entre 4 et 6h dans les transports. Pendant que leurs employeurs/ses peuvent se livrer aux plaisirs de travailler plus pour gagner plus. Délocaliser ses obligations domestiques, c’est se donner la possibilité de travailler plus de 45h par semaine. Au-delà de cette limite, on note que le mode de vie change substantiellement, avec le recours moindre aux transports en commun et la consommation accrue de voyages à forfait, souvent en avion. Hervé Kempf, dans son pamphlet Comment les riches détruisent la planète (2), met le mode de vie occidental, prédateur et impossible à généraliser, sur le compte de la volonté de se distinguer en adoptant les habitudes de consommation de la classe immédiatement supérieure. Nul doute que ce système que nous avons décrit participe à la volonté de voir se diffuser des pratiques « de riches » dans les classes moyennes les plus aisées.

L’exploitation du « capital humain », qu’il réside dans les cerveaux ou dans les services qui appartenaient à la sphère non-marchande, est une forme de croissance économique que l’on affirme « propre » sur le plan écologique. Il n’en est rien. Elle participe non seulement de la fuite en avant du développement durable, mais aussi d’un projet de société d’une rare violence. Nul doute dans ce cas que le détail de l’emploi à domicile constitue une part importante de la construction de la France d’après…

Le consensus actuel se construit, nous l'avons vu, largement autour d'un déni des intérêts divergents entre classes sociales. Il s'agit de ne pas penser cette lutte des intérêts, et de continuer à imaginer qu'on pourra « réussir ensemble », dans un système « gagnant-gagnant »... On nous invite au partage d'un gâteau magique capable de satisfaire les besoins de tou-te-s, et même la cupidité de chacun-e ! Pas de remise en cause des structures dans lesquelles nous vivons. Et si crise sociale il y a, elle sera résolue, en surface, par ce qui l'aggravera demain. Un exemple ? Le projet de sauvegarder le pouvoir d'achat (particulièrement atteint, entre autres, par les cours mondiaux des ressources alimentaires) en lâchant les ambitions de la grande distribution.

(1) Pour un exposé clair et rigoureux de ces questions : « La supercherie de l’externalisation des tâches domestiques », Sandrine Rousseau, Entropia n°2, 2007, Parangon.

(2) Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Le Seuil, 2007.