Écologie politique : comment ne pas entendre

Ce matin sur France Inter, dans un de ces télescopages saisissants qui servent de signe ostentatoire de pensée originale, le chroniqueur politique maison mettait en parallèle la crise écologique et sociale et les échecs d'EELV : c'est parce que "les écolos" engagé-e-s dans la gestion des affaires publiques s'en sortent plutôt mal qu'on se rapproche des limites du système productiviste, notamment le système agro-alimentaire breton. Cassandre ne parle pas assez fort, ou bien elle n'articule pas assez bien, ou encore elle n'utilise pas des concepts assez stratégiques, toujours est-il qu'on peut passer des années à ne pas l'écouter et finir ensuite par le lui reprocher. Ben tiens.

Tout le monde à toujours quelque chose à reprocher aux écolos. Soit elles et ils sont trop différent-e-s, décalé-e-s, avec ces lubies consistant à se priver de leadership efficace dans l'idée de faire circuler le pouvoir, de le distribuer plus équitablement, de récuser cette politique à papa qui consiste à le concentrer dans les mains du même baron pendant plusieurs décennies. Soit elles et ils sont trop attentifs/ves à normaliser leurs pratiques et leurs discours ou occupé-e-s à rassurer leur monde sur la possibilité de faire la même chose mais en bio : même mobilité mais douce, même productivisme mais vert, etc. Je fais partie de la seconde classe de critiques (1), mais la bêtise de l'intervention de ce matin m'oblige à resserrer les rangs.

EELV contre les moulins à vent

Le système représentatif (français mais pas que) est une machine à normer et à maltraiter les minorités politiques. Structuré autour de la présidentielle, il entraîne l'organisation des partis autour de figures plus ou moins paternelles habituées à l'autre langue de bois du "parler vrai", jamais trop complexe, toujours forte sans être agressive. Le reste est à l'avenant, puisqu'il s'agit ensuite de remplir l'Assemblée avec plusieurs centaines de fois les mêmes, petits pères du peuple capables d'emporter leur siège en serrant les louches sur les marchés et en nourrissant la presse locale du récit de leurs exploits. Et si l'on arrive pas à se présenter comme le bon père de famille qui amènera le gigot d'auroch sur la table à chaque repas, il faudra faire alliance avec d'autres qui y arrivent. Ainsi les Verts sont depuis des années l'un des partis avec le plus gros capital sympathie, sans que ni le système électoral ni l'organisation du débat public autour de certaines questions socio-économiques mal posées (2) ne lui permettent de tenir d'autre rôle que celui de compagne d'un PS appuyant virilement sur le champignon pour nous envoyer dans le mur.

Je vois des élu-e-s et des technicien-ne-s épuisé-e-s par ce genre de conflit où l'on aura toujours le mauvais rôle, celui de l'épouse contrainte de mener des sièges tenaces pour emporter de rares victoires qui n'ont de prix qu'aux yeux de celles et ceux qui mesurent le courage qu'il a fallu pour les emporter, après des années, dans des rapports politiques inégaux. Petites victoires, grandes défaites, c'est cela la vie d'un-e élu-e minoritaire au sein d'une majorité.

L'accès à ces postes (député-e, vice-président-e de région, adjoint-e au maire) peut bien être confondu par les novices avec la jouissance d'une part de pouvoir, mais quand il s'agit d'un chroniqueur politique dans un média important aucune naïveté n'excuse le tour de passe-passe, à savoir la manière dont on demande aux plus faibles d'assumer la responsabilité du mépris dans lequel on s'acharne à les tenir. La responsabilité est peut-être partagée, mais elle n'est certainement pas égale : le PS et le système médiatique (qui n'a jamais trouvé grand intérêt aux positions singulières des Verts) en ont une écrasante.

Une écologie politique plurielle

Et d'autre part, l'écologie politique, ça n'est pas qu'EELV, c'est tout un mouvement de pensée, de pratiques, qui tente avec plus ou moins de bonheur (3) de rendre le souhaitable au moins imaginable, et pourquoi pas possible. Des économistes anti-productivistes avec des projets réformistes qui tiennent la route, des groupes locaux qui se demandent comment organiser la vie pour vivre mieux, des livres et des revues qui diffusent ces réflexions et ces exemples (abonnez-vous et abonnez vos proches à L'An 02). Depuis des années nous montrons la voie d'un système agro-alimentaire soutenable en interrogeant la taille des exploitations, les débouchés locaux, la dépendance aux intrants, la qualité nutritionnelle et gustative de la production. Nous avions à peu près tout dit.

La lecture de dossiers sur les meilleurs classes prépa parisiennes et la fraude aux cotisations sociales permettait de ne pas écouter. De qui est-ce la faute ?

(1) La violence des rapports sociaux n'y est pas moindre qu'ailleurs, c'est un reproche sur lequel je reviendrai.

(2) Sandrine Rousseau, "Repenser la question sociale", L'An 02 n°2, 2012.

(3) Et plus ou moins d'intelligence, là aussi on y reviendra.

Commentaires

1. Le mercredi, 4 décembre, 2013, 14h49 par Aude

De ce point de vue, un troisième point d’appui du renouveau écologique doit venir de l’effort de pensée. D’une part à travers un organe de réflexion à longue durée, comme Etopia, en Belgique, qui explique en partie le succès des écologistes belges. Et d’autre part d’un média, indépendant et qui affirme clairement la priorité historique que représente la crise écologique planétaire. Un média qui alimente en permanence la discussion écologique et nourrisse d’informations originales sa vision du monde. C’est ici le rôle de Reporterre, qui s’intéresse, bien au-delà d’EELV, à toute la communauté écologiste, des anarchistes aux partisans du développement durable, sur le terrain des luttes comme sur celui des cercles de réflexion.

Hervé Kempf dans Reporterre
2. Le samedi, 5 juillet, 2014, 15h42 par henri

cet article est vraiment idéal et relève des idées inattendu et que nous ne pouvons même pas attendre, c'est l'un des articles qu'un(e) politicien(e) doit lire.

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