vendredi, 18 janvier, 2019
Bienvenue en France
Par Aude le vendredi, 18 janvier, 2019, 11h23 - Textes
vendredi, 18 janvier, 2019
Par Aude le vendredi, 18 janvier, 2019, 11h23 - Textes
mercredi, 1 août, 2018
Par Aude le mercredi, 1 août, 2018, 12h02 - Textes
Je n'aime pas la police de mon pays. La raison la plus évidente, c'est que j'ai la chance d'en connaître d'autres. À Bruxelles, un jour, j'ai vu un clochard traiter une policière de « connasse ». Celle-ci, qui s'éloignait d'un pas tranquille, lui a fait un petit signe de la main, façon « Oui, oui, j'ai entendu » mais elle n'a pas dévié de son chemin. Sans doute pensait-elle mieux utiliser les ressources de la police en continuant sa patrouille plutôt qu'en l'interrompant pour mettre en cellule une personne dont elle avait évalué qu'elle ne représentait aucun danger pour les autres ni pour soi-même. Elle a également arbitré entre la dignité de sa fonction (et des autres fonctionnaires), qui était mise à mal par une insulte publique de poivrot, et le besoin de poursuivre sa mission.
mardi, 2 février, 2016
Par Aude le mardi, 2 février, 2016, 17h40 - Textes
Depuis les attentats, la France a peur. Magnanimes, ses gouvernants durcissent un appareil juridique qui, semble-t-il, suffisait amplement. Mais la France a aussi peur de mourir d’un cancer (ce qui est plus probable) et ses gouvernants ne font rien. S’attaquer aux lobbies pour élaborer une politique de santé environnementale décente a de quoi déplaire à des intérêts qui ont l’habitude d’être très bien servis. Il serait d’autre part naïf de penser que l’État réagit parce que nous sommes attaqué-e-s. C’est parce qu’il est attaqué, lui. C’est parce que le terrorisme remet en cause sa prétention à nous protéger, sa raison d’être, qu’il réagit avec une telle vivacité. À voir la tête du premier ministre, il a moins peur qu’il n’est (tout bêtement) vexé. Le contrat social, protection contre soumission, exige de sérieuses rodomontades quand c’est au titre de cette soumission que nous sommes attaqué-e-s. Que nous le soyons à titre individuel et le crime de lèse-majesté disparaît. J’ai ainsi croisé la route, le 14 novembre, d’un homme qui fauche délibérément des cyclistes et aux dernières nouvelles il conduit toujours sa Clio dûment identifiée. Ni vous ni moi n’aimerions pourtant croiser son chemin mais la répression qui se présente à tort ou à raison comme anti-terroriste est prioritaire dans le travail de la police.
jeudi, 31 décembre, 2015
Par Aude le jeudi, 31 décembre, 2015, 13h58 - Lectures
Une chronique à retrouver sur le tout nouveau site de L'An
02.
Sophie Bessis
La Double Impasse. L’Universel à l’épreuve des fondamentalismes religieux
et marchand
La Découverte, 2014
240 pages, 19 €
Deux visions inconciliables du monde : la démocratie libérale d’un côté, avec son individualisme bon teint, et de l’autre une doctrine passéiste, à la violence médiévale. Les deux se seraient heurtés de plein fouet lors des événements de 2015. Dans cet ouvrage publié quelques mois plus tôt, Sophie Bessis renvoie dos à dos ce qu’elle appelle la « théologie de marché » (ne parle-t-on pas de « dogme » néo-libéral ?) et le fondamentalisme religieux, protestant et musulman au premier chef. Il ne s’agit pas selon elle d’un choc des civilisations mais du désarroi d’un monde livré à un monstre à deux faces qui se nourrissent l’une l’autre, un monde au bord de l’épuisement écologique et où les idées émancipatrices peinent désormais à se faire entendre. Le développement ne signifie plus que l’intégration au capitalisme mondialisé, l’argent passe au rouleau compresseur la diversité du monde. Les traités transatlantique et transpacifique proposent de peaufiner l’arsenal juridique global pour la prédation des ressources publiques par les intérêts privés. Les mondes musulmans, du Mali à l’Indonésie, sont uniformisés par la magie des pétrodollars. La mondialisation est là, et bien là, mais l’universalisme recule. Ne restent que les identités : celle des Charlie qui bravent les barbares en levant leur verre, oubliant l’état de délitement de leur « démocratie », gouvernement représentatif aux abois depuis que l’ordre néolibéral s’est imposé depuis Chicago ou Bruxelles ; celle de ceux et celles qui ne sont plus désormais que des musulman-e-s.
mercredi, 24 septembre, 2014
Par Aude le mercredi, 24 septembre, 2014, 11h57 - Annonces
Je viens de livrer mon troisième dossier à L'An 02, la revue d'écologie politique que j'anime. Vous pouvez trouver ce n°6 en librairie à 7 € ou vous abonner à 10 € les deux numéros. 60 pages en couleurs, format A4 ou à peu près, des lectures de bouquins récents, des chroniques et des reportages, 100 % bénévole, elle a besoin de lectrices et de lecteurs pour exister. Pourquoi pas vous ?
L’écologie propose de s’éclairer à la bougie, de renvoyer les femmes à la maison et à leur condition… ou bien, lorsqu’elle gagne en maturité, elle se montre à la pointe de l’innovation, prête à miser sur l’efficacité des nouveaux procédés de management des flux humains et énergétiques. Alors, l’écologie politique : tout à la fois réac et moderne ?
mardi, 19 août, 2014
Par Aude le mardi, 19 août, 2014, 08h51 - Lectures
La Reproduction artificielle de
l’humain, Alexis Escudero, Le Monde à l’envers,
2014.
La citation s'étale sur la plus grande partie de la page 195 de La Reproduction artificielle de l'humain, aussi impressionnante que l'autorité de Jean-Claude Guillebaud qui l'a écrite. Guillebaud le pape du féminisme, l'auteur de nombreux ouvrages consacré à la domination masculine ? Non, Guillebaud le journaliste chrétien à qui le mouvement des femmes ne doit rien, ancien directeur du centre François-Mauriac sur présentation d'une paire de testicules (quatre directeurs en 28 ans, quatre grands hommes) mais qui à n'en pas douter aime beaucoup les femmes comme Gérard Longuet : il en a peut-être une, quatre filles et quand il a un chien, c'est une chienne. La démarche conduit à une impasse, prière d'en changer à la demande du mâle qui n'a aucun, mais alors aucun intérêt dans cette affaire et ne jouit d'aucun, mais alors aucun privilège sur la question. Air connu.« En privilégiant le construit sur le donné, les gender studies entendaient s'affranchir des pesanteurs charnelles et naturelles, au prétexte qu'elles servaient presque toujours de paravent à la domination. La démarche conduit à une impasse. Elle revient à négliger, voire à mépriser le vécu de l'incarnation, c'est à dire l'expérience subjective du corps, celle de la vie vivante. »
mardi, 21 janvier, 2014
Par Aude le mardi, 21 janvier, 2014, 11h04 - Textes
Un jour mon dentiste m'a demandé (très gentiment, sachant qu'il risquait de me froisser) à quoi servaient mes études de lettres et la recherche dans ce champ disciplinaire... Je m'en suis sortie en lui expliquant qu'au-delà des premiers tomes publiés de son vivant, Proust avait écrit A la recherche du temps perdu sur des post-it (des « paperolles », pardon) et qu'on avait besoin de beaucoup de travail de recherche pour arriver à en tirer les milliers de pages bien ordonnées de son édition de poche. Bon, peut-être pas la sienne, mais la mienne.
dimanche, 15 décembre, 2013
Par Aude le dimanche, 15 décembre, 2013, 10h03 - Textes
Il y a quelques semaines j'attirais l'attention sur la difficulté qu'il peut y avoir, quand on est un homme et qu'on partage les idéaux féministes d'égalité femmes-hommes, à participer au mouvement sans mettre à mal son sens même, à savoir l'émancipation des femmes. Pour moi le féminisme a ceci de spécifique, par rapport à l'anti-sexisme qui est une position abstraite elle aussi tout à fait respectable, d'être une pensée située et une pensée en action. Comme son nom l'indique, le féminisme (du latin femina) est structuré autour du sort des femmes, de leur expérience et de leurs revendications, même si beaucoup d'hommes peuvent à juste titre trouver leur compte dans ces revendications, et même si la plupart des féministes accueillent positivement l'idée d'avoir des alliés hommes (1). A moi qui voulais simplement prévenir les hommes proféministes de ces difficultés, sans pour autant remettre en cause leur engagement contre le sexisme, la réception de ce billet a posé quelques questions...
mercredi, 26 juin, 2013
Par Aude le mercredi, 26 juin, 2013, 07h44 - Textes
Connaissez-vous (vraiment) Christine Lagarde ? Avocate pour Monsanto puis ministre de l'Agriculture (pendant quelques jours, la bourde fut vite réparée), patronne du FMI après l'affaire Strauss-Kahn. Mais ce qui fait bien marrer mon auditoire en conférence, c'est surtout l'auteure des lignes suivantes : « Cessons d'être aussi pudiques sur notre intérêt personnel, qui, bien souvent, rejoint celui du groupe. La lutte des classes est bien sûr une idée essentielle mais, de mon point de vue, essentielle pour les manuels d'histoire. (...) Cessons donc d'opposer les riches et les pauvres, comme si la société était irrémédiablement divisée en deux clans. » Car le travail « met l'ensemble des professions sur un pied d'égalité : le grand patron comme le petit employé savent l'un et l'autre ce que c'est qu'une "grosse journée de boulot" » (1). Tout y est : l'intérêt individuel qui peut se déployer tranquillement, puisque les égoïsmes et les avidités, par la seule magie de leur agrégation, formeront les bases d'une société vivable (2), et le refus d'envisager les divergences d'intérêt et de condition, cette fois transcendées par l'appartenance au groupe. Soit des individus qui ne doivent rien au groupe, alors que le groupe est la fiction qui permet de faire passer la pilule de l'inégalité entre individus. C'est parfait.
dimanche, 18 novembre, 2012
Par Aude le dimanche, 18 novembre, 2012, 19h12 - Lectures
Paradis sous terre. Comment le Canada
est devenu la plaque tournante de l’industrie minière
mondiale
Alain Deneault et William Sacher
préface de Richard Desjardins
Écosociété (Montréal) et Rue de l’Echiquier (Paris),
2012
192 pages, 15 €
Ceux et celles pour qui la diplomatie canadienne se résume à d’aimables voyageurs/ses aux énormes sac à dos marqués de la feuille d’érable auront de quoi être surpris·es par la description que font ici deux des auteurs de Noir Canada des exactions auxquelles se livrent les entreprises minières du pays. Car le Canada ne se contente pas de faire profiter cette industrie de conditions particulièrement favorables : lois minières sur mesure qui leur accordent la préséance sur toute activité de surface, exemptions fiscales de tout ordre, faiblesse de la collecte des redevances minières, etc. Il s’attache en outre à les exporter dans le monde entier, particulièrement dans les pays les plus vulnérables.
jeudi, 14 février, 2008
Par Aude le jeudi, 14 février, 2008, 13h45 - "La France d'après"
Bien sûr, nous étions bien désolé-e-s de mettre les pieds, en ce lundi 7 mai
2007, dans la France d'après. Même du pied gauche, ça faisait mal à qui aimait
la justice, la solidarité, la pensée... Mais depuis 2002, et plus largement
depuis l'abandon de la gauche, celle qui avait « essayé », il s'agit au
fond d'un même mouvement. Dépolitisation du débat politique au profit de
l'expertise économique, même biaisée. Au profit du spectacle du sport
électoral. Au profit enfin des égoïsmes de qui a cessé de se définir comme
personne sociale.
Du nouveau ? Un homme à la personnalité encombrante, dont on a assez
décortiqué la structure mentale aberrante. Mais cette brochure s'attachera
moins à la personne Sarkozy (qui disparaîtra tôt ou tard de notre horizon) qu'à
la manière de penser qu'il a su imposer peu à peu à « sa » France. La
rupture qu'il s'acharne à représenter est surtout l'épanouissement d'une pensée
qui s'est déjà lâchée aux USA (et ailleurs) et qui trouve pour la première fois
la possibilité de se lâcher en France, tel un pet longtemps contenu.
Aussi vous trouverez, décortiquées dans les prochaines pages, les notions-clef de la proposition politique sarkozyste : culture de la violence, apologie du consensus, renaissance du concept de responsabilité. On tentera également d'y montrer en quoi des systèmes anciens (la grande distribution) ou nouveaux (l'emploi à domicile), mais certainement pas créés par notre nouvelle référence, participent à modeler les structures mentales de la France des années 2007-2012. Si le propos n'y est pas toujours d'une nouveauté déroutante, on espère qu'il tisse des liens originaux entre tout ce qui se dit et se fait autour de nous. Et qu'il donne envie d'aller bien plus loin dans les idées, et de faire renaître une certaine idée de la politique.
Jointe à ce billet, la brochure version papier, avec un grand merci à Grégoire.
Ces quelques pages, partielles et partiales, pourront donner envie de poursuivre l'aventure avec quelques lectures utiles...
Plutôt que de vouloir protéger leurs intérêts, les classes moyennes et
populaires imaginent une improbable ascension sociale individuelle qui pourrait
les sauver de leur destin politique et économique.
A retrouver dans Rêves de droite. Défaire l’imaginaire sarkozyste, La Découverte, 2008, 10 euros.
Fini le temps de la pensée politique, la réalité se confond avec des anecdotes prétendument « révélatrices ». Et raconter des histoires devient l'ultime arme politique de qui n'a plus rien (d'acceptable, de raisonnable) à proposer.
Nicolas Sarkozy, une République sous très haute surveillance,
L’Harmattan, mai 2007, d'abord publié en ligne sous le titre Ruptures
sur www.betapolitique.fr
La Justice contre l'État, ou comment les magistrats se sont posés contre le système Sarko et ses simplifications abusives. Les bouquins exigeants et documentés d'un des acteurs de ce « mouvement social ».
Une collection minutieuse des faits et des paroles de N. Sarkozy, pour rétablir quelques vérités. Un souci particulier pour les questions de Françafrique. Les Renseignements généreux, brochures papier et en ligne : www.les-renseignements-genereux.org
Une démarche qui a inspiré cette brochure-ci.
En montrant « comment l'ordre libéral s'est imposé au monde » par un changement radical de culture démocratique, économique et sociale, cette somme de près de 600 pages pourra éveiller des échos chez le lecteur de 2008. On y regrettera cependant le peu de considération pour la question écologiste.
ou le numéro 52, « La new droite. Une révolution conservatrice à la française ? », novembre-décembre 2007
mercredi, 13 février, 2008
Par Aude le mercredi, 13 février, 2008, 13h16 - "La France d'après"
Alors que la violence est une force présente dans l'être humain et qui lui vient des âges les plus lointains, comment pourrait-il exister une culture de violence ? Une violence organisée ? Pourtant la présence dans nos villes, de plus en plus visible et audible, des dépositaires d'une violence légitimée par l'Etat (sirènes et patrouilles de police) pourrait nous convaincre qu'on est loin de ce mouvement farouche et instinctif. La violence peut être organisée, elle peut être froide et mue par des stratégies politiques.
Entendons-nous bien, colères et mouvements violents peuvent saisir un être
humain, que les raisons en soient une première violence, l'épuisement ou
l'injustice. Mais de ces mouvements intimes peut naître une violence qui est
acte de culture : culture viriliste, par exemple, qui propose le passage
par la violence pour construire une identité masculine.
L'ado d'un milieu populaire a le choix pour construire son identité entre la
consommation de biens spécifiques qui l'intègrent, croit-il, à une société
(vélomoteur bruyant ou bagnole, fringues imitées des stars du sport ou de la
musique, etc.), ou l'usage de la violence qui est déjà celui de ses camarades
sur lesquels il doit se calquer, ou s'en distinguer en pire, avec la récompense
assurée qui est l'intégration à un groupe cette fois très spécifique.
Le policier aussi, sur son lieu de travail, doit faire preuve d'un niveau de violence égal à celui de ses collègues, pour ne pas être stigmatisé. Si une compagnie de CRS a eu maille à partir avec des manifestant-e-s, des jeunes des cités, tout-e individu-e appartenant à l'un ou l'autre ces deux groupes sociaux sera d'emblée suspect, et le CRS devra lui manifester d'emblée une hostilité qui est celle du groupe auquel lui appartient. Dans ces deux cas, il y a co-existence entre une violence personnelle et un début de culture de violence, laquelle peut avoir des usages politiques.
Un été, la gare est bondée, et un vigile violent s’accroche avec un voyageur
qui ne l’est pas moins. Il ne s’agit pas uniquement de violence individuelle,
jeune sportif à biscotos contre vieux con hargneux. Car le vigile a été
froidement recruté par une société de sécurité, sur son bon entretien sportif
plus que sur sa capacité à régler les conflits… et la SNCF a froidement offert
le marché à cette société, qui par son action entretient la violence des usages
de la gare.
Prenons un acteur politique, haut fonctionnaire de police ou haut gradé dans
l'armée de son pays. Lui n'a pas « la violence aux tripes », il n'a pas
subi une violence ou une injustice préalable. Souvent au contraire il est
suffisamment éduqué pour comprendre l'utilité du système de violence qu'il
entretient pour les classes dominantes ou les clans politiques dont il fait
partie.
Revenons en octobre 2005, Argenteuil. Si une dame dans une cité apostrophe N. Sarkozy en lui demandant de le débarrasser d'une « racaille » qui a une influence négative sur sa vie de tous les jours, on peut bien excuser la violence de son propos. Si un ministre de l'Intérieur reprend ce terme, lui qui ne doit pas rentrer souvent du super avec son cabas et des ados qui tentent de lui voler ce qui en dépasse, sa violence est calcul, elle n'est pas un cri du cœur spontané, viscéral. Si les conséquences de cette insulte publique envers un groupe social sont que le ministre réussit à prouver (!) que nos rues sont peu sûres et hantées par de jeunes « sauvageons » et à imposer ainsi la légitimité de son discours politique, alors oui, il participe à l'affirmation d'une culture de violence.
Une nouvelle exigence sociale de sécurité (alimentaire ou physique) s'impose
lentement dans nos pays. Vigipirate, 11-septembre, permettent d'imposer à
chacun-e une perte conséquente de liberté. Fouille des sacs, des coffres de
voitures, permettent désormais de traquer les terroristes... et de contraindre
tout le monde.
Juillet 2005, quelques jours après les attentats de Londres, les policiers
dans les centres commerciaux mettaient ce fait malheureux en avant pour faire
imposer la volonté des magasins que leurs visiteurs/ses emballassent leurs
précédents achats, effets personnels, etc. dans des plastiques supplémentaires.
Objectivement, ce geste est demandé pour éviter le vol en période de soldes
(ben ouais !), mais c'est par la menace terroriste qu'on l'impose
socialement.
De même le passage dans les bus de ville par la porte avant. « En
montant par l'avant, on avance ! » disait la publicité dans un bus,
prouvant par une tautologie qu'il fallait désormais monter par l'avant parce
que... parce que. Mais d'autres villes ont communiqué sur un surcroît de
sécurité pour les voyageurs. Bien sûr, obliger les voyageurs/ses à monter par
l'avant et ensuite se déplacer dans le reste du bus est une contrainte
désagréable et un nouvel acte contre la liberté de se mouvoir à sa guise. Mais
c'est aussi une source de déplacements supplémentaires en milieu confiné, et
donc de tensions entre voyageurs/ses, voire de disputes, et toujours de rappels
à l'ordre de la part du/de la conducteur/rice : « Mesdames,
messieurs, voulez-vous bien vous déplacer vers le fond du bus, s'il vous
plaît ? ». Sécurité, donc ? Certainement pas, mais possibilité de
contrôle par le/la conducteur/rice des voyageurs/ses avec ou sans billet,
responsabilité nouvelle, source nouvelle de conflits avec les fraudeurs/ses.
Les contraintes quotidiennes augmentent, l'acceptation sociale aussi, mais le
moindre refus, qu'il soit mû par des raisons politiques ou personnelles,
devient conflit violent. La personne qui refuse de s'asseoir ici plutôt que là
a le choix entre devenir l'objet d'une violence ou le sujet d'une nouvelle. La
rébellion ou le contrôle, là où on avait une certaine liberté... on choisit
souvent le contrôle.
Mais les actes de violence suscités par ces nouvelles exigences sécuritaires prouvent en un cercle vicieux la nécessité du contrôle ! Si le vigile du supermarché ou de gare suscite par son comportement agressif un acte de violence, heureusement qu'il est là pour la contrôler ! On n'en sortira jamais.
On n'en sortira jamais si une culture de non-violence reste peu répandue
dans nos sociétés. Être non-violent, ce n'est pas accepter de se faire casser
la gueule sans répliquer. C'est comprendre les mécanismes qui font qu'on répond
à une violence par une autre, dans ce dont les journaux télé ont fait un
stéréotype : « l'escalade de la violence ». Laquelle escalade de la
violence ressentie peut être utilisée dans des systèmes de violence politique
ou institutionnelle qui se l'approprient. Voir la néo-colonisation organisée de
la Palestine par Israël en réponse à la violence de populations qui ne font pas
Etat.
C'est la compréhension même de la violence et de ses usages politiques qui construit une culture de non-violence. Et non pas l'atténuation, contrainte ou pensée, de ses manifestations les plus visibles.
Paradoxalement, alors que Nicolas Sarkozy, au même ministère que son mentor des Hauts-de-Seine Charles Pasqua, a été et demeure le passeur en France d'une culture de violence nouvelle, le voici depuis le premier tour de l'élection en étouffeur de conflits. Quel rapport avec la violence que nous avons dans un premier temps mentionnée ? Tout !
mardi, 12 février, 2008
Par Aude le mardi, 12 février, 2008, 13h20 - "La France d'après"
L' « ouverture à gauche », l'association (sur aucun contrat
transparent) de personnalités du PS au gouvernement ou aux réformes
institutionnelles, peut être comprise par les esprits naïfs comme une
réconciliation en vue d'une gestion pragmatique du pays... « Ma seule
idéologie, c'est le pragmatisme. » Une phrase en manière de paradoxe
spirituel, dans laquelle N. Sarkozy se place hors-système idéologique, comme
avant lui Ronald Reagan, Margaret Thatcher, etc. Avec le ton de l’évidence,
yeux écarquillés et bras ballants, qu’il adopte souvent : vous n’allez pas
me contredire, tout le monde sait bien que…
Le sarkozysme n’est pas un pragmatisme : la destruction des solidarités
nationales est un projet politique fort, qui ne s'appuie sur aucune mécanique
scientifique, c'est un projet qui rapproche néolibéralisme et néoconservatisme
depuis trois ou quatre décennies.
Mais si c'était véritablement du pragmatisme, cela sonnerait-il la fin des idéologies, comme il y a eu une fin de l'Histoire ? Circulez, il n'y a plus rien à penser, nous sommes tou-te-s d'accord. Un effacement du conflit politique, de la pensée politique, création continue et confrontation des idées sur « comment vivre ensemble ».
Le « vivre ensemble » est conçu par les défenseur-e-s de la pensée
sarkozyste comme d'une grande simplicité, il n'appelle plus la réflexion, il
naît d'un consensus « naturel ». Mettons en avant Christine Lagarde.
Avocate d'affaires (comme J.-L. Borloo, N. Sarkozy, etc.), elle travaille pour
les firmes américaines de biotechnologies (biocides et OGM) et son premier
portefeuille est celui de l'Agriculture. Trop gros ! La voici au premier
remaniement ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi, porte-parole
de l'idéologie socio-politique du travail. Celui-ci s'impose
« naturellement » (« bien souvent » sous la plume de Ch.
Lagarde) comme but commun à l'ensemble de la société, riches comme pauvres,
personnes privées comme collectivités, qu'il participe à réconcilier.
« Cessons d'être aussi pudiques sur notre intérêt personnel, qui,
bien souvent, rejoint celui du groupe. La lutte des classes est bien sûr une
idée essentielle mais, de mon point de vue, essentielle pour les manuels
d'histoire. »
« Cessons donc d'opposer les riches et les pauvres, comme si la société
était irrémédiablement divisée en deux clans. » Car le travail
« met l'ensemble des professions sur un pied d'égalité : le grand
patron comme le petit employé savent l'un et l'autre ce que c'est qu'une
"grosse journée de boulot". » Pas question d'admettre que riches et
pauvres ont des intérêts différents, en manière de fiscalité, de services
publics, etc. Ils et elles travaillent dans la même boîte, et cela suffit pour
assurer leur solidarité !
Si la société, désormais apaisée, était le lieu d'une opposition, ce serait
désormais celle des aristocrates de l'Ancien Régime et de la RTT, méprisant-e-s
envers le travail, intellectuel-le-s dont la régression consiste à ignorer la
pratique, contre tou-te-s ceux et celles qui vont au turbin. En RER, en Porsche
ou en Supercinq pourrie, qu'à cela ne tienne : tous ensemble.
« C'est pourquoi j'aimerais vous dire : assez pensé, assez tergiversé ; retroussons tout simplement nos manches ! » (1)
Pareil pour l'écologie (absente du discours de Ch. Lagarde), elle n'est plus
une vision du monde, mais une bonne volonté unanimement partagée.
L'Alliance pour la planète note les programmes de candidat-e-s à l'élection de
2007, distinguant ceux qui parlaient d'écologie et ceux qui la mettaient en
pratique. N. Hulot, en faisant signer à tout le monde le même pacte, remet les
pendules à zéro. Une nouvelle fois, tou-te-s ensemble, tou-te-s pareil
(2). Les deux Nicolas aiment l'unanimisme.
On a pu rappeler que les accords de Grenelle, au ministère du Travail en
1968, étaient le fruit d'une conciliation des intérêts après un conflit social
majeur. Tandis que le Grenelle de l'environnement intervenait avant un
véritable essor des acteurs/rices de l'écologie (et après le déclin du parti
mettant l'écologie au centre de la politique), avant une compréhension complète
de leur propos et de leurs propositions. En clair, avant qu'ils et elles
deviennent des adversaires dignes de ce nom, qu'ils et elles puissent faire
valoir leurs positions dans une négociation serrée.
On le dit, la culture politique française se distingue par une capacité très faible à négocier, mais la table rase de Sarkozy ne tend-elle pas vers le même résultat ? Au fond, résoudre le conflit avant qu'il ait lieu permet aussi, les adversaires restant trop faibles, de ne pas passer par la case de négociations complexes et difficiles, au cours desquelles il faut donner pour recevoir.
Si l'on met en parallèle cet effacement du conflit de pensée avec le durcissement de la violence dans les vies, on imagine combien ce système vise à une concentration exceptionnelle du pouvoir, avec l'effacement des contre-pouvoirs. Dans le même temps, « en bas » (pour reprendre une expression fameuse) on jouirait toujours d'une liberté qui nous donnerait droits et devoirs. Car avec elle vient l'obligation d'être plus responsable de ses actes que jamais. Si hier les écolos pouvaient à juste titre regretter la disparition de la valeur « responsabilité », la voici qui refait donc surface. Sauf que l'on peut douter que nous jouissons tou-te-s de la même marge de manœuvre...
(1) Discours-programme du 10 juillet 2007 à l'Assemblée
nationale, à retrouver sur www.minefi.gouv.fr.
(2) On lira à ce sujet la brochure « Le développement durable, quelle drôle d'idée ! », sur www.chicheweb.org.
lundi, 11 février, 2008
Par Aude le lundi, 11 février, 2008, 13h29 - "La France d'après"
L’outil automobile a fortement contribué à la perte de lien entre l’individu
moderne et le monde qui l’entoure. Aussi l’automobiliste peut-il dire
« j’assume » chaque fois que ses actes sont mis en question, comme si
dire suffisait pour ne pas faire (1).
Physiquement, il n’est pas tenu d’accepter la responsabilité de son coup de
klaxon rageur, de son refus de céder la priorité au piéton : un coup
d’accélérateur, et le voici plus loin. La dilution de la responsabilité en
permet aussi la disparition : 135 malheureux grammes de CO2/km (voiture
dite propre) sont-ils la cause de l’effet de serre mondial ?
L’environnement est un domaine dans lequel les causes sont éloignées, dans le
temps et dans l’espace, de leurs effets, d’où la difficulté d’appréhender, de
comprendre à leur juste mesure ces phénomènes.
Et l’on sait combien les politiques néolibérales (ou idolâtres du
capitalisme) se sont évertuées à faire disparaître le lien social, la
responsabilité que nous avons les un-e-s envers les autres. Margaret Thatcher
disait : « La société, ça n’existe pas. » D’où le refus
de continuer à faire vivre une communauté d’intérêts liée par l’impôt, le
service public. Un chef d’entreprise ne doit rien à personne, comme si son
patrimoine avait pu exploser de la même façon au Bénin ou en France. La
société, si tant est qu’elle existe, n’a plus rien à offrir, au mieux est-elle
la somme des micro-communautés ou « tribus » qui la
composent.
L’histoire et la culture d’une société n’existent pas plus quand une
personne est réduite à son héritage génétique, son moi « pur », né
hétérosexuel, comme N. Sarkozy croit l’être (2).
Devant cette perte du lien, reconnaître la responsabilité comme l’une de ses valeurs, avec l’autonomie et la solidarité, n’est pas le moindre des mérites de l’écologie politique. Mais de même que le mot « liberté » a été dévoyé (on est désormais « libre » de nuire), on assiste désormais à une exigence nouvelle et paradoxale de « responsabilité ».
Plus aucune mauvaise excuse n’est désormais acceptable, et les sociologues
sont priés de ne plus excuser aucune conduite déviante, qu’elle soit urbaine,
humaine ou sanitaire. Tout le monde assume. Ou est tenu de le faire.
Devant les étudiants de l’université de Dakar, Sarkozy balaye d’un seul coup
de main les décennies de colonialisme puis de Françafrique : « Je
ne suis pas venu, jeunes d’Afrique, pour m’apitoyer sur votre sort, parce que
votre sort est d’abord entre vos mains. Que feriez-vous, fière jeunesse
africaine, de ma pitié ? » (3)
Car la pitié, c’est la relégation hors de sa position sociale. C’est ce qui attend quiconque n’assume plus. Comme des parents qui ont du mal à faire comprendre les règles de base de la diététique à leurs gosses nourris de pub pour des aliments gras et/ou sucrés… Plutôt que d’interdire la pub en direction des gamins, ou (moins ambitieux) d’exiger le rappel de ces règles dans chaque pub (manger-bouger), la France qui assume, celle que l'on caresse chaque soir à 20h dans le sens du poil, a un projet qui grattera moins l'industrie agro-alimentaire. Devant les problèmes d’obésité, pourquoi s'interdire d’ôter leurs droits familiaux aux parents incapables d’assumer ces responsabilités sanitaires ? Ben oui, pourquoi ?
Finalement, le nouveau concept d’ « égalité des chances » ne dépare pas de ce malheureux tableau. Que cette égalité de départ soit fantasmée ou qu’on s’en donne les moyens, on demande à chacun d’assumer le résultat auquel il parvient. Ici le contexte social est encore nié, et les qualités personnelles mises en valeur, au premier rang desquelles le travail. Depuis longtemps les doctrines politiques officielles ont individualisé le chômage, en le disant lié à la trop grande attractivité des aides et des minima sociaux. Le mouvement continue, tapant dans tous les domaines de la vie. Sarko ne fait qu’adapter à la France, avec un peu de retard, les structures mentales les plus aberrantes du capitalisme.
Pendant que les plus faibles « assument », les plus aisés se voient offrir des cadeaux. On passera sur le « paquet fiscal » largement commenté, pour nous attacher à ce projet de société bien plus révélateur, encouragé par les politiques fiscales des années 2002-2007 : l'emploi à domicile. Car c'est un champ de l'économie qui n’a pas (ou si peu) d’impact sur l’environnement, qui dans le cadre du développement durable doit connaître un nouvel essor, et que des politiques fiscales attractives peuvent stimuler. L’emploi à domicile, appelé aussi « nouveaux services », qui répond à des besoins jusque là méprisés… Quels besoins ? Y répondre dans quelles conditions ? Et avec quel impact sur l’environnement ? sur le lien social ?
(1) C’est la même expression qu’utilisent le conducteur
d’un camion de police garé sur un trottoir quand je le prends à partie, ou un
jeune gars prêt à accepter un cancer du poumon comme punition d’une vie
d’automobiliste… et qui tombe des nues en apprenant qu’on peut choper la même
chose à vélo ou à pied. L’anecdote date d’un temps où la pollution urbaine
était mieux prise en compte que l’effet de serre.
(2) Michel Onfray : « Je pense que nous sommes
façonnés, non pas par nos gènes, mais par notre environnement, par les
conditions familiales et socio-historiques dans lesquelles nous
évoluons. » N. Sarkozy : « Je ne suis pas d'accord avec vous.
J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile. … Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est
immense. » Philosophie magazine n°8.
(3) Discours du 26 juillet 2007, on notera également de lourds effets stylistiques de répétition (toi y en as comprendre ?), ainsi qu’un appel à « l’avènement de l’Eurafrique ».
dimanche, 10 février, 2008
Par Aude le dimanche, 10 février, 2008, 13h34 - "La France d'après"
Les agences d’emploi à domicile, qui fleurissent dans les villes depuis la
rentrée 2006, près des agences de travail temporaire, présentent des besoins
légitimes : cours particuliers qui peuvent améliorer le quotidien des
étudiant-e-s en palliant le manque de connaissances scolaires de certains
parents des classes populaires ; soin aux personnes âgées soucieuses de
continuer à vivre chez elles, etc. Le ménage est l’une de ces activités,
masquée par la diversité de l’emploi à domicile, mais qui représente un tiers
de cette forme d’emploi. Car c’est de cela qu’il s’agit : défiscaliser le
recours à l’emploi de femmes, plutôt âgées et non diplômées, dans les demeures
de familles très aisées. Caricature ?
L'économiste Sandrine Rousseau s’attache à dresser un tableau précis de cette
activité (1). Ce sont des femmes qui assurent ces boulots,
elles sont souvent plus âgées que les serveuses et les caissières qui sont
aussi peu diplômées ; dans des situations sociales difficiles, elles se
plaignent plus fortement de la pénibilité physique de leur travail, et elles
atteignent rarement le SMIC. C’est qu’elles ne travaillent pas à temps plein,
passant un temps important et non rémunéré dans les transports entre deux
maisons. Le recours à une femme de ménage dépend très peu des besoins que
peuvent avoir certains ménages, du travail à temps complet des deux parents ou
du nombre d’enfants par exemple. Il dépend surtout du revenu du ménage, car il
devient significatif chez les 10 % les plus riches. En clair : on n’a pas
forcément besoin de faire faire le ménage chez soi, mais quand on n’a pas envie
de le faire soi-même, on se paye ce luxe si on en a les moyens.
Les politiques actuelles promeuvent pourtant le recours à la femme de ménage
jusque dans les classes moyennes, et aident à financer ces nouveaux emplois.
Est-ce une aide de plus pour les ménages qui paient des impôts ? ou un
projet de société ?
Côté social, on doit noter l’ignominie que représente des baisses d’impôts
supplémentaires pour les plus aisé-e-s. Et condamner les conditions de travail
auxquelles resteront soumises les femmes de ménage. Un domicile ne peut être
considéré comme un lieu de travail, et à ce titre l’inspection du travail ne
peut y entrer. Les personnes qui sont employées au domicile d’une autre ne
peuvent en aucun cas bénéficier de la protection que nous devons à tou-te-s les
travailleurs/ses.
Côté culturel, c’est une vraie « fracture sociale » qui s’annonce : ceux et celles qui gagnent correctement leur vie, celles qui nettoient leur merde à vil prix. Puisque les working poors sont en majorité des femmes, nous ne pouvons oublier l’approche de genre, et la soumission économique à un homme qui reste nécessaire à la femme seule pour sortir le bec de l’eau. Faire faire le ménage par une personnes étrangère au couple, c’est aussi accepter que les tâches ménagères ne se soient toujours pas bien réparties entre hommes et femmes. C’est à ce titre que les autorités suédoises ont longtemps refusé d’accompagner le « boom de la femme de ménage », témoignage de la violence de la société que nous faisons… ensemble. On ne peut faire ici qu’une brève allusion au psychisme d’une personne habituée à refuser de voir sa merde, qu’elle fait nettoyer par une autre. Rapport au corps et à son milieu de vie incomplet, confrontation à l’altérité (à travers la boniche prolo) qui se résout dans le mépris et la contrainte… on n’ose pas imaginer la capacité à faire société dans ces conditions.
Des conséquences environnementales ? Alors que le télé-travail un jour par semaine des travailleurs/ses intellectuel-le-s est censé assurer des économies non négligeables d’énergie, il est des employées qui vont trois fois au boulot dans la journée, et passent entre 4 et 6h dans les transports. Pendant que leurs employeurs/ses peuvent se livrer aux plaisirs de travailler plus pour gagner plus. Délocaliser ses obligations domestiques, c’est se donner la possibilité de travailler plus de 45h par semaine. Au-delà de cette limite, on note que le mode de vie change substantiellement, avec le recours moindre aux transports en commun et la consommation accrue de voyages à forfait, souvent en avion. Hervé Kempf, dans son pamphlet Comment les riches détruisent la planète (2), met le mode de vie occidental, prédateur et impossible à généraliser, sur le compte de la volonté de se distinguer en adoptant les habitudes de consommation de la classe immédiatement supérieure. Nul doute que ce système que nous avons décrit participe à la volonté de voir se diffuser des pratiques « de riches » dans les classes moyennes les plus aisées.
L’exploitation du « capital humain », qu’il réside dans les cerveaux ou dans les services qui appartenaient à la sphère non-marchande, est une forme de croissance économique que l’on affirme « propre » sur le plan écologique. Il n’en est rien. Elle participe non seulement de la fuite en avant du développement durable, mais aussi d’un projet de société d’une rare violence. Nul doute dans ce cas que le détail de l’emploi à domicile constitue une part importante de la construction de la France d’après…
Le consensus actuel se construit, nous l'avons vu, largement autour d'un déni des intérêts divergents entre classes sociales. Il s'agit de ne pas penser cette lutte des intérêts, et de continuer à imaginer qu'on pourra « réussir ensemble », dans un système « gagnant-gagnant »... On nous invite au partage d'un gâteau magique capable de satisfaire les besoins de tou-te-s, et même la cupidité de chacun-e ! Pas de remise en cause des structures dans lesquelles nous vivons. Et si crise sociale il y a, elle sera résolue, en surface, par ce qui l'aggravera demain. Un exemple ? Le projet de sauvegarder le pouvoir d'achat (particulièrement atteint, entre autres, par les cours mondiaux des ressources alimentaires) en lâchant les ambitions de la grande distribution.
(1) Pour un exposé clair et rigoureux de ces
questions : « La supercherie de l’externalisation des tâches
domestiques », Sandrine Rousseau, Entropia n°2, 2007,
Parangon.
(2) Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Le Seuil, 2007.
samedi, 9 février, 2008
Par Aude le samedi, 9 février, 2008, 13h41 - "La France d'après"
On sait combien, en matière d'urbanisme, la grande distribution a participé à la distension des tissus urbain... et social. C'est à coups de bagnole que l'on va en périphérie remplir son frigo pour la semaine, en passant devant une caissière anonyme, à temps partiel imposé et fragmenté. Mais le supermarché ne se contente pas de mettre à mal le « doux commerce » et ses conditions humaines et sociales, il s'attaque à d'autres pans de notre société. C'est à ce titre que ce système mérite d'être décrit ici (1).
Le prix d'achat des produits est négocié par les cinq centrales d'achat de
la grande distribution. Elle achète 90 ou 95 un produit qui sera vendu 100 au
consommateur. Jusqu'ici, tout va bien. C'est ensuite que le fournisseur de ces
produits est soumis à des exigences de plus en plus fantaisistes. Il doit payer
des services qu'il ne demande pas : mise des produits en tête de gondole,
sur les catalogues, en avancée de caisse, etc. Sa première livraison est
gratuite, comme le serait aussi une livraison qui arriverait avec quelques
minutes de retard. Le paiement s'effectue à 30, 60, 120 jours, parfois plus.
Pendant ce temps, Auchan ou Leclerc fait fructifier les sous, et le fournisseur
s'endette. C'est jusqu'à 500 raisons qui ont été mises en évidence par les
parlementaires lors de récents rapports, et qui constituent les fameuses (et
méconnues) « marges arrière ». De 10% du prix du produit dans les années
1980, elles sont désormais de l'ordre de 40 à 50% et augmentent de 2% environ
par an. Un véritable racket sur lequel les fournisseurs peuvent difficilement
s'exprimer. En 2000, lors de la mise à jour de ce scandale, certains osent
parler dans les médias. La réponse de la grande distribution est
immédiate : ils sont déréférencés.
Le référencement est l'outil numéro un de la grande distribution. Pour
exister aux yeux de la grande distribution et pouvoir être commandé par les
chefs de rayon, un produit doit être référencé. Le fournisseur paye entre 120
et 150 euros par produit différent (yaourt à la fraise, yaourt à la vanille,
yaourt par 4 ou par 12, etc.) et par point de vente. La facture peut atteindre
des millions. Sans que cela assure le succès du produit, puisque tous les
concurrents se plient à ces conditions et se trouvent sur le même
rayon.
70 000 entreprises et 400 000 agriculteurs, acteurs économiques qui irriguent le pays, doivent passer par l'une ou l'autre des cinq centrales d'achat qui monnayent l'accès au marché français (90% des produits consommés en France, de la supérette Casino à l'hypermarché Géant). Si le consommateur croit « s'y retrouver », ce sont ces entreprises et les personnes qui y travaillent qui sont les premières lésées par le système.
La grosse industrie agro-alimentaire, celle qui concentre sa production et
ses profits, a su s'adapter à ces conditions. Comprimer les prix ? Pas de
souci, les matières premières sont déjà achetées le moins cher possible à des
agriculteurs qui poussent à fond la productivité à coups d'engrais et de
pesticides. Quant aux coûts de main d'œuvre... si vous n'êtes pas contents, on
délocalise. Les petits producteurs ont du mal à suivre, et sont d'autant plus
sensibles aux processus de concentration. Concentration spatiale
notamment : des régions entières perdent leur industrie de transformation,
et les marchandises circulent d'un bout à l'autre du pays ou du continent, à un
coût environnemental qu'il faudra examiner un jour.
Les agriculteurs, qui ne s'assurent pas des chiffres d'affaires décents,
sont quant à eux sous la perfusion de la politique agricole commune (PAC),
via la fiscalité de ménages qui avaient cru faire une bonne affaire
avec des carottes à 1,50 euros le kilo... qui avaient été payées 15cts au
producteur (2). On paye ainsi deux fois le produit, à la
caisse et sur la feuille d'imposition. Et la grande distribution empoche les
bénéfices.
Lors de la crise de la vache folle, une taxe d'équarrissage est mise en place qui est recueillie sur les ventes de viande par les commerçants. Elle permet de financer la gestion de la crise par les autorités et en quelques années lève deux milliards de francs. Plus tard un directeur de supermarché porte plainte devant l'Union européenne pour ce rôle qu'il a été tenu de remplir, indûment selon lui. L'Union européenne donne raison à la grande distribution, l'État français doit rembourser les deux milliards à la grande distribution... qui elle ne peut simplement pas (le voudrait-elle ?) rembourser ses consommateurs. Ceux-ci payent donc trois fois : une première fois sur leur facture de viande, une seconde fois quand l'État doit rembourser la somme, une troisième fois quand l'Etat finance la gestion de la crise et l'équarrissage. Bien joué !
Nous ne sommes pas que des pousseurs de caddie (registered
trademark). Nous sommes aussi des salariés de l'industrie ou des services.
Nous sommes des contribuables. Nous profitons aussi tous des recettes de l'Etat
pour la solidarité nationale, la sécurité sociale, les services publics. Nous
sommes même (eh oui !) des personnes avec un projet de société en tête, une
éthique, un souci pour l'environnement. Nous sommes ainsi tous touchés par la
pression sur un producteur de nouilles ou de soupe en bocal, qui sous le
rackett de la grande distribution adoptera toutes les stratégies pour
contribuer le moins possible à la fiscalité nationale. Et pourra mettre au
chômage nos mères et nos cousins qui bossent dans leurs usines.
Voici ce qu'écrit N. Sarkozy a ce sujet : « Je vois bien que
si l’on fait une partie de la parapharmacie dans les grandes surfaces, on fait
baisser les tarifs et c’est bon pour les consommateurs, c’est vrai. Mais, en
même temps, mon travail de chef de l’Etat, c’est aussi de penser à
l’aménagement du territoire et à la véritable mission de service public des
pharmacies. Dans ce débat-là, on ne peut pas réduire tout à la seule question
des tarifs. Parce que si demain, dans un certain nombre de petites villes ou de
territoires, il n’y a plus de pharmacie parce que chacun sait qu’ils vivent en
partie sur la parapharmacie, à ce moment-là comment faites-vous l’aménagement
du territoire ? » (3) La droite est parfois capable de
penser la complexité de l'être humain, pour mettre à l'abri les exigences de
solidarité de l'avidité consumériste. Mais c'est uniquement son cœur de cible
électoral qui bénéficiera de sa largeur de vues. Pour les autres secteurs de
l'économie (et notamment ceux de la production), c'est le seul consommateur
qu'on va feindre d'écouter.
Car il n'est pas question politiquement d'interdire ce rackett organisé, on va au contraire le légaliser en permettant la vente à perte... Sarkozy et ses ministres vont assurer le pouvoir d'achat des futurs chômeurs en donnant l'arme ultime au système qui les met à la rue !
La grande distribution n'est pas un système dans les marges du capitalisme,
c'est la pointe avancée de la destruction des solidarités, et de la partition
inhumaine de l'individu en régime capitaliste : le consommateur qui paie
moins cher le contenu de son caddie (registered trademark,
encore une fois) oublie ses intérêts de salarié ou de citoyen.
Avant de refaire le monde, il nous faut détruire la grande distribution,
pour relocaliser l'économie, rendre leur autonomie aux acteurs économiques (et
leur imposer une responsabilité plus grande vis-à-vis de l'environnement). Mais
comment ?
On a pu croire en une réponse institutionnelle. Une loi de 1973 soumet les
installations de grandes surfaces aux décisions institutionnelles. Les années
1993, 1995 puis 2000 voient la publication de rapports parlementaires (venus
des rangs de l'UDF ou du PS) sur l'illégalité du système. L'autorité publique
connaît le problème, elle a rarement été assez volontaire pour y répondre,
malgré les outils législatifs à sa disposition. Une réponse individuelle existe
aussi, accessible à qui est moins captif de cette organisation sociale, et qui
a les moyens culturels et financiers d'aller dans les petits magasins bio. Une
simplicité volontaire qui, malgré sa cohérence, a comme défaut sa faible portée
sur la société.
Resterait la réponse collective. La vie d'un marché, une AMAP ou un groupe de consommateurs qui achète directement au producteur, avec ou sans un contrat moral, sont déjà des structures qui existent et que l'on peut pousser plus loin, en imaginant par exemple des structures de distribution associatives qui permettraient l'accès à des productions locales, transformées ou non, bio ou pas... à un prix équitable, c'est à dire qui satisfasse les deux parties dans une négociation claire. Sur ce sujet précis, trois niveaux d'action, à investir selon son regard sur la démocratie, ses envies, ses possibilités. A entremêler ?
Suite à ce tableau accablant, la question continue à se poser... Que faire ? Si le sarkozysme se veut non-pensée capable de réunir tout un peuple dans le conformisme et la facilité... c'est penser qui peut nous en sortir. Ouvrons des espaces de connaissance, de confrontation d'idées, accessibles à chacun-e. Et faisons confiance, nous sommes tou-te-s capables de les investir.
(1) A lire, de Christian Jacquiau dont les interventions
ont nourri ce texte, Les Coulisses de la grande distribution, Albin Michel,
2000.
(2) Edouard Leclerc, précurseur du système, dénonçait dans les
années 1950 le nombre des intermédiaires, qui faisait alors passer un produit
de 1 à 4, du producteur au consommateur !
(3) Discours du 23 janvier 2008.
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