Soyez sympas, portez un masque
Par Aude le samedi, 12 novembre, 2022, 14h29 - Textes - Lien permanent
Quand les annonces dans les trains et les métros, depuis plus de six mois, invitent « vivement » au port du masque pour éviter la propagation du Covid alors que même le personnel de la SNCF ou de la RATP ne le porte pas, la parole des autorités est démonétisée comme jamais. « Parle à mon cul, Manu, ma tête est malade ! » On pourrait en sourire ou se réjouir de cette insubordination mais je ne pense pas qu’elle constitue le moindre antidote au libéralisme autoritaire qui triomphe actuellement, avec son atteinte aux formes démocratiques pourtant peu exigeantes du gouvernement représentatif. Au contraire, c’est d’obéissance aux autorités qu’il est question quand le gouvernement choisit de se passer dans les lieux publics d’un moyen de protection simple, au motif que les hôpitaux sont à peine engorgés et que le nombre de mort·es chaque semaine est acceptable (l’équivalent d’un ou deux cars qui se crashent chaque jour, presque trois pendant le printemps électoral), et que l’immense majorité d’entre nous le suit.
Cet accord entre des dirigeant·es et un peuple meurtri par des mesures sanitaires dont certaines furent aussi pénibles qu’inutiles (le port du masque obligatoire en plein air jusque dans les campagnes, le couvre-feu à 18 h qui faisait se tasser tout le monde dans les transports et les magasins), il est navrant de constater qu’il repose sur une bonne dose d’ignorance. Sans compter les annonces publiques qui proposent encore du gel hydroalcoolique, excellente prévention de la transmission de la gastro-entérite mais peu utile contre le Covid, ces derniers temps autour de moi j’ai observé beaucoup d’ignorance. Une camarade qui pensait être à l’abri pendant quelques mois grâce à une infection récente, ne sachant pas que des réinfections à vingt jours ont été observées. Ou bien une dame atteinte du Covid il y a un an et qui ne comprenait pas pourquoi depuis des mois elle était lasse, si lasse… C’est probablement un Covid long. Encore très mal connu, il peut être observé à la suite d’un cas même anodin ou asymptomatique, et à tous les âges, avec une prédominance chez les femmes (1). Deux ans après les premières alertes, les autorités françaises ont fini par publier une étude sur le sujet, qui estime à 20 % les risques d’en souffrir encore 18 mois après une infection. Plus une personne subit d’infections, plus le risque augmente donc.
Des écolos anti-vax aux cercles les plus étroits du pouvoir, on n’a cessé de promettre une immunité, naturelle ou boostée par les vaccins. Scoop, il commence à apparaître que le Covid, cette sale maladie qui s’attaque à un nombre étonnant d’organes et de fonctions, s’attaque justement à notre immunité. Le Covid long ne serait pas sa seule manifestation puisque c’est notre immunité générale qui en ferait les frais. Et non, pas scoop, l’info passe inaperçue. Quand les victimes du Covid étaient majoritairement des hommes âgés, la mobilisation était quasi générale. Quand le décompte hebdomadaire des morts baisse à trois décimales seulement et quand c’est les corps de toutes et tous qui sont atteints et leur qualité de vie qui est mise en danger, qu’importe.
Voilà le déni sur lequel s’appuie le refus de mesures sanitaires par les « connards qui nous gouvernent » aussi bien que l’abandon de gestes de précaution simples dans la population. Même une bonne grosse crève et des annonces au micro n’engagent pas le passager à côté de moi dans le train, un chercheur au CNRS que j’imagine pourtant doté d’un minimum d’entendement, à porter un masque alors que nous ne sommes pas pendant les allergies de printemps mais début juillet, pile la semaine du pic d’une énième vague qui infecte près d’un million de nouvelles personnes chaque semaine (sans compter les cas non-reportés). La difficile mise en œuvre du port du masque en 2020 et son refus aujourd’hui sont une occasion ratée d’apprendre à ne pas se faire du mal, de témoigner un minimum de soin pour la santé d’autrui – et au final pour la sienne. C’est le résultat d’une politique qui pendant deux ans a préféré la coercition à la diffusion des savoirs (2). Cet appel désormais à l’individualisation des actions m’évoque toujours autant la gestion de la crise climatique. Soyez sympas, portez un masque et laissez la voiture au garage.
(1) Je pourrais aussi mentionner l’ignorance du timing d’incubation et de contamination, des jours pendant lesquels on peut être contagieux/se sans pour autant qu’un test soit positif (la fenêtre est plus courte). Voici une des rares ressources que j’aie vu passer à ce sujet.
(2) Pour Théo Bourgeron, co-auteur de La Finance autoritaire, il s’agit surtout de la manifestation du remplacement du néolibéralisme par un nouveau régime libertarien-autoritaire.