Plantez des arbres !

arbre-sécheresse.JPG, sept. 2023Tout le monde aime les arbres. Même Macron. Et pour cause, en dehors de leur valeur intrinsèque, leurs bénéfices pour les êtres humains sont nombreux. En ville les arbres améliorent la qualité de l’air en capturant le CO2 et relâchant de l'oxygène. Ils apportent une ombre bien plus fraîche (1) que celle des « ombrelles » en béton qui les ont parfois remplacés (2). L’absence d’arbres et des espaces trop minéraux provoquent au contraire des îlots de chaleur insupportables lors des périodes caniculaires toujours plus nombreuses. Les arbres à feuilles caduques ont même le bon goût de se dévêtir l’hiver, quand les maisons ont besoin des apports du soleil pour se réchauffer, et c’est l’un des principes de l’architecture bioclimatique. Dans les prés et même les champs, la présence d’arbres protège de la sécheresse, apporte de l’ombre et du fourrage pour les animaux (les ruminants mangent aussi des feuilles), du bois dans les économies paysannes pour le chauffage ou la construction. Les recherches en agroécologie nous ont permis de mesurer les bénéfices de l’arbre jusque dans les champs. Certes ils compliquent le travail mécanique et réservent une partie de la surface, qui ne peut être cultivée. Mais globalement, il est établi que la présence d’arbres est un bénéfice y compris en matière de production végétale et là encore les canicules à venir ne feront que les accroître en comparaison avec les terres sans arbres, plus sujettes à la sécheresse et dont l’attrait paysager est par ailleurs bien faible. Les forêts, en revanche, apportent fraîcheur et variété des espèces vivantes (3). Les paysages arborés fournissent un plaisir qui va jusqu’à l’émerveillement mais qui disparaît devant une monoculture à perte de vue. Partout la présence d’arbres contribue à l’entretien de populations d’insectes pollinisateurs ou non, au maintien de la vie. Et au niveau global, les arbres ont les mêmes avantages de captation du CO2 et leur rôle dans la régulation des gaz à effet de serre est bien connu. Dans les forêts tropicales, la plantation d’arbres nourriciers au milieu des arbres qui ont poussé spontanément ainsi que la chasse d’animaux forestiers ont permis à de nombreux peuples, comme à Bornéo, de vivre dans cet écosystème. La déforestation sur tous les continents de larges pans de forêt met en jeu leur survie… et à terme, la nôtre.

IMG_1329.JPG, sept. 2023

Photos : En septembre 2022 en Loire-Atlantique, l'herbe n'est restée verte que sous un grand arbre. Pendant une très chaude journée d’été dans le Lot-et-Garonne, des animaux d’élevage se regroupent à l’ombre des arbres. Ombre portée en été sur la façade d’un mas provençal par un micocoulier.

mas-micocoulier.jpeg, sept. 2023

Tout le monde aime les arbres seulement, voilà, c’est plus compliqué que : « À la Sainte-Catherine, tout arbre prend racine, les enfants, plantez des arbres (4). » Après le nettoyage des bords de rivières sous l’égide d’une marque de sacs plastiques de supermarchés bien connus, il faut désormais planter des arbres. Aujourd’hui des budgets importants sont consacrés par le ministère de l’agriculture à la plantation de nouvelles haies (France Relance annonçait 50 millions d’euros pour 7 000 km de haies plantées en trois ans)… alors qu’un nombre plus important encore de haies sont détruites chaque année, « 23 500 km par an sur la période 2017-2021 », un chiffre d’ailleurs en augmentation. Nous payons collectivement l’entretien d’un bien commun par ailleurs dégradé en toute impunité, est-ce bien malin, est-ce juste ? Dans le sud de la France, les dernières sécheresses n’ont pas permis aux arbres plantés l’hiver précédent de survivre car la plantation est un geste complexe (5) et les conditions climatiques ne sont plus aussi bien adaptées. Les paysan·nes qui voient crever ces arbres nous disent : « C’était il y a dix ans ou vingt ans qu’il fallait planter. » Comme nous n’avons pas de machine à remonter le temps, l’enjeu actuel, en matière d’arbres, est avant tout de préserver l’existant et de planter avec discernement.

En ville également, une mairie qui commence à planter des arbres en 2022 arrive dix ou vingt ans trop tard car, malgré l’urgence enfin reconnue, c’est le temps que prend la croissance d’un arbre. Bordeaux, par exemple, est une ville très minérale, un caractère accru tout le long de l’ère Juppé car la mairie privilégiait la pierre aux arbres qui ne permettaient pas de l’admirer. Pour des raisons « esthétiques » elle a fait couper nombre d’arbres dans l’espace public pour en remettre des rachitiques en pots. Un été j’ai vu les invité·es à un mariage, entre la cathédrale et la mairie qui sont à un jet de pierre l’un de l’autre, se mettre en ligne contre un mur de pierre pour profiter du peu d’ombre d’un des lieux publics les plus centraux, prestigieux et invivables de la ville. Quand on regarde Bordeaux depuis le ciel, les photos montrent un tout autre visage : c’est une ville très verte mais les arbres sont dans les propriétés privées, les jardins de la bourgeoisie locale qui d’ailleurs passe tous ses juillet-août au cap Ferret. Ne pas être riche à Bordeaux, c’est être condamné·e à vivre dans une ville étouffante plusieurs semaines par an, les élu·es ignorant pendant des décennies cette situation dont leur recrutement socio-économique les avait heureusement préservé·es. Ils et elles le découvrent aujourd’hui car les périodes caniculaires s’étendent dans l’année et les vacances « au cap » ne sont pas extensibles.

Ailleurs, c’est un choix sécuritaire qui empêche de végétaliser les quartiers. Non seulement les îlots de chaleur en ville coïncident avec des taux élevés de pauvreté, comme l’ont montré le camarade Mickaël Correia, Donatien Huet et Cédric Rossi dans cette cartographie, en raison d’un urbanisme pour pauvres où l’arbre n’a pas ou peu de place car il coûte trop cher à planter et à entretenir, mais aucune volonté politique ne souhaite même s’attaquer au problème. Au contraire, il s’agit de garder ces espaces nus et dénués de végétalisation à des fins sécuritaires, pour mieux surveiller et contrôler des populations perçues comme dangereuses. Je conseille aux connards qui nous gouvernent de regarder le film Do the Right Thing (1989) de Spike Lee qui montre le rôle d’une chaleur insupportable dans le déclenchement d’une émeute urbaine. Devant la chaleur, d’autant plus élevée dans des appartements mal isolés, aux volets en fer quand il y en a encore, « N’oubliez pas de vous hydrater et arrêtez de bouger » is the new « Mettez un pull à col roulé » mais ça ne suffira pas non plus pour calmer la colère, quand on laisse des millions de gens dans la détresse thermique.

L’arbre est aussi perçu comme une solution facile et peu chère face au dérèglement climatique. Il suffit d’en planter pour compenser ses émissions de gaz à effet de serre et prétendre à la « neutralité carbone ». Un vol en avion, une usine ou un immeuble de bureau… les entreprises conscientes et les particuliers qui ne le sont pas moins peuvent (un jour ils et elles devront) compenser leurs activités en faisant planter des arbres par d’autres entreprises tout aussi bienfaitrices de l’humanité. Les dites entreprises achètent des terres, aux dépens des populations paysannes qui en tiraient leur subsistance, et y plantent à la chaîne des arbres, parfois des espèces à croissance rapide en plantation monospécifique pour pouvoir les couper et les valoriser aussi vite que possible en pâte à papier ou à colis Amazon (qui sera incinéré après usage). Il n’est pas rare de voir les dits arbres mourir naturellement, car ils sont mal plantés, ou partir en fumée avant leur heure. Et même si tout va bien, ce qui est loin d'être acquis, planter un arbre aujourd’hui, c’est capturer des émissions sur une longue période, ce n'est donc pas une solution de court terme (alors que les émissions, elles, sont toutes relâchées d'un coup). La notion de crédit carbone porte bien son nom ! Pourtant le marché de la compensation carbone est florissant (6), même s’il évoque le marché des indulgences de l’Église médiévale et même si, outre ce détail, il est désormais établi que 90 % des projets de compensation carbone en forêt tropicale sont du foutage de gueule qui a des impacts écologiques inexistants ou négatifs. Pour ne rien dire des impacts sociaux et économiques que subissent les populations impactées, au Sud bien évidemment car la terre y est moins chère mais aussi au Nord, comme dans l’exemple de l’Écosse que décrit Édouard Morena dans son ouvrage Fin du monde et petits fours. Et même quand la plantation d’arbres n’a pas de fins si sordides et qu’elle vise la satisfaction des besoins des populations locales ou la restauration des écosystèmes, elle est loin d’être une panacée, comme l’explique cette revue de la littérature intitulée « Planter des arbres est-il si bon qu’on le dit pour la planète ? »

Est-ce ignorance si ces objectifs de planter des milliards d’arbres continuent à prospérer et l’arbre à être promené en étendard, comme aux futures processions macronistes de la Sainte-Catherine ? La nôtre peut-être, la leur en partie (il ne faut pas sous-estimer la bêtise des premiers de la classe). Mais le fait est suffisamment bien connu, il a le simple tort de s’opposer à des intérêts économiques bien compris (voir mon dernier billet à ce sujet).

L’arbre ne doit pas cacher la forêt du capitalisme vert. Nous devons lui faire une plus belle place que celle que nous lui réservons aujourd’hui. C’est tout le propos de Bouts de bois, un ouvrage d’Agnès Stienne paru ce printemps et auquel ce billet doit beaucoup. À partir d’objets du quotidien, l’autrice, artiste cartographe qui a par ailleurs enquêté sur des sujets globaux (voir ici ses reportages sur Visions carto et imagomundi), décrit l’état de la forêt en France métropolitaine, dégradé par des logiques prédatrices et une gestion à court terme qui ne vise pas ou peu l’équilibre écologique à long terme. Nos forêts brûlent et nous nous faisons enfumer. Agnès (7), dans ce grand libre sensible, richement illustré bien évidemment, nous fait toucher du doigt la complexité de l’arbre et les dangers qui pèsent sur les forêts.

NB : Lire aussi le dossier consacré à la sylviculture industrielle par la revue Z.

(1) Un jour de cagnard à Bordeaux j’ai traversé le cours d’Albret, un des seuls plantés d’arbres du centre-ville, et j’ai cru entrer dans une pièce climatisée.
(2) Il y a moins pire que les ombelles en béton installées à la place des arbres au-dessus d’un terrain de jeux pour enfants il y a quelques années en région parisienne mais là encore on doit faire appel au végétal.
(3) Une variété qui peut être moindre que celle des prés mais les deux écosystèmes sont également précieux. Dans une ferme ovine du littoral, un éleveur naturaliste avait fait recenser 90 espèces végétales sur une seule parcelle. Aude Vidal, « À Pornic, une guérilla ovine contre l’artificialisation des terres », Transrural Initiatives, n° 494, novembre-décembre 2022.
(4) À l’origine de ce billet, l’enrégimentement des enfants des écoles par le maréchal Macaron pour la plantation d’arbres.
(5) Il faut choisir des espèces adaptées au milieu et la proximité d’arbres plus anciens est importante car ces derniers soutiennent le développement des jeunes arbres, grâce entre autres aux réseaux mycorhiziens qui se tissent entre eux.
(6) Le carbone dans les sols d'usage agricole pourrait également entrer dans le marché, voir ici pour les problèmes que cela pourrait poser. (7) Je précise que l’autrice est une amie et que l’inoubliable portrait d’elle sur le site de l’éditeur est de moi.

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