Brut
Par Aude le lundi, 20 juillet, 2015, 16h15 - Lectures - Lien permanent
Brut. La Ruée vers l’or
noir, David Dufresne, Nancy Huston, Naomi Klein, Melina Laboucan-Massimo
et Rudy Wiebe, Lux éditeur, Montréal, 2015, 108 pages, 12 €
Du brut. Par millions de barils. Ou comment donner à voir l’exploitation des sables bitumineux du Canada. Barils, dollars, gaz à effet de serre, degrés de réchauffement… On connaît l’histoire mais voici une invitation à en découvrir jusqu’aux acteurs les plus modestes, en un livre composite où se mêlent reportage, témoignage, plaidoyer et littérature, et autant de voix. Fort McMurray, dans le Nord-Est de l’Alberta, est la capitale de ces hydrocarbures que l’on dit non-conventionnels : leur exploitation, plus polluante et plus coûteuse que partout ailleurs, souille 90 000 km2 de terres et le bassin du fleuve Mackenzie, l’une des principales sources d’eau douce au monde. Dans des mines à ciel ouvert, des camions de trois étages chargent ce mélange de sable, d’argile et de bitume. Moins visible, l’exploitation par forage consomme plus d’eau et relâche plus de produits toxiques. Le transport par pipe-line, ensuite, déverse lors de fuites régulières des millions de litres jusque dans l’océan Pacifique.
Du brut. Par millions de barils. Ou comment donner à voir l’exploitation des sables bitumineux du Canada. Barils, dollars, gaz à effet de serre, degrés de réchauffement… On connaît l’histoire mais voici une invitation à en découvrir jusqu’aux acteurs les plus modestes, en un livre composite où se mêlent reportage, témoignage, plaidoyer et littérature, et autant de voix. Fort McMurray, dans le Nord-Est de l’Alberta, est la capitale de ces hydrocarbures que l’on dit non-conventionnels : leur exploitation, plus polluante et plus coûteuse que partout ailleurs, souille 90 000 km2 de terres et le bassin du fleuve Mackenzie, l’une des principales sources d’eau douce au monde. Dans des mines à ciel ouvert, des camions de trois étages chargent ce mélange de sable, d’argile et de bitume. Moins visible, l’exploitation par forage consomme plus d’eau et relâche plus de produits toxiques. Le transport par pipe-line, ensuite, déverse lors de fuites régulières des millions de litres jusque dans l’océan Pacifique.
La contamination rend la région invivable mais pourtant on y vit. D’abord les personnes des premières nations, dont la militante écologiste Melina Laboucan-Massimo se fait ici la porte-parole en brossant un premier tableau des dégâts infligés aux terres des Cris lubicons, une pollution massive des « taïgas, fleuves, plaines, zones humides ou tourbières » (1) dont ils tiraient leur subsistance. Ensuite les travailleurs du pétrole ainsi que ceux et celles qui entretiennent Fort McMurray, ville-champignon et capitale des tar sands. D’un ramasseur de canettes à la maire, d’un tenancier de bar à filles à la directrice de la banque alimentaire, David Dufresne brosse leur portrait. Et en creux celui des jeunes hommes qui viennent travailler pour l’industrie pétrolière, gagner des sommes folles, en claquer une partie tout en espérant partir un matin, sans prévenir, avec un bon magot (compter 50 000 $ par semestre et ne pas imaginer rester plus de deux ans). Dufresne examine les relations entre société et big business, ici au niveau municipal, en posant la question : le pétrole est-il soluble dans la démocratie ? Pour Nancy Huston et Naomi Klein, dont un dialogue est retranscrit, Fort McMurray est le visage de l’horreur. La loi du profit détruit les conditions d’une vie authentiquement humaine : un environnement où trouver sa subsistance, qui ne rende pas malade, et quelque chose comme une communauté politique, où le bien commun soit mieux pris en considération que l’avidité individuelle. Partout dans le monde cette vision recule mais Fort McKenzie présente un état très avancé de ce que peut faire la loi du profit sur les paysages et les personnes.
Brut est bref mais entrouvre les portes d’un de ces enfers extractivistes qui nourrissent la machine industrielle. La plongée est rude mais salutaire : est-ce dans ce monde-là que nous souhaitons vivre ? Au milieu de justes indignations, cependant, la plainte de Nancy Huston sur les travailleurs du pétrole contraints à la prostitution (entendre : contraints à recourir aux services de personnes prostituées – dont on apprend par ailleurs qu’elles se partagent un joli gâteau) pourrait presque nous faire oublier la violence que les hommes exercent sur les femmes, là-bas plus qu’ailleurs. Partout au Canada on déplore les violences, assassinats et disparitions dont sont victimes les femmes autochtones et que les industries néocoloniales (qui comme la guerre livrent des territoires entiers à des hordes d’hommes prédateurs (2)) exacerbe. Serait-ce que l’Alberta échappe à la malédiction des agressions sur les prostituées et de la violence envers les femmes des premières nations ? Les débats parisiens et la bonne idée de l’auteure canadienne d’établir pour les jeunes filles un service civil du vidage de couilles sont une chose, l’oubli de faire état dans ce contexte d’une violence spécifiquement dirigée contre les femmes en est une autre qui me semble plus grave. D’où une légère déception que cette question n’apparaisse pas, à plus forte raison dans un livre qui présente une certaine diversité de regards, féminins notamment. Si une société se distingue par la manière dont elle traite les personnes les plus vulnérables, les dangers qui pèsent sur les femmes autochtones ne sont pas un détail de l’histoire. Brut reste malgré cela un riche petit ouvrage, qu’il est possible de prolonger grâce aux œuvres de David Dufresne : autour des mêmes rencontres, le journaliste a produit un jeu-documentaire puis un film. Plongée d’autant plus réaliste dans cet univers sordide, le froid et les odeurs d’hydrocarbures en moins.
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Quelques ressources sur le fleuve Mackenzie et son delta
(1) Melina Laboucan-Massimo, « Du pétrole en territoire lubicon », photo-essai sur un texte très proche de celui qui est traduit ici.
(2) J’ai rencontré un jour une responsable de l’ONU en charge de la lutte contre le trafic des êtres humains en Bosnie. Hélas, déplorait-elle, les casques bleus étaient les premiers prostitueurs de Sarajevo. Faible mixité et virilisme au sein de l’armée, manque global d’intérêt pour la lutte contre la prédation sexuelle (élément de la culture du viol), différentiel de revenus avec la population locale… la mission contre le trafic était de peu de poids face à la présence des casques bleus.