Québec : cap au Nord !
Par Aude le mercredi, 12 décembre, 2012, 22h40 - Reportages - Lien permanent
Paru dans L'An 02, hiver 2012-2013.
Le second pays le plus vaste au monde n'est peuplé que de 34 millions d'habitant·e·s, massé·e·s sur la frontière méridionale. Autant dire que le reste n'est qu'une vaste réserve de richesses qui n'attendent que d'être exploitées. Le Canada s'y emploie déjà, et mines et barrages prospèrent depuis longtemps au Nord. Mais le pic de Hubbert, un phénomène de stagnation mondiale de l'extraction du pétrole, et la demande qui va croissant, ouvrent une course à l'exploitation de toutes les ressources imaginables d'énergie. On connaît en France la brillante idée qui consiste à polluer les nappes phréatiques d'un pays densément peuplé pour en extraire quelques litres de gaz de schiste, imaginons donc les appétits qui s'aiguisent autour des ressources souterraines d'un pays vécu comme un quasi-désert. Jusqu'ici l'exploitation a été modérée par des prix trop faibles, mais aujourd'hui tous s'envolent, et l'affaire devient enfin rentable. Il s'agit de terres rares, délaissées quand la Chine les bradait, mais qui sont devenues bien précieuses, de fer et d'autres métaux dont les prix ont eux aussi explosé, et enfin d'énergie sous toutes ses formes : uranium (les autres fournisseurs de la France sont le Niger et l'Australie), hydroélectricité et énergies fossiles non-conventionnelles (sables bitumineux, gaz de schiste). La folie extractiviste s'est emparée du pays.
Une nouvelle colonisation des territoires du Nord
Au Québec cette folie a pour nom « Plan Nord », un programme
découvert en mars 2011. Natalie Normandeau, alors ministre libérale des
Ressources naturelles, présente le Plan Nord comme un « vaste projet de
société ». Pour Jean Charest, Premier ministre aujourd'hui démissionné,
c'est « l'un des plus grands chantiers de développement économique, social
et environnemental de l'histoire du Québec ». Le Plan Nord est un énorme
partenariat public-privé (PPP, la star des politique néo-libérales de
privatisation des gains et de socialisation des pertes) : des milliards
d'investissements, surtout publics (infrastructures de transport notamment),
pour aller exploiter toutes les ressources naturelles au nord du 49e
parallèle.
Il est douteux que les redevances minières comblent le déficit :
l'institut de recherche indépendant IRIS estime que la province « devra
payer 8,45 milliards de dollars de plus que ce qu'elle recevra du Plan
Nord ». Mais la motivation principale, assénée à longueur de temps par les
autorités, c'est l'emploi (lequel n'a pas de prix). Non pas l'emploi des
populations autochtones, qui vivent dans les territoires les plus déshérités de
la province et font exploser les taux d'illettrisme, d'alcoolisme ou de
malnutrition. Mais l'emploi des jeunes Blanc·he·s qui n'en veulent, et
accepteront de bosser dix jours de suite dans des villes-champignons pour
rentrer en avion profiter de fins de semaine prolongées à Montréal ou Québec.
Une migration pendulaire organisée, sans souci pour l'équilibre des
territoires. Les loyers des villes-dortoirs ont déjà explosé, mais aussi le
prix des denrées alimentaires. Au temps de la ruée vers l'Or dans le Yukon au
XIXe siècle, un fruit importé valait son pesant de pépites. Toutes proportions
gardées, c'est l'avenir du marché alimentaire local.
Les autochtones, privé·e·s de la ressource économique, seront les grand·e·s
perdant·e·s du Plan Nord. L'arrivée en masse de Blancs, principalement des
hommes seuls, fait en outre craindre une augmentation des cas de violence, et
de violence sexuelle, à l'encontre des femmes autochtones, déjà très
vulnérables, et une déstabilisation des structures sociales et culturelles. Sur
les onze premières nations québécoises, quatre (Innus, Cris, Inuits et
Naskapis) ont été associées au Plan Nord, à travers la consultation de leurs
conseils de bande, des institutions plus folkloriques que traditionnelles et
dont la corruption est abondamment commentée. Et d'autres nations, également
impactées, comme les Algonquins, n'ont pas été inclues dans la consultation. Le
ministre des Affaires autochtones de 2011, Geoffrey Kelley, peut toujours
parler de « grand projet collectif »... ici on traduit dans les
termes du néocolonialisme.
Développement économique, social et environnemental !
Tout le territoire au nord du 49e parallèle, c'est 72 % du Québec, soit
1,2 million de km2, 500.000 lacs et rivières qui constituent l'une des plus
grosses réserves d'eau douce au monde, 200.000 km2 de forêts dites
commerciales. Mais rassurons-nous, des engagements ont été pris pour que
50 % du territoire du Plan Nord soit consacré « à des fins autres
qu'industrielles », et même 12 %, puis en 2012 20 %
d'« aires protégées », lesquelles aires pourront cependant être
déplacées au fil des années. Un site déjà exploité pourrait ainsi redevenir un
patrimoine naturel...
Les mines d'uranium et de métaux, qui une fois exploitées sont abandonnées
telles quelles, contaminent durablement les sols et les eaux. La coupe à blanc
des arbres est permise, et bien plus rentable qu'une coupe sélective, plus
écologique et adaptée au rythme de régénération extrêmement lent (120 ans) de
la forêt. Et les barrages, déjà très présents (la compagnie provinciale de
production électrique s'appelle Hydro-Québec), s'attaqueront à de nouveaux
cours d'eau sur la Côte-Nord, qui sont encore vivants et propices à la
reproduction des saumons. Sur les fleuves où sont construits des barrages, les
poissons ne sont plus qu'un souvenir, les oiseaux qui s'en nourrissaient
disparaissent, et les retenues inondent des km2 entiers où pourrissent des
conifères en relâchant du méthylmercure, une substance toxique. Rien à voir
avec une énergie propre, l'hydroélectricité se contente de ne produire ni CO2
ni radioactivité, mais elle bouleverse les équilibres naturels.
Ce sont donc de véritables encouragements à dégrader les écosystèmes du Nord
qui sont délivrés par les gouvernements qui se succèdent au pouvoir, au nom de
l'emploi et du profit, et dans l'ignorance de l'intérêt écologique de ces
régions peu habitées. Le monde entier fait la grimace devant l'exploitation des
sables bitumineux de l'Alberta, on espère qu'il accordera la même intérêt au
Plan Nord québécois.
NB : Merci à Philippe et aux auteur·e·s de La Mauvaise Herbe pour leurs éclairages.
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Le Plan Nord mort et enterré ?
Lundi 1er octobre 2012, la nouvelle ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, enterre en fanfare le Plan Nord du Parti libéral. Elle compte créer un nouvel organisme de coordination et poursuivre l'exploitation, « mais pas n'importe comment ». Il faudra que tout cela bénéficie plus au public, grâce à un volet social plus important et à des redevances minières accrues par rapport aux cadeaux libéraux pour le big bussiness canadien, et l'utilité des extractions ne sera pas décidée uniquement par le marché, mais aussi soumis à des études, à des concertations et à des choix politiques : l'amiante, l'uranium et les gaz de schiste sont déjà dans la ligne de mire. Mais l'accélération de l'exploitation des ressources du Nord reste au programme.
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Les mouvements autochtones s'organisent au Canada : http://idlenomore1.blogspot.fr/p/vi...