Portland, capitale vélo de l'Amérique du Nord ?

Jeudi 22 novembre 2012, Portland, devant le café coop de la 12e rue. Rendez-vous est pris pour une balade festive dans les rues de la ville, désertées pour cause de Thanksgiving. Une trentaine de cyclistes se sont réuni-e-s pour profiter du calme et « se mettre en appétit » pour le repas de 15 h. L'un des nombreux rendez-vous quotidiens qui animent la communauté des cyclistes de Portland, Oregon. Avec ses 500 000 habitant-e-s (deux millions dans toute l'agglo, qui s'étend jusque dans l'état de Washington), la petite métropole du Nord-Ouest fait figure de capitale vélo de toute l'Amérique du Nord.

Est-ce son climat ? Pendant les trois mois d'hiver il y pleut plus qu'à Brest... Son relief ? Plus doux que Seattle sa voisine, mais ce n'est pas ça qui fait une ville cyclable, il suffit de considérer l'exemple lillois. Ses aménagements ? Pendant les années d'après-guerre la ville s'est « adaptée à la voiture » et des autoroutes traversent toute la ville, réduisant les possibilités de franchissement entre ses quadrants à quelques grands axes et à de rares ouvertures cyclables. La dernière freeway a réuni contre elle assez de suffrages pour ne pas être construite, mais pour passer sans encombre du quadrant Nord-Est à celui du Sud-Est ou à celui du Nord (il y en a au total cinq) il faudra planifier son itinéraire ou être un-e habitué-e. Décidément, il n'y a pas de recette, plutôt une alchimie qui tient à la culture locale autant qu'au volontarisme des autorités.

Beaucoup a été fait pour les 8 % d'habitant-e-s qui font leur trajet domicile-travail à vélo : nombreuses bandes cyclables, signalisation spécifique (y compris sur des axes où la circulation des vélos est interdite, une bizarrerie), stationnements, etc. Et la ville a avancé depuis des décennies sur d'autres terrains, avec le premier tramway réintroduit aux USA et un système de transports en commun qui permet à Portland de compter 20 % d'automobilistes en moins que dans les autres métropoles du pays. Le résultat, ça n'est pas seulement une ville qui se rapproche des standards cyclables français : elle les dépasse. La densité peut être assez forte pour prendre l'habitude d'annoncer qu'on va doubler (« On your left! »), et on ne conduit pas ici sa voiture sans penser aux vélos qu'on va croiser. Mais rien à voir avec Gand ou Amsterdam. Ou pas encore. Car ce qui fait les délices du vélo à Portland, c'est aussi hélas un modèle urbain insoutenable, celui de la ville peu dense. Passé l'hypercentre, elle se développe autour de la maison individuelle avec ses quatre façades, ses espaces verts et son sens du voisinage. Si les Américain-e-s font de détestables citoyen-ne-s du monde, ce sont en revanche de bon-ne-s voisin-e-s. Prendre à vélo une rue dans un quartier résidentiel, en itinéraire officiellement cyclable ou non, c'est s'assurer un traitement très délicat de la part des automobilistes : vitesse réduite, au point d'entendre ronronner sans impatience la voiture derrière soi, et priorité quasi-systématique aux cyclistes, au point d'en oublier sa droite. Seul bémol : on promène son chien dans le noir, et on fait du vélo dans les mêmes conditions... attention aux obstacles et aux nids de poule. Sur les grands axes en revanche, on se sent beaucoup moins accepté, invisible, illégitime, même si ces axes sont des rues commerçantes, vivantes et fréquentées. On y est parfois même carrément interdit, comme sur un des huit ponts de Portland qui pourtant donne sur des axes autorisés au vélo.

Aujourd'hui, ce qui fait croître l'usage du vélo à Portland, c'est aussi l'immigration des cyclistes. Aux USA, quand on se ressemble on s'assemble. Quand la réputation de la vie alternative à Portland n'est plus à faire, quand les aires métropolitaines de Seattle ou San Francisco deviennent un peu trop chères pour les classes sociales les plus disposées au vélo, Portland attire une population attirée par sa différence. Et l'attrait du vélo tient autant à la facilité qu'il y a à rouler dans les rues de la ville qu'à la culture cycliste : vélocistes pour tous les goûts (de la sacoche en cuir pour votre Brompton aux pièces de récup offertes ou bradées), ateliers de réparation mixtes ou féminins ; centre communautaire ; foire artisanale qui réunit fabricant-e-s d'accessoires ou de bijoux (la chaîne de vélo en bracelet a un certain succès) ; agenda proposant des sorties pour la santé, le plaisir ou la revendication (la masse critique a une histoire plus douloureuse), on peut vivre ici pour le vélo. La communauté cycliste produit aussi une abondante littérature : guides de Portland à vélo, en passant ou non par les micro-brasseries qui font elles aussi la réputation de la ville ; manuel de la cycliste par Women on Wheels ; fanzine féministe vélorutionnaire trimestriel Taking the Lane (1) ; divers précis d'histoire politique du vélo en Oregon... Portland est aussi un centre très actif de micro-édition. Avec tout ça, même si on n'a encore pas atteint une masse critique, même si on peut l'avoir mauvaise quand on se fait serrer de près par un pick-up chromé sur un gros axe ou downtown, on sait ici que, même au milieu d'un océan de grosses berlines japonaises, on est bien entouré.

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(1) A retrouver bientôt dans la bibliothèque de CheZ VioleTTe, place Vanhoenacker.

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