Notre-Dame-des-Landes, une histoire de poisson pas frais

Basques ou Islandais, les pêcheurs de l'Atlantique ont découvert il y a plus de mille ans la fabuleuse pêche à la morue. Un poisson très grégaire, donc facile à pêcher, facile aussi à sécher et à conserver grâce à sa faible teneur en gras, de la pure protéine qui alimenta longtemps aussi bien les classes laborieuses européennes que les esclaves des Antilles. Une morue dépose un million d’œufs à chaque période de reproduction, on a donc longtemps cru que les stocks étaient inépuisables. Et quand ils s'épuiseraient, la pêche ne serait plus si fabuleuse et rentable, on n'aurait pas d'autre choix que de l'abandonner pendant quelques années, le temps que les stocks se refassent. Mais les morues juvéniles sont des proies faciles, sujettes à une haute mortalité, et les bateaux de pêche se sont équipés au point de pouvoir scanner le moindre banc à des miles à la ronde. On ne l'a donc pas vu venir, les stocks se sont effondrés en deux ou trois ans, le temps de mettre sur pied des accords internationaux pour un moratoire sur la pêche à la morue en Atlantique... On ne l'a pas vu venir, à part les pessimistes, les naturalistes et les écologistes.

La morue a fait la richesse de la Nouvelle Angleterre et de la côte Est du Canada. Cape Cod (cap Morue en français) est le lieu de villégiature d'une bourgeoises bostonienne enrichie grâce à cette activité, l'emblème de ce que cette partie du monde doit à un poisson. Écrire l'histoire de la morue, comme le fait Mark Kurlansky dans Cod. A Biography of the Fish That Changed the World (Walker, 1997), c'est écrire l'histoire de l'Amérique du Nord et de ses échanges avec l'Europe. Aussi, quand les naturalistes et les vieux pêcheurs nostalgiques tirent la sonnette d'alarme et démontrent que les stocks se déplacent ou diminuent, personne n'a envie de les entendre. On continue pendant toutes les années 1980 à étendre ses zones d'exclusivité maritime, à aider de gros armateurs à équiper des bateaux pour la haute mer aux dépens d'une pêche locale. Le résultat, en 1994, c'est que le National Marine Fisheries Service des USA fait le compte et se rend compte que la flotte est deux fois trop grosse au vu des capacités de reproduction des stocks. Chaque bateau ne pourra plus sortir que 139 jours par an. Et en 1996, 88 jours, jusqu'à ce que soit décrété le fameux moratoire qui arrêtera toute activité. On imagine le désastre économique, qui consiste à laisser au port trois jours sur quatre une flotte high-tech ultra-onéreuse. C'est la collectivité qui paye cet entêtement à vouloir pêcher un poisson en voie d'extinction (et dont plusieurs sous-espèces ont vraiment disparu) : la FAO estime en 1989 que le coût global d'entretien de la flotte s'élevant à 92 milliards annuels, et la pêche n'en rapportant que 70, les états nord-américains et d'Europe occidentale subventionnent grassement la fin de la morue.

Tout ça pour dire quoi, que si on n'a plus de morue on mangera de la sardine ? L'histoire de la morue, c'est l'histoire de notre incapacité à penser l'avenir autrement qu'en extrapolant : considérant que notre PNB et notre prédation des ressources naturelles ont augmenté régulièrement ces dizaines d'années, il n'y a aucune raison qu'elle ne continuent pas aussi régulièrement. C'est un peu comme quand vous préparez à aller à la montagne l'été et qu'au moment de préparer votre sac vous avez du mal à y glisser une petite laine, tellement il fait bon en plaine la nuit, là où vous êtes tout de suite. Vous devez faire appel à toutes vos capacités cognitives (expérience, anticipation, connaissances météorologiques) pour vous forcer à vous encombrer de vêtements chauds (qui seront finalement bien utiles). On est dans la même situation. On entend commenter tous les indicateurs, observés finement par des personnes d'expérience et qui n'ont pas d'intérêt dans l'affaire. Elles nous disent de prendre un gros pull, et on hésite encore à partir avec autre chose que des manches courtes.

Les bateaux qui restaient à quai 275 jours par an, c'est l'autoroute A65 et son trafic bien en-dessous des « études » officielles, c'est l'aéroport d'Angers ou celui de Castellón ou celui de Ciudad Real. Ces bateaux n'ont enrichi que les chantiers navals, comme les projets d'aménagement en cours n'enrichiront que Vinci ou Eiffage (1). Alors si notre histoire sent un peu trop le poisson pas frais, qui donc fait la morue et qui fait le maquereau ? La raie publique n'en sortira pas grandie...

(1) Lire à ce sujet le dossier de Reporterre qui fait le lien vers de nombreuses ressources, dont cet article de Julien Milanesi paru dans L'An 02.

Commentaires

1. Le dimanche, 20 janvier, 2013, 22h40 par Jacques C

Les Basques et les Islandais, oui, mais il ne faut pas oublier ensuite les Portugais et les Bretons ! Les pêcheurs de la côte du Goëlo (Paimpol, etc.), en particulier, étaient parmi les plus réputés pêcheurs de morue de Terre-Neuve. Mais ils ont arrêté avant l'industrialisation de la pêche : c'étaient des pêcheurs du temps "romantique", où chaque année des bateaux ne revenaient pas...

Bon, d'accord, ce n'est pas le sujet. Mais il ne faut jamais oublier de citer les Bretons :-).

Quant à Notre-Dame-des-Landes, je suis toujours effaré de voir à quel point la propagande est efficace, lorsque j'entends des amis intelligents et plutôt écolos expliquer que cet aéroport serait "nécessaire" parce que l'actuel aéroport Nantais ne peut pas être aménagé pour réduire ses nuisances (alors qu'il peut parfaitement l'être et que ça améliorerait même sa sécurité) ou parce qu'il faudrait "désenclaver Nantes" (?!?). Au-delà de l'incapacité à anticiper, il y a là une vraie irrationalité basée sur des mythes savamment entretenus (la croissance urbaine, le désenclavement...).

2. Le dimanche, 10 février, 2013, 04h47 par Aude

Julien Milanesi, dans l'article dont je donne la référence, fait la part entre les projets qui ont eu vocation à désenclaver et ceux d'aujourd'hui qui n'ont d'autres utilité que d'augmenter la vitesse de déplacement de classes sociales proches de celles au pouvoir. Mais le vocabulaire reste le même : désenclaver, comme dans les années 70. Quelle forte d'inertie...

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