Marre des forums au masculin !

La Barbe, c’est cette asso féministe qui fait intrusion dans des lieux où l’on cause pour en faire apparaître aux yeux du public une dimension jusqu’ici inaperçue : le panel qu’on écoutait sagement se révèle composé uniquement d’hommes… Les réactions sont assez mélangées. Il y en a qui pestent, ironisent ou se montrent agressifs car leur légitimité vient d’être ébranlée. Il y en a d’autres qui applaudissent ou se marrent (les barbues ont quelques talents d’écriture). J’espère que j’entendrai les secondEs à la suite de cet billet, mais je crains que les structures de l’expression sur les forums de blog ne sortent pas ébranlées de mon coup de gueule et qu’encore une fois les premiers ne gardent le monopole de l’expression sans même prendre la peine d’un coup d’œil autour d’eux pour se rendre compte de ce qui me semble aussi visible qu’un nez sur un visage : Jérôme, Paco, Nicolas, Adrian, Éric, Arsène, Patrick, Gérard, Jean, Jean-Marie, Corinne (error ! error !), Vincent... ils sont entre mecs.

Ici je dois enfoncer une porte ouverte : les femmes ont des idées et sont en capacité de les articuler quand les conditions sont favorables. Si sur les forums on observe une présence massive des hommes, ce n’est pas en raison de leur niaiserie essentielle à elles, mais de leur présomption excessive à eux. J’entends excessive non pas en général, parce que les lecteurices de blog feraient mieux de fermer leur gueule – je ne le fais pas quand c’est moi l’invitée. Mais excessive au regard du résultat, cette situation de quasi-monopole masculin.

La visibilité de certains de mes billets m’a donné l’occasion d’essuyer quelques salves, dont je retiens les éléments suivants : sur les forums, les femmes sont rares en comparaison des hommes ; proportionnellement, elles pensent bien plus souvent à remercier pour la contribution qui donne lieu à l’échange ; elles ont tendance à écrire plus court et à prendre plus de précautions oratoires (excuses, modalisations, etc.) et surtout… elles répondent au billet. Voilà qui me semblait acquis quand je me faisais incendier pour avoir osé demander aux hommes proféministes de ne pas poser leur expérience à égalité avec celles des femmes pour décider des orientations du mouvement féministe. (Inacceptable, même pour des hommes n’ayant jamais mis le pied dans une association féministe.)

Mais j’ai récemment eu le déplaisir d’observer qu’on pouvait également répondre sans répondre, comme si je ne posais pas une question qui est digne d’intérêt à partir du moment où on prétend s’attaquer à l’exclusion sociale. L’essentiel étant pour mes interlocuteurs de marquer leur territoire avec des écrits produits en réponse à d’autres questions : « le revenu garanti c’est quoi ? », « mais comment qu’on va faire pour payer ? » ou « oh là là, gagner du fric à rien foutre, c’est la fin des haricots ». Je pensais avoir pris mes précautions, expliqué que je n’avais pas trop besoin qu’on me réexplique puisque je portais cette revendication pendant que la moitié de mes lecteurices en étaient encore au premier tome d’Harry Potter ou adhéraient à la LCR (vous vous souvenez de la LCR ?) et s’intéressaient peu au sujet, plus motivéEs par des conquêtes sociales du côté de l’emploi.

Servir de prétexte à la publication de tant de diatribes (contre de rares réponses), parfois produites pour d’autres occasions… voilà qui m’a soufflée, au point de ne pas pouvoir répondre favorablement à l’invitation qui m’était faite IRL d’en discuter. C’est que la blogueuse fatigue… de paroles masculines ultra-assertives, qui se vautrent dans l’abstraction et la macro, mais aussi du manque d’empathie quand il est question de souffrance, la mienne après dix ans de chômage dans une société individualiste ou celle d’autres femmes que je citais précédemment : il s’agissait d’Andrea Dworkin, de Mademoiselle ou d’une anarcha-féministe confrontée aux viols en milieu squat, toutes les trois faisant justement état... de cette mâle indifférence à la violence de genre. Mais il serait réducteur d’analyser cette mésaventure au seul prisme du genre...

Roland Barthes fait part dans Mythologies de son étonnement devant le fait suivant : les magazines populaires féminins des années 1950 proposent des recettes de cuisine sophistiquées, tandis qu’Elle, plus bourgeois, apprend à ses lectrices à cuisiner de revigorants pots au feu… L’énigme est résolue au cours de l’article. Les recettes des magazines bourgeois ont une intention tout à fait pratique, tandis que celles de ses concurrents pour pauvres sont là pour le plaisir des yeux et de la rêverie. Voilà à quoi me fait penser le débat actuel autour d’une mesure révolutionnaire à l’issue de quatorze ans de casse sociale.

Je comprends (enfin, je ne peux qu’accepter) qu’on ne se privera pas de rêver à un mille-feuilles de foie gras poêlé, version idées politiques, à la seule mention des possibilités d’exclusion des personnes (pauvres, femmes, idéalistes) qui profiteraient du revenu garanti pour déserter un champ important des rapports sociaux. Je comprends qu’on veuille éviter de me voir cracher entre la pâte croustillante et le délicieux organe malade du volatile et que c’est la cause du silence que je note, de l’incapacité à en discuter. Un silence embarrassé puis bavard et agressif quand je le fais apparaître. Mais enfin, est-ce comme cela qu’on avance, à coups de doxa solutionniste ? Et les forums des blogs de meufs sont-ils obligés de devenir des déversoirs pour usagers masculins ?

Commentaires

1. Le dimanche, 31 août, 2014, 12h48 par Aude

On en parlait avec une copine : les chieuses, c'est ces femmes qui ont des idées à faire valoir, mais aucune autorité masculine pour le faire. Elles dérangent parce qu'elles ne se taisent pas, elles dérangent parce que ce ne sont pas des mecs. Elles sont mal considérées parce qu'elles ont le cul entre deux chaises : la domination et la soumission. On m'a déjà moultes fois expliqué que ce qui posait problème, c'était mon manque de complaisance mais je crois que c'est mon manque d'autorité, le fossé entre ma conviction d'être un être humain avec des intérêts et des valeurs à faire respecter et mon incapacité à le faire. "Putain mais te mets pas en rogne" c'est quand tu t'es mise en rogne parce qu'on ne t'écoutait pas vraiment. Tu es en rogne, ce n'est pas sexiste que de le dire, mais c'est sexiste de ne nous y avoir poussées. Enfin, certaines arrivent à s'imposer...

Ce que je voulais faire remarquer également, c'est que le peu de femmes qui s'expriment ont d'habitude assez attendu, construit et produit pour le faire. On ne se sent le droit de l'ouvrir que quand on a assez cogité, déjà écrit, déjà été actives sur un sujet. Ce serait bien si on pouvait aussi nous entendre dire des conneries, essayer, improviser. Mais ça on est quelques unes à le faire sur Seenthis, c'est rafraîchissant.

Et il y a sûrement des hommes qu'on n'entend pas, mais aucun indice dans les noms sur le niveau d'études ou la classe sociale.

2. Le lundi, 1 septembre, 2014, 21h57 par Un partageux

Je me gratte la tête car je suis un homme. Hélas je ne puis que confirmer la petitesse du pourcentage de femmes qui répondent sous les textes de mon blogue. Hélas je ne puis que confirmer que c'est la même chose sur le plus clair des blogues où je m'aventure. Hélas je vois infiniment moins de blogues tenus par des femmes que par des hommes. Hélas quand je me rends à une réunion politique je constate que les hommes prennent trèèès beaucoup du temps de parole. Hélas, Aude et Agnès du Monolecte, je n'ai que des accords avec vos assertions.

Je suis fort tenté d'ajouter autre chose qui ne vient pas minorer ces constats. C'est aussi UN type d'homme bien marqué qui prend la parole et qui la monopolise. Au détriment des femmes. Mais aussi au détriment des autres hommes. Au détriment de tous ceux qui ne sont pas dans le schéma "c'est moi qui pense et toi tu ne sais pas alors tu fermes ta gueule".

Dans la présentation de mon blogue j'ai écrit :

[2] Mettre du sensible dans le domaine politique qui en manque beaucoup trop souvent.

[3] Attirer l'attention des militants de gauche — plutôt masculins, blancs, quinqua cheveux blancs, souvent fonctionnaires de l'État, bien dotés en capital symbolique, économique et social — sur ceux qui désespèrent d'une gauche qui affiche des idées à des années-lumière des préoccupations d'une mère seule, d'un employé ou d'un/e intérimaire.

Eh bien, vous n'imaginez pas combien les propos de ce genre me valent de remarques condescendantes. Et quand j'écris "condescendantes", je suis très diplomate parce que les volées de bois vert arrivent plutôt en escadrilles...

3. Le mardi, 2 septembre, 2014, 09h29 par Aude

Ça vaut d'autant plus la peine de l'annoncer !

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