Pandémie de peur

Sans surprise, les troubles anxieux et dépressifs ont doublé en moins d'un mois et demie. Sans surprise, « les personnes déclarant une situation financière très difficile, celles ayant des antécédents de troubles psychologiques, les inactifs et les CSP- (les pauvres, ma précision) ainsi que les jeunes adultes (18-34 ans) sont davantage concernés par les états dépressifs » (1). Sans surprise, parce que rien n'a été fait pour aménager un dernier bout de vie sociale et affective pour les gens, en particulier les personnes sans emploi ou qui vivent seules. Et comme je disais ailleurs, le pire moment pour aller mal, c'est quand tout le monde va mal.

Heureusement, autour de moi j'observe des transgressions très saines des règles de confinement, alors que le premier avait été suivi très largement et avec un beau civisme. Des ami·es continuent à voir des proches, parfois avec des gestes barrières mal adaptés qui témoignent de leur méconnaissance des mécanismes de transmission du virus (les mains propres mais aucune aération, la distance arbitraire d'un mètre mais pas le masque), parfois dans un relâchement choisi, parfois en faisant attention (rencontres en extérieur, distance interpersonnelle accrue, port du masque lors des étreintes qui ont remplacé les bises). C'est parfois mal fait mais c'est sain dans la mesure où c'est une appropriation par en-bas de l'approche de réduction des risques et que le plus important demeure : ces rencontres sont réservées à des proches, entre une et dix personnes, soit dans tous les cas une réduction très importante du nombre des interactions sociales par rapport aux temps où nous nous rendions en toute liberté au cinéma ou au restaurant. Et c'est avant tout ça qui compte pour réduire la circulation du virus sur un territoire.

Nous faisons ainsi ce que le gouvernement a choisi de ne pas faire : ménager les relations affectives pour ménager notre santé mentale. C'était d'autant plus facile à faire qu'à part ces mesures très contraignantes sur les comportements individuels (ceux qui ne coûtent rien économiquement, semble-t-il quand on a la vue courte), le reste du confinement est assez relâché (écoles ouvertes malgré un protocole sanitaire peu satisfaisant, mélange de travail sur site et de télétravail pour les emplois qui au printemps étaient 100 % à distance). À vrai dire, le contrôle même des circulations est très lâche par endroits et nous assistons à un confinement à deux vitesses. Certain·es peuvent visiter leurs proches sans être contrôlé·es, d'autres ne peuvent pas aller aux champignons (case collecte alimentaire). Certain·es arbitrent entre leur civisme et leurs besoins. D'autres restent tétanisé·es par la peur ou les instructions idiotes et se font ainsi beaucoup de mal.

Parmi « les facteurs cognitifs et affectifs (perceptions et ressentis) associés aux états dépressifs » figurent « l’inquiétude vis-à-vis de la situation financière, la colère et la frustration, la peur, le fait de se sentir vulnérable au risque d’infection par le SARS-CoV-2, le sentiment d’isolement et de solitude » et « le fait que les proches adoptent et approuvent moins les mesures de prévention » (1). Je peux comprendre qu'on ait peur de tomber malade. Le Covid est une maladie à faible létalité mais pénible et qui laisse des séquelles. Ce qui est ennuyeux, c'est que ces mesures de prévention individuelles, qui surresponsabilisent les personnes, confondent les enjeux individuels (ne pas tomber malade) et les enjeux pour la société (réduire le R0 ou taux de reproduction). Et d'autre part, en impactant plus durement et plus durablement la santé mentale des reconfiné·es, elles ne s'inscrivent pas dans un schéma de santé globale et contribuent à une autre crise sanitaire.

Une amie me disait que dans la situation où nous sommes l'enjeu est trop important, qu'il faut un État fort qui distribue ses instructions top down et tout le monde obéit. Ça semble du bon sens mais c'est le contraire qui marche en matière sanitaire, en tout cas dans les pays occidentaux : il vaut mieux partir des pratiques des personnes concernées pour mettre au point des protocoles adaptés à leur mode de vie et s'assurer de leur bonne compréhension et de leur adhésion, sinon elles risquent de les saboter, délibérément ou non (évitement du dépistage, mesures ou traitements non suivis), et de mettre à l'eau les efforts de réduction des risques. On avait appris avec la pandémie de Sida l'intérêt de faire dialoguer médecins et patient·es, d'ouvrir des espaces de concertation, de parier sur l'appropriation du savoir par les personnes concernées, mais aujourd'hui on s'en prive, préférant l'ignorance (2) et l'autoritarisme. De même, bien que les actions locales semblent mieux répondre aux besoins, les instructions viennent toujours par en-haut, comme tout du reste dans la France de Macron, néolibérale autoritaire.

Entre le premier et le deuxième confinement, c'est les mêmes erreurs qui sont commises, les mêmes arbitrages qui produisent les mêmes effets toxiques qui s'accumulent. Notre attestation a très peu évolué malgré plus de sept mois pour ajuster le dispositif. Depuis le reconfinement, une personne sur cinq est donc atteinte de troubles anxieux ou dépressifs. (Et les violences conjugales augmentent de nouveau.) Celles et ceux que la peur paralyse resteront donc isolé·es, rendu·es plus inquiet·es encore par l'incohérence de ce confinement et les voix aussi peu rassurantes qu'elles sont nombreuses et qu'aucune n'inspire assez confiance.

(1) Le point épidémiologique hebdomadaire s'est étoffé d'un point sur la santé mentale. Je cite celui du 19 novembre 2020.
(2) On ne chope pas le Covid en croisant brièvement une ou plusieurs personnes non-masquées en extérieur. Le virus se transmet par la respiration, les gouttelettes mais aussi les aérosols qui sont beaucoup plus volatils (donc s'accumulent dans l'air intérieur mais se dispersent dans l'air extérieur) et la charge virale qui vous fera tomber malade ne s'échange pas en quelques secondes mais en quinze minutes au moins. D'autre part les contaminations par les surfaces sont beaucoup plus rares. Beaucoup de controverses scientifiques ont été tranchées sur ces questions mais j'ai l'impression que l'état des connaissances dans le public n'a pas changé depuis mars. C'est pour ça que je me permets de donner des conseils, malgré mon manque de qualification et de possibles erreurs, parce qu'ils seront toujours plus utiles que les représentations majoritaires qui sont peu à jour. Je ne m'informe pas sur des sites conspirationnistes mais dans la grande presse (ici sur l'utilité du masque, ici sur la diffusion des aérosols en intérieur), sur des sites institutionnels ou de vulgarisation scientifique comme celui-ci qui met à disposition ses sources et fait état des controverses encore actives ou des faits encore mal connus. Je vous invite donc, plutôt qu'à me croire sur parole, à suivre les liens pour vous faire votre avis.

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