Bis repetita
Par Aude le samedi, 29 août, 2020, 14h16 - Textes - Lien permanent
Le soir du jeudi 12 mars, je m'étais couchée très en colère : osaient parler de « santé publique » ceux qui avaient traité le soin comme une marchandise et en avaient exclu une partie du corps social (les personnes en séjour irrégulier, voir ici) comme si la santé n'était pas un bien commun, à entretenir ensemble, d'autant plus dans le contexte de maladies infectieuses et contagieuses. Quelques jours plus tard, nous étions sommé·es de participer à un effort de réduction des risques extrêmement coûteux, conçu par en haut, inadapté à la réalité des personnes les plus fragiles de ce pays, les mal logé·es, les sans balcon ni jardin, les qui vivent seul·es ou à trop de monde, bref tout ce qui n'est pas un homme aisé en télétravail sur la terrasse pendant que maman s'occupe des gosses. Le tout pendant que les travailleurs et travailleuses exposé·es, les indispensables, les « premier·es de corvée », allaient trimer dans des lieux peu ou pas sécurisés, prenant des transports en commun toujours aussi bondés (il y avait moins de fréquence) alors que le gouvernement nous expliquait que nous ne devions pas porter de masques pour réduire la propagation du virus dans ces situations parfaites pour lui (densité humaine, intérieur mal aéré).
Mes camarades et moi n'avions pas critiqué l'idée même de la contrainte imposée à l'ensemble de la société, car la notion de santé publique peut imposer sa nécessité à tou·tes, mais aux conditions de ce confinement : arbitraire et injustice du dispositif et de la répression des contrevenant·es, de la sauvagerie de certaines situations (prisons et centres d'enfermement, maternités), bêtise pure et simple de certaines dispositions comme la clôture des parcs et jardins, manque d'arbitrage avec d'autres nécessités sanitaires et sociales tout aussi fortes (violences domestiques, santé reproductive, santé mentale). Je ne vais pas la refaire ici.
Et puis il y a eu le déconfinement. Les ami·es qui n'osent pas sortir, ayant subi des messages anxiogènes qui leur faisaient craindre le moindre contact, alors qu'on sait depuis que les contaminations ont lieu principalement par voie aérienne lors de contacts intenses ou prolongés mais pas par les surfaces ni par des contacts furtifs, comme dans la rue. (N'empêche, je suggère que nous continuons à nous laver les mains quand nous sortons du métro, rentrons à la maison ou sortons des toilettes, c'est mieux pour tout le monde.) Et puis petit à petit, la vie reprend ses droits, avec le mantra « Non mais la deuxième vague c'est pour l'automne ». Alors que la deuxième vague sera due moins au temps qu'il fait qu'à nos comportements, lesquels tiennent au civisme des populations mais surtout à nos contraintes comme à la qualité des décisions politiques. Et que la démobilisation emmenée par les politiques au début de l'été (peut-être pour nous encourager à consommer pendant nos vacances) a payé : nous sommes fin août et le port du masque est obligatoire en extérieur dans plusieurs métropoles dont Paris et sa petite couronne.
Comme jeudi 12 mars, bis repetita, cette disposition me fout en rogne. D'abord parce que je me demande comment il est possible de ne pas apprendre de ses erreurs et de rejouer, six mois après, quasiment la même comédie ? Ces derniers mois ont été l'occasion d'une démobilisation organisée de la part du général Macaron et de ses caporaux jusqu’à ce qu'ils soient et nous avec rattrapé·es (oh surprise !) par l'épidémie :
- exemplaire non-port du masque des dirigeant·es politiques, en particulier lors de la soirée électorale du 28 juin (voir ci-dessus) ;
- refus de rendre obligatoire le masque dans les lieux publics confinés avant le 20 juillet malgré de nombreuses alertes ;
- exception pour les salles de cinémas et j'en oublie sûrement d'autres.
Nous n'avons pas profité de l'été, de la possibilité de reporter nombre d'activités de l'intérieur vers le plein air, d'aérer largement les intérieurs, pour faire baisser la circulation du virus, au contraire nous abordons l'automne avec un nombre d'hospitalisations en hausse.
Mais encore… Au fur et à mesure que notre connaissance du virus et des modes de contamination augmente, certaines précautions prises s'avèrent finalement inutiles mais sont sensées au moment où elles sont prises, question de précaution. Il me semble qu'on en sait néanmoins assez sur le fait que le port du masque en extérieur est une précaution à utilité très variable : utile sur les marchés, dans les endroits densément occupés et/ou de façon statique (une rue piétonne, un rassemblement) mais dans les autres cas le rapport coût-bénéfice est très douteux. Aussi le port obligatoire du masque en plein air quelle que soit l'utilité, sans aucune confiance faite aux personnes sur leur appréciation du risque selon leur environnement (1) et sans doute parce que plus on souffre, plus ça a d'efficacité sanitaire, me semble faire office moins de précaution légitime que de mesure cosmétique de rattrapage de l'incurie répétée pendant ces mois de déconfinement. Trois mois pendant lesquels les mesures les plus simples, au rapport coût-bénéfice le plus évident, n'ont pas été mises en œuvre ou tardivement ou mal suivies par une partie la population (dont je comprends qu'elle soit mal disposée à suivre les règles imposées par des gouvernants qui ont démérité mais ça n'en reste pas moins un égoïsme condamnable).
Pour mobiliser une population, il faut son adhésion. On peut essayer l'ignorance et les messages simplistes (merci Konbini ), on peut essayer les amendes pour les personnes non-masquées en plein air et reporter ainsi vers les lieux clos les interactions sociales… mais les politiques de réduction des risques ne réussissent jamais mieux que lorsqu'elles sont comprises et acceptées. Or, celle-ci, je ne la comprends pas. Je ne l'accepte donc pas. J'ai accepté le principe du confinement, le port du masque dans les transports et les lieux confinés (je n'ai pas attendu le 20 juillet pour mettre mon masque dans les lieux publics clos), j'ai pris à partie la salle de cinéma que je fréquente le plus car le masque n'y était pas obligatoire malgré son utilité. Mais maintenant je fatigue. Je ne fatigue pas seulement d'être administrée mais aussi de l'être par ces gens-là, qui nous demandent de déshumaniser nos relations avec nos proches (voir ci-dessous : ne voyez vos parents qu'en plein air avec un masque à trois mètres de distance) pendant qu'eux semblent mener leur vie comme si de rien n'était. Le trafiquant d'influences Darmanin, par exemple, a pris ses fonctions à la mairie de Tourcoing le 23 mai au milieu d'un public choisi mais non masqué, et en ce samedi 29 août il se marie dans ce qui ne ressemble pas à la plus stricte intimité, alors même que le Premier ministre appelle à « éviter les fêtes familiales » après avoir incité la veille à aller au théâtre et au cinéma (le masque n'était pas obligatoire en salle, rappelez-vous). Va comprendre !
Marre de ces incapables et de leurs arbitrages idiots ou motivés par les seuls intérêts économiques, aux dépens d'autres besoins et d'autres causes : nos liens sociaux et notre santé mentale, les autres causes de maladie et de mortalité, les besoins des personnes les plus dans la merde de cette société, les forêts saccagées, l'eau, l'air et les sols pollués… Rester civique, attentive à prendre soin des autres et si possible de moi-même devant le spectacle de la bêtise et de l’arbitraire, voilà qui est beaucoup demander.
Obligée de porter le masque au milieu des foules parisiennes (Paris, bois de Vincennes, le 29 août), je crains une verbalisation... Note : comme ce blog ne contient pas d'appels à la contravention de la loi, je précise que j'étais alors à vélo et que c'est ce détail et non la faible densité humaine de l'environnement qui rendait acceptable en droit mon non-port du masque.
(1) Cela supposerait de faire confiance également en l'appréciation des forces de l'ordre, ce qui est en effet risqué, vu la faible qualité de jugement dont elles ont témoigné et le haut niveau de violence des contrôles pendant le confinement. Le point ici par Dror.
Commentaires
Merci pour ce texte qui met bien en mots ce que je ressens.
Merci Jeanne !
J'oubliais que les personnes à vélo ont été dispensées de masque après un énième épisode de n'importe quoi pour ne pas dissuader les gens de rouler à vélo. C'est simple : si vous n'avez rien à négocier (économie de l'exploitation cinématographique, report modal sur le vélo), vous mettrez un masque que cela ait un bénéfice sanitaire ou pas. On a besoin de communiquer, de montrer qu'on fait quelque chose !