Leur écologie et la nôtre
Par Aude le samedi, 10 août, 2019, 12h58 - Textes - Lien permanent
Oui parce qu'une bonne partie du temps militant est consacré à se flatter de penser ce qu'on pense, contre les autres qui pensent autre chose. On passe moins de temps à élaborer des stratégies qu'à défendre ce qui est devenu un panel d'identités militantes. Alors forcément, nous sommes incapables d'apprécier les autres et leur travail, la complémentarité (1) entre les approches et le fait que nos idées différentes, nos goûts et capacités différentes nous portent vers des modes d'action différents. Je défends depuis très longtemps la diversité militante : autant de modes d'action, autant de chances que chacun·e y trouve son compte, entre celles et ceux qui aiment les structures très organisées et les électrons libres, celles et ceux qui sont très radicaux, celles et ceux qui ont envie de voir des choses concrètes prendre forme vite, qui aiment travailler dans les institutions (même si c'est une drôle d'idée…), qui sont capables de prendre le temps d'expliquer, qui n'ont plus le temps car leur colère est trop forte. Si nous savions un peu mieux vivre et laisser vivre, nous gâcherions un peu moins de temps à expliquer qui nous sommes et pourquoi nous sommes plus formidables que les autres. Certes.
Mais non, parce qu'il y a bien en matière d'écologie des réponses contre-productives ou toxiques. Parlons de la ressource en eau qui ne peut être prise pour acquise, des sols rendus stériles par l'agriculture conventionnelle ou par le fait plus simple encore à comprendre qu'on construit dessus, du plastique qui empoisonne le milieu, brûlé dans des incinérateurs ou échoué dans les mers, de la forêt grignotée par l'exploitation forestière et l'agriculture de plantation. Et parlons de climat : il nous faut baisser drastiquement nos rejets de gaz à effet de serre (GES), le CO2, le méthane, etc. Pour cela il faut s'attaquer aux transports (de la voiture du quotidien aux porte-conteneurs et aux avions de ligne), à l'agriculture (des rots de vache chargés en méthane aux sols de moins en moins capables de recapturer les GES), au bâtiment (pas assez durable ni bien isolé contre le froid ou conçu contre le chaud), à nos sources d'énergie et à la surconsommation pour des usages aussi intéressants que la publicité, les infrastructures financières ou de surveillance, le streaming sur Internet (de votre Netflix au porno du voisin).
Et maintenant que l'urgence écologique a sonné, que les derniers imbéciles qui blaguaient sur le réchauffement climatique, vous rigolez, vous avez vu, cet hiver il gèle ont enfin été décrédibilisés, le sujet touche enfin plus largement que les écolos et les réponses ne sont toujours pas à la hauteur.
Les classes dominantes donneuses de leçon
Passons vite sur les fans du mépris de classe qui ont trouvé avec l'écologie la meilleure manière d'accabler leurs voisin·es trop pauvres ou qui ne leur ressemblent pas assez… Matthieu Adam en parle ici. À mettre dans le même sac que les people écolos ? Untel revient d'un voyage en Antarctique (allez-y avant que tout le monde n'y aille !) avec l'engagement de sauver la planète en pratiquant l'écologie au quotidien, une autre sauve la planète en promouvant un mode de vie spirituel et contribue à la mode pour les pierres semi-précieuses dont l'exploitation est un désastre écologique (mais qui font tellement de bien en méditation), un autre est super écolo mais promeut une marque de café utilisant des capsules jetables non-recyclables, tou·tes ont un mode de vie hyper-mobile et très prédateur (parce que l'empreinte écologique est corrélée assez mécaniquement au revenu) mais s'engagent sur un détail qui va essuyer tous leurs péchés.
Les autres, je suis allée les chercher sur Twitter, qui rend bête et méchant·e, pour produire cette petite taxinomie de réponses inadaptées ou franchement toxiques au défi écologique.
Le raciste
« Pour baisser mon empreinte écologique, je suis prêt à me débarrasser de l'Inde et de la Chine. #LOL »
Regardons un peu les chiffres du Global Footprint Network, un indicateur composite qui prend en compte les hectares globaux (biocapacité de la planète par nombre d'hectares immergés), plus large que la mesure des seuls GES. L'Inde, la Chine et les États-Unis sont les plus gros pollueurs au monde (voir total ecological footprint). Que l'on cherche l'empreinte écologique par habitant·e (ecological footprint per person) et l'on ne trouve plus que les États-Unis, le Canada, les pays riches du golfe Persique (et la Mongolie et l'Estonie). Les Indien·nes sont dans la fourchette basse avec 1,7 ha globaux par personne alors que les Français·es et les Chinois·es sont deux crans au-dessus avec une empreinte entre trois et quatre fois plus élevée. #LOL. Je vous présente l'écologie raciste, celle qui est toute prête à pointer du doigt l'autre. Qu'elle soit motivée par la couleur de peau des personnes en question ou apeurée par le nombre d'habitant·es dans un pays donné (qui se trouve être beaucoup plus grand que la France pour des raisons historiques, tout en ayant exactement la même densité de population, comme c'est le cas de la Chine), cette écologie-là ne pointe pas les bons problèmes du doigt. Au-delà des réflexes de personnes qui découvrent l'écologie, il y a bien tout un champ de réflexion écolo qui a préféré s'inquiéter des questions démographiques et de la densité de population (un problème mineur au regard de son mode de vie) parce que ça lui permet de ne rien remettre en cause chez elle. Poubelle.
Empreinte écologique par personne, Global Footprint Network.
La techno-béate
« Ce dont on a besoin, c'est d'ingénieurs qui inventent des procédés pour capturer les GES et régler ce problème de climat plutôt que de militant·es qui braient partout. »
Ce à quoi une bonne âme a charitablement répondu qu'en fait on avait besoin de réinventer les arbres.
Dans les ONG écolos il y a plein de gens très fin·es et très savant·es à qui je laisserais volontiers les clefs de la maison pour empêcher qu'elle ne brûle. Les solutions existent et les plus efficaces sont plus sociales que techniques. Par exemple le conseil régional Nord-Pas de Calais a trouvé moyen de financer la rénovation thermique des logements de propriétaires habitant·es pauvres, qui n'ont pas les moyens de profiter des aides classiques, et cela sans budget public. Un bel outil pour des investissements écolo mais qui a été saboté par la majorité suivante. Les pauvres continueront à se chauffer à 16° avec des factures de fioul trop chères et leurs voisin·es qui bossent dans le bâtiment resteront au chômedu. Mais encore : l'agriculture bio préserve les sols et la qualité de l'eau, à tel point que les autorités de Munich en Allemagne ont jugé plus efficace de subventionner la conversion en bio de tou·tes les paysan·nes du bassin versant plutôt que de continuer à payer la dépollution de l'eau. Des sols vivants, capables d'absorber des inondations, et des légumes sains, ça, c'était cadeau. Chez nous les aides ridicules à la conversion vers la bio étaient versées avec presque deux ans de retard, aux dernières nouvelles, et malgré une demande croissante du public. Pour proposer, faire connaître et mettre la pression pour mettre en œuvre ces solutions, il faut bien des militant·es qui braient.
L'analyste de cycles de vie (ACV) pour qui tout tient à une comparaison chiffrée
« As-tu pensé à compter le savon (production et transport) avec lequel tu laves les couverts réutilisables, avant de dire que c'est mieux que les couverts jetables en plastique ? »
Oui, certes, l'écologie a bien des bases scientifiques mais des fois il faut savoir prendre un peu de recul (et non, je ne remplis pas l'évier pour laver une seule cuillère, ton calcul n'est pas au point). Des fois les ACV vont jusqu'à inventer des comportements écolos incohérents pour pouvoir les stigmatiser, comme quand Sylvie Brunel s'imagine que les circuits courts et la vente directe, ce sont des automobilistes qui passent dans trois fermes différente prendre quatre yaourts, un pain et une boîte d’œufs, alors qu'on a depuis longtemps inventé la place du marché. C'est intéressant, les ACV, surtout quand on nous vend des procédés numériques soi-disant dématérialisés et écolos, mais il faut encore penser au société pour laquelle ces choix seront faits : autoritaire, libérale ou démocratique ? Et qu'est-ce que ces choix vont faire en matière de libertés ou d'inégalités socio-économiques ? C'est pour ça que sur des bases scientifiques l'écologie est devenue politique. [Edit : j'oubliais cet exemple parfait d'ACV : une femme explique qu'elle ne s'arrête jamais en voiture pour laisser passer les piéton·nes car elle devrait redémarrer et ça n'est pas écolo, ben tiens, sans penser que cette priorité accordée au moyen de transport le plus inefficace et polluant l'encourage et contribue à sa prolifération.]
Le pro-capitaliste
« On doit au capitalisme une espérance de vie et un bien-être jamais vus dans l'histoire de l'humanité. Et il y a des écolos qui continuent à critiquer. Faites un peu confiance ! »
L'espérance de vie est en baisse dans les pays riches (en particulier l'espérance de vie en bonne santé) et les désordres climatiques sont en train de s'attaquer à notre bien-être (réfugiés climatiques, rendements agricoles en baisse, canicules et autres épisodes climatiques). Le capitalisme tente de se verdir pour s'adapter mais la course aux gains de productivité et aux parts de marché ruine ces efforts, sincères ou non. Nous n'avons simplement pas les mêmes valeurs et puisque l'environnement est un bien commun, l'intérêt privé consistera toujours en sa prédation plutôt qu'en sa protection.
Privatiser ce bien commun ? Même pas, le marché des droits à polluer a été un échec. Produire plus mais mieux ? Les quelques innovations techniques qui rendent des procédés plus efficaces entraînent des effets rebonds qui font qu'au final, puisque moins de ressources sont utilisées par item, on va en utiliser plus en multipliant le nombre d'items produits. L'automatisation remplace le travail humain pour augmenter son taux de profit mais cette automatisation tient à du matériel gourmand en ressources minières, en eau grise et en énergie dépensée à opérer les machines en question. Le libre-échange, dont on vient de voir le triomphe ces dernières semaines avec la signature des traités avec le Canada et le Mercosur (parallèlement à des déclarations d'intention très écologistes), consiste principalement à faire faire aux marchandises des milliers de kilomètres pour profiter de prix de production à peine moins élevés ailleurs mais c'est toujours ça de pris. Et à se priver d'une consommation plus proche du lieu de production.
Et en échange, le capitalisme fait des petits gestes indignes d'une famille de bobos zéro déchets. Au mieux, le capitalisme est à encadrer (et d'aucun·es disent : à détruire). Dans « Leur écologie et la nôtre », le texte dont je cite ici le titre, André Gorz explique l'incompatibilité fondamentale entre capitalisme et écologie. Peter Dauvergne, dans le livre de sciences sociales qu'il publie aux presses du MIT, s'attache à montrer que la montée en puissance d'un « environnementalisme des riches » (des acteurs capitalistes, des pays riches et des classes aisées) ne réglera aucun problème environnemental. On en reparlera.
Non, toutes les démarches écolos ne se valent pas. Celles et ceux qui découvrent enfin l'écologie (alors que le premier rapport de la CIA sur comment faire pour que le changement climatique ne perturbe en rien l'ordre mondial date de 2003, que les premières conférences internationales sur l'environnement datent de 1972 et que les premiers textes écolos modernes datent des années 1930) ont envie de sauvegarder à tout prix leur organisation sociale, leur mode de vie, leurs privilèges pour que rien ne change. Ils n'ont rien à nous apprendre et n'ont rien à nous proposer. Nous avons peut-être besoin de cultiver un peu plus d'indulgence les un·es envers les autres mais nous avons aussi besoin de savoir qui nous sommes. Et l'écologie n'est pas l'administration du désastre (2) dans un monde où les dernières prédations s'opèrent avec la dernière violence, c'est une manière de tâtonner pour que la vie sur cette planète reste la plus humaine possible.
(1) Par exemple, en matière de violence, certain·es refusent à tout prix d'attaquer des biens ou des personnes tandis que d'autres y voient un mode d'action super efficace. La coexistence entre les deux est quasiment impossible en manif, vu la répression policière désormais non-ciblée, mais certaines manifestations sont menées de manière non-violente et elles ont l'avantage de réunir des personnes différentes (de tous âges et de toutes conditions physiques), d'interpeller un public différent et, quand elles sont réprimées comme celle d'Extinction Rebellion sur le pont de Sully début juillet à Paris, elles offrent un contre-point intéressant au récit du pouvoir selon lequel il faut réprimer les manifs dans la violence pour venger les vitrines. Même en l'absence de vitrines cassées, la police gaze les personnes qui entendent utiliser leur droit de manifester et nous ne pourrions pas le prouver si toutes les manifs cassaient les vitrines.
(2) René Riesel et Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Encyclopédie des Nuisances, 2008.
Commentaires
J'ajouterais au bilan global du capitalisme qu'il a accompagné ces deux derniers siècles un accroissement indiscutable du nombre total d'humains mal nourris: ils sont environ 1 milliard en 2019, ce qui correspond à peu près au nombre total des Terriens en 1819.Peut-on sérieusement prétendre qu'ils étaient tous -ou du moins en très grande majorité- sous alimentés?
Et sur les capacités d'une agriculture durable, soit bio, à nous nourrir tou·tes, voir le propos de Jacques Caplat. Cette agriculture bio n'est pas l'agriculture de papi en 1819, elle est beaucoup plus technique. La faim dans le monde n'est pas due à un déficit de production, on produit 300 kg/an/personne d'équivalent céréales alors qu'il en faudrait 200 (je le cite, allez regarder ça).
Bonjour,
Merci pour cet article extrêmement intéressant et, malgré la gravité du propos, troussé avec légèreté. Votre blog figurera désormais dans mes favoris. Si je peux me permettre une critique, je regrette seulement que la mise en page ne soit pas à la hauteur du contenu (mine de rien, je suis sûr que ce pavé de texte strict et imposant rebute des lecteurs potentiels).
Bien cordialement.
Bonjour,
Merci pour cet article très intéressant. À la lecture de l'article, je me suis mis à penser à un livre pertinent qui pourrait passer hors sujet quant à votre article. Toutefois, je pense qu'il est d'une importance cruciale. Il n'est toujours pas sortie de son cocon académique ("activist science" & "participatory action research") et mériterait une lecture, des réflexions et des critiques de la part des militants écologistes.
Je parle du livre "Epistemologies du Sud" de Boaventura de Sousa Santos (Editions Desclée De Brouwer). À noter la pudibonderie de l'éditeur qui sous-titre le livre "Mouvements Citoyens et Polémique sur la science" alors que le sous-titre original, en anglais, est "Justice against Epistemicide" [Justice contre l'Epistemicide].
C'est un livre incisif sur la relation entre la pensé/philosophie et l'activisme/militantisme occidental (entre autres) qui je pense est très révélateur en ce qui concerne le militantisme écologique européen.
Si vous ne l'avez pas lu, je vous y invite. Si vous l'avez lu, je serais très intéressé de savoir ce que vous en pensez.
Amicalement.
Pas encore lu mais ça a l'air intéressant. En Malaisie je vois beaucoup l'écologie comme un truc de classes aisées qui reprennent des modèles occidentaux : zero waste, on refuse la paille dans son verre et on a trois plants sur le balcon et à part ça la clim à fond dans la Honda. J'ai l'impression que ça marche mieux que l'environnementalisme historique, lui aussi importé de l'Ouest et d'origine coloniale (c'est l'histoire de la Malaysian Nature Society, qui fait du bon travail mais a été fondée par des colons désireux de se garder des réserves de chasse pour tuer de beaux tigres !). J'ai l'impression que nulle part ailleurs les classes populaires ne sont aussi éloignées de l'écologie... ou alors les très pauvres, les autochtones qui essaient d'empêcher à tout prix la déforestation sur leurs terres coutumières.
Merci pour les compliments ! J'essaie de faire des paragraphes pour aérer un peu tout ça mais pas réussi à découper plus. Quant à mettre des illustrations, je ne le fais que quand ça me semble indispensable mais c'est vrai que ce blog n'est pas la fête de l'icono... Pourrait mieux faire !
ello world...
bon, vous dites dans votre commentaire n°6 "... ou alors les très pauvres...", en plus, si j'ai bien compris, vous faites une observations en malaisie...
or, à votre lecture je me faisais une remarque du même ordre, mais autour de moi, localement, dans une cambrousse française... avc quelques nuances voire différences...
Il me semble que l'on n'est pas "forcément" proche ou éloigné de l'écologie, quelque soit notre classe sociale et économique. mais on vit dans un système à la fois matériel, économique, et de représentations sociales, ainsi que de dé-symbolisation pschanalytique, induisant qu'on soit dépendant de la référence consummériste du système.
Cette référenciation induit que selon nos moyens économiques on s'y adapte de diverses façons, névrotiques en premier, de rejet ou d'indifférence à l'égard des "objets-pouvoir" du système. il vient que d'une part on "consomme" moins, qu'on sélectionne plus, on semble tendre vers le "mauvais consommateur, c'est à dire le consommateur rationnel.
Mais, on développe aussi une autre conomie de désir, tendant à devenir "indifférent", c'est à dire de se couper aussi de l'opposition et du rejet, des objets de désir imposé par le système.
ça induit une sorte d'affctivité "vide", quasi dépressive à l'égard du monde-système en tant qu'objet de désir.
On ne désire plus les objets du système.
donc, par conséquence, il est très possible que, pauvres ou dépressifs, réels ou apparents, on se rapproche sans intention définie, d'un idéal écologiste du fait que consommant moins, il soit probable que notre "empreinte carbone" soit moindre par exemple.
une autre défense névrotique peut être celle de s'accrocher à des éléments vus comme passéïste par le système, comme par exemple, une forêt, un mode d'agriculture locale,... je vois ça comme le retour à de racines structurantes, ayant fait leurs "preuves" face à ce qui se "prouve" comme, non seulement inateignable par nos moyens, mais participant de ce qui détruit, fait disparaître ce qui faisait nos "métiers", et plus encore, faisant preuve d'absence de durabilité, donc de stabilité, donc preuve de potentiel anxiogêne, parce que preuve de non structuration symbolique, de dé-liaison à l'autre, de dé-humanisation. curieusement, on tend à prendre le risque de retourner aussi à des fixismes sociaux, traditionalismes : or, comme cela se fait aussi sur fond souvent "populiste", certaines procédures d'attribution de rôles et d'identification sociales et subjectives "remontent" vite,... machisme, virilisme...
pas facile tout ça...
L'article est très intéressant. Merci. Mais je suis dubitative quant à la fin sur la violence en manif... D'une part, il n'est pas très honnête de votre part d'opposer ceux qui se refusent à la violence envers les personnes et les biens matériels à d'autres qui seraient eux et elles supposés ne pas la refuser. C habile, mais faux. Les Black blocks pour ne citer qu'eux se refusent à toute violence contre les personnes. La violence durant les manifs de ces derniers mois qui s'est exercée contre les manifestant.e.s, et qui a entraîné la mort de Madame Redouane et nombre de blessures graves a été le fait de la police. Il y a bien eu quelques molestages de journalistes et de policiers, mais aucun avec un tel niveau de gravité.
Si vous avez participé à des manifestations, vous n'êtes pas sans savoir que beaucoup de personnes sont venues sans intention violente et même un certain nombre avec des convictions non violentes. Mais leur opinion a évolué et pas du fait des autres manifestants et manifestantes mais du fait de la situation elle-même.
Le spectaculaire que vous prônez reste du spectacle avec tout ce que cela peut avoir de performatif. On a vu, on s'indigne, et on retourne manger ses chips bio et boire sa bière itou. Le Pont Sully n'a strictement rien changé, pas plus que la mort de Steve Maia Caniço ou les images des policiers gazant des enfants dans un square.
De plus, je trouve courageux de votre part de dire qu'il faut séparer les manifs qui peuvent comporter des violences de celles qui n'en comportent pas. Ainsi, les policiers sauront quand et sur qui tirer sans trop choquer l'opinion publique. C probablement parce qu'il y a eu mélanges des actions et des gens qu'il n'y a pas eu plus de morts et de mortes.
Il y a des attaques contre les personnes : la voiture de police brûlée en 2016, je pense aussi à la lutte armée en Europe il y a quelques décennies. Je n'ai pas d'opposition de principe. Mais ce n'est pas mon mode d'action et comme beaucoup je me retrouve à servir de rangs dans lesquels se noient des militant·es plus violent·es que moi. Je n'apprécie ni d'être instrumentalisée par eux ni le simulacre de maintien de l'ordre (en vrai une répression non ciblée de la police) et d'être prise entre le marteau et l'enclume. Le résultat, c'est que je ne vais plus en manif (notamment parce que j'ai peur) et que je revendique le fait pour moi et d'autres de chercher d'autres modes d'action. C'est pas vraiment un truc super stratégique et politique, c'est ma relation tripale à la violence physique que je risque de subir. Non je ne cours pas aussi vite que vous, non je ne fais pas de boxe avec vous, j'ai une autre relation à mon corps que vous, j'ai une autre relation à la violence (je suis colérique), j'ajuste mon action à mes possibilités et j'en ai marre que vous me disiez quoi faire à mes risques et périls.
Sur le plan stratégique, je ne suis pas sûre que la violence en manif, même si elle est symbolique (les biens visés sont ceux de l'État et de banques, d'agences immobilières), soit autre chose qu'un gros trip romantique de la petite bourgeoisie anarchisante, jeune et valide (il y a dix ans en Grèce j'avais déjà l'impression d'assister à un spectacle bien rodé). Elle est incomprise de la plus grande part de la population à laquelle on peut donc servir que les manifestant·es pas préparé·es pour la violence, les passant·es et les journalistes qui se prennent les violences policières, c'est normal vu le danger que tout ce monde représente. L'indifférence du public, son ignorance du fonctionnement de la répression et sa crédulité face aux justifications de maintien de l'ordre, elle fonctionne parce que les manifs sont devenues violentes (minorité violente et majorité qui sert de camouflage, qu'elle le veuille ou pas). Elle fonctionne même avec Steve qui faisait seulement la fête, avec Z. Redouane, avec des manifestant·es âgé·es ou en fauteuil roulant, des passant·es, soit de personnes qui n'étaient pas dans la confrontation et ont été victimes de violences policières et de répression sans avoir constitué ce fameux danger monté en épingle.
Moi ça m'inquiète, qu'une partie du public se désolidarise (je n'irais pas courir derrière celle bourgeoise de droite qui est une ennemie, je pense aux autres, mal informées, peu sensibilisées) et qu'on fonctionne en vase clos avec celles et ceux qui comprennent cette violence (son caractère symbolique, sa légitimité) et les autres qui n'y comprennent plus rien et qui sans faire le fan-club de Castaner ne s'indignent pas trop, qui la regardent en se disant que c'est bien fait, une poubelle cramée par ton voisin en manif = un tir de LDB pour toi, qui s'habituent au spectacle de la justice expéditive et de la répression.
Je pense qu'il faudrait soigner un peu mieux le terreau de nos luttes, toutes les classes sociales qui n'ont aucun intérêt à cet ordre du monde et qui pourtant ne comprennent pas les stratégies violentes. Je pense aussi que des modes de violence moins symboliques et mieux ciblés, y compris le sabotage et d'autres qui ne sont encore que des pistes (et que je ne vais pas livrer ici) pourraient contribuer à cette rencontre mieux que les mises en scène actuelles. Une des raisons pour lesquelles je n'ai pas encore écrit sur ça, c'est que je ne suis pas sûre de ce que j'avance, que depuis que j'ai quitté Lille je suis un peu désocialisée, que j'attends encore de frotter mes idées à d'autres pour écrire sur ça. Mais une chose est sûre : on doit avoir le droit d'utiliser l'espace public pour des manifs qui correspondent à nos stratégies, nos possibilités, et que ce ne soient pas toutes les mêmes.
ello, Aude
vous dites "Non je ne cours pas aussi vite que vous, non je ne fais pas de boxe avec vous, j'ai une autre relation à mon corps que vous, j'ai une autre relation à la violence (je suis colérique), j'ajuste mon action à mes possibilités et j'en ai marre que vous me disiez quoi faire à mes risques et périls."
et là dedans, il me semble que le point central est cette "autre relation à mon corps" qui induit, par la suite autant le caractère colèrique que les stratégies...
ça induit la relation au corps de l'autre, et donc, l'expression de la relation à l'autre, donc, celle du "désir"...
ce que je me demande, me suis demandé lors de mes rares expériences de participation à des manifestations, (lors desquelles là où j'étais en tout cas, il n'y a pas eu de "violence"), c'est qu'elle "sorte" de relation à l'autre, ou d'inspiration, ou désir, s'exprime chez les personnes montrant un "quelque chose de violent", et pas "colérique", qui pourrait bien tourner à de la violence, c'est à dire en l'occurrence de l'agression, dirigée, symboliquement ou pas sur des "cibles".
et là aussi, je pense qu'il y ait dans ces expressions de violences un romantisme petit-bourgeois... avec lequel je n'ai nul désir de négocier.
C'est que je pense que nos stratégies ne sont pas uniquement rationnelles et plutôt mues par nos manières d'être. Que soit nos manières d'être vont (quelle coïncidence) bien avec nos stratégies, soit on adapte nos stratégies à nos penchants en prétendant avoir été très rationnel·les et altruistes.