Athènes en décembre

Texte paru dans Karpouzi-info n°5

Depuis mon arrivée fin octobre à Athènes, j'entendais parler du 6 décembre, qui commémorerait le décès d'Alexis Grigoropoulos, un ado tué par la police en 2008, et serait suivi de jours (semaines ?) de rébellion anti-capitaliste et/ou anti-autoritaire. Nous y sommes. Et l'attente n'est pas déçue.

Ça commence en fin de matinée dans le centre, l'Athènes des institutions, de la Bibliothèque nationale rue Panepistimiou au Parlement place Syntagma (de la Constitution) et retour, un circuit complet qui nous ramènera au point de départ, un peu crevé-e-s et ému-e-s. Les services d'ordre gueulent des slogans et encadrent leurs sympathisant-e-s par des matraques/hampes de drapeaux mises bout à bout en une barrière serrée. Entre ces blocs de partis, reste quand même tout un peuple de désorganisé-e-s. Sur les côtés, ceux qu'on englobe sous le nom d'anarchistes, des casseurs très politisés et prêts à en découdre, qui font tomber les fenêtres des grands magasins dans un vacarme impressionnant, ou jettent des pierres sur les groupes de flics en kaki, et reviennent se cacher parmi les (autres) manifestant-e-s. Parfois un petit instant de panique et un mouvement de foule, on comprend qu'il y a eu une charge de la police, et ça s'éteint vite.

Tout le monde est habitué, la pièce est rodée. Elle peut changer d'un jour sur l'autre : dimanche rassemblait un public large, lundi a commencé avec les lycéen-ne-s, rejoint-e-s plus tard par des étudiant-e-s et des militant-e-s jeunes ou plus âgé-e-s. Rares sont les groupes qui refusent clairement la violence, tout le monde s'est résigné à s'enduire de Malox avant chaque représentation (un liquide crayeux qui protège la peau et laisse des taches blanches sur le visage, les vêtements ou le bitume) ou à venir avec son masque chirurgical ou son foulard imbibé. Dames d'un certain âge comprises, qui partagent le costume ou le maquillage des jeunes énervé-e-s. Les gaz d'ici ne s'attaquent pas tant aux yeux qu'à la peau du visage et à la bouche, qui brûlent... pas mal. On me parle ici en rigolant des lacrymos de Sarko testés à Strasbourg, et de l'immunité conquise par les participant-e-s aux émeutes et manifs de « décembre ». Je n'aurai pas le plaisir d'essayer, les stocks israéliens des années 70 ont été épuisés et renouvelés.

Plus tard dans la journée, la scène se déplace vers Exarhia, le quartier derrière l'université, rendez-vous des amoureux des livres, des junkies, des étudiant-e-s et des anars. Quartier apprécié pour ses tavernes ou rendez-vous militant, on s'y sent vite bien, même s'il est entouré par des groupes de flics casqués et bottés, toute la journée, depuis des mois. Les affrontements y sont très localisés, et pendant ces soirées de décembre 2009 le quartier continue à vivre, au ralenti. Les rues sont encore accessibles aux piéton-ne-s sans trop de danger, comme celle où se trouve la plaque en hommage à Alexis, et autour de laquelle on vient se recueillir et poser des gerbes. Quelques rues plus loin, un dialogue bruyant a lieu à coup de poubelles renversées ou brûlées (ça tombe bien, on est en pleine grève des éboueurs), de bombes de gaz ou de coups de matraques. Pas encore vu de voiture brûlée, est-ce un objet trop emblématique du mode de vie athénien ? Difficile ici de décrire la répression qui s'abat sur les émeutiers quand on n'y est pas confronté et qu'on regarde tout ça du haut de la colline qui surplombe le quartier. Les spots sont rivés sur la rue, pas sur les commissariats.

A côté de la relative complaisance qui accompagne l'usage de la violence dans les manifs grecques, la position pacifiste du parti « vert écologiste » suscite un peu de mépris. Parce qu'il s'accompagne d'une très faible présence dans le mouvement social grec, comme me l'explique Orestes, ancien de Chiche ! Toulouse. Passons sur les questions de l'engagement plus désinvolte que chez les gauchos, de l'institutionnalisation, et sur une comparaison avec les Verts françai-se-s... La société grecque est décidément plus auto et macho qu'écolo, comment voulez-vous. C'est aussi bien le cœur de la question environnementale que la non-violence, qui y est étroitement attachée, qui sont mal perçues ou mal prises en compte ici. Le romantisme de la révolte, façon Gaza du dimanche, fait meilleure recette, et les enfants des quinquas écolos s'enrôlent dans les partis trostkos et maos, dont on sent bien la pêche. Ça donne plus envie qu'une conférence sur les semences paysannes...

La nuit tombe vite, les affrontements continuent sous le bruit de l'hélico au-dessus d'Exarhia, mais le lendemain tout est calme, les voitures reprennent la rue et les poubelles (toujours débordantes) leur place à côté des trottoirs. Retour vers midi au point de départ, et c'est reparti pour un tour. C'est exaltant, impressionnant, mais à tourner entre Panepistimiou et Syntagma, ne finit-on jamais par se lasser ?

Athenes__7_decembre.jpg

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