Twitter rend-il bête et méchant·e ?

Il y a quelques mois je me suis inscrite sur Twitter, mue par diverses motivations. La première était bassement intéressée, il s'agissait de promouvoir les deux ouvrages que je venais ou m’apprêtais à publier. La seconde était que j’avais déjà tweeté pour de basses raisons mercenaires et que je n’étais pas contre l’idée de refaire ça un jour, il ne fallait pas trop perdre la main. La plus excitante était de m’habituer à écrire en deux cent et quelques signes, une écriture concise mais qui aurait quand même un peu de sens, soit un petit défi. Et enfin je venais de quitter un réseau social beaucoup trop intéressant : les discussions avec le cercle d’habitué·es avec qui j’avais pris l’habitude d’interagir me prenaient trop de temps. Sans surprise, j’ai aussi perdu beaucoup de temps chaque matin sur Twitter en attendant que se réveillent mes fonctions physiologiques (il m’est même arrivé de ne pas résister à l’envie d’y faire un tour en journée ou – pire – en soirée). Beaucoup trop de temps pour que j’explore avec l’attention nécessaire les pages vers lesquelles menaient les post sur lesquels je tombais. C’est dommage, c’est un peu tout l’intérêt de la chose. C’est grâce à un lien posté sur Twitter que j’ai appris la proportion de liens likés qui étaient effectivement lus : un rappel de la nécessité de soigner ses titres pour faire grossir le nombre du dixième d'égaré·es qui aurait eu l’idée saugrenue d’aller lire (ou commencer à survoler) le texte pour lequel ils et elles affirment si fort leur intérêt, se mettant au fond en scène likant un titre pour son humour ou son adhésion aux même valeurs qu’eux et elles.

Ta mère en vitrine

Car être sur Twitter, c’est surtout paraître. Je m’y étais préparée, choisissant une photo de moi souriante et juvénile, datant pile d’un an plus tôt, devant le fugu géant qui symbolise les soirées d’Osaka. Mais comme je suis écolo, ma photo de couverture était celle d’un sous-bois moussu appelant à la cueillette des champignons à la fin d’un été norvégien. Bonne vivante et cosmopolite, j’espérais ne pas avoir l’air trop nul devant les beautiful people du réseau. La barre était haute : chacun·e se montre dans une position très avantageuse, menant une vie passionnante, mettant les rieurs de son côté dans une lutte de chaque jour contre la bêtise des grands de ce monde, rappelant avec force ses convictions humanistes ou franchement subversives, se montrant tantôt sarcastique et tantôt généreux/se de son savoir. Et puis il y a les autres… S’il est un défaut que Twitter n’a pas, c’est celui de cultiver l’entre-soi. Malgré tous les efforts pour maintenir chacun·e dans une bulle, ça se télescope dans les commentaires. Sincèrement, aurais-je aimé rester dans la seule compagnie de ces intellos engagé·es, de ces militant·es passionnant·es avec qui on se fait la bise dans les librairies parisiennes ? Peut-être, parce que si les « j’kiffe trop » et « ou la la on croirai pa que cé 1 Ministre » ne me dérangent pas, j’ai eu plus que ma dose de réacs violents, de fachos méchants, de bêtise crasse et brutalement exprimée.

La foire aux réacs

Les commentaires anti-zadistes qui se réclament de l’État de droit pour se réjouir d’une expulsion violente à NDDL ou Bure – alors que s’il est une leçon à prendre des luttes contre les projets d’aménagement, c’est que l’État le premier ne respecte pas les règles qu’il impose aux autres. Les propos anti-mouvement social qui encore en appellent, contre les étudiant·es occupant leur fac, au respect de la loi – alors qu’en droit, justement, l’université est ouverte à tou·tes et que le gouvernement impose une sélection illégale. Les actions de désobéissance appellent une réflexion plus exigeante sur le contre-pouvoir que ces : « Ce que vous faites est interdit alors n’importe qui a le droit de vous arracher un œil ou une main, voire de vous ôter la vie. » La peine de mort à rétablir, les exécutions extra-judiciaires qui s’imposent… Je me rappelle un compte, visiblement un vieux réac, qui félicitait un automobiliste d’avoir heurté frontalement un manifestant en forçant une barricade improvisée.

Violence de genre

Twitter n’est-il qu’une version plus grande du café du Commerce, cet endroit où on partageait généreusement son ignorance, ses coups de sang, ses piques ironiques ? Pareil, à un détail près : mes voisin·es de comptoir étaient de fièr·es anonymes (1) n’ayant de comptes à rendre à personne, sans la responsabilité de devoir se comporter civilement. Un slogan dit : « Je ne suis pas un égout séminal. » Verbal non plus, mais là encore ce sont souvent les femmes qui trinquent. La plupart des commentaires agressifs sur Internet sont adressés par des hommes à des femmes. Étant identifiée comme telle, j’ai eu mon lot de prises à partie qui commençaient par me traiter d’imbécile et d’ignorante : « N'importe quoi ! », « pauvre vieille », « va faire une màj », etc. J’ai toujours répondu sur deux niveaux : l’argumentaire (2) et mon refus de telles interactions. Ça ne marche pas mal, au point que je suis allée à la castagne quand d’autres femmes étaient insultées, pour rappeler que cette agressivité est genrée, qu'elle s’inscrit dans un continuum de violence verbale spécifiquement adressée aux femmes. Que c’est la première étape du harcèlement en ligne.

Le sarcasme à la porté de chacun·e

Et pourtant cette violence ne semble pas choquer grand monde, elle est l’un des registres acceptables de l’interaction entre êtres humains, comme si l’esprit sarcastique qui règne sur les plateaux télé avait envahi l’ensemble du corps social. Le choc des ego est aussi violent que le choc des idées. Moqueries, humiliations… beaucoup de gens cherchent à paraître fin·es aux dépens des autres, comme si descendre quelqu’un permettait d’exister, le temps d'engranger quelques likes. Comme ce type dans le métro qui prend une vidéo d’un autre pris dans une situation peu glorieuse, aux dépens de sa dignité et de son droit à l'image. Au contraire, les personnes qui m'épatent le plus dans la vie (et a fortiori sur Twitter) sont celles qui savent ne pas céder à la tentation de la domination, respecter les autres, se remettre en cause, changer de registre pour accepter une discussion honnête. C'est rarissime mais tellement plus classe et surtout beaucoup plus sage que de se payer trente secondes de kiff en essayant de m'humilier et de le payer encore le lendemain.

À quoi bon tweeter ?

Le mélange de personnes qui ne se doivent rien et ne se supportent pas, la logique de comptabilité appliquée aux comptes perso, tout ça fait un monde rude dont je ne suis pas mécontente de m’éloigner. Un monde au final insignifiant, quand telle info incontournable un jour est oubliée le lendemain, dans un défilé qui fait tourner les têtes. Le débat politique y devient un genre de divertissement et la fonction recherche ne sauve rien de la noyade dans le flux – contrairement à mon « Twitter bio » qui fournit des archives pertinentes et faciles d'accès. Laisser tomber mon compte n'est donc pas une perte. D'autant que mes tweets plafonnaient à 0,04 like de moyenne (j’y avais pourtant retrouvé un petit réseau que j’avais dans la vraie vie et réuni très vite une centaine de followers). Heureusement, tout cela ne compte guère et mes deux livres ont eu plus de succès en librairie que moi sur Twitter, ils ont ouvert des discussions plus riches, humainement et politiquement. Ce qui me rappelle mon ambition du moment : consacrer à la lecture la moitié du temps que je perdais à tweeter.


(1) J'entends bien l'intérêt d'avoir des espaces de liberté sur Internet en n'étant pas toujours identifiable par les autorités. Sauf que Twitter n'assure pas cet anonymat-là, seulement l'irresponsabilité face aux pairs.
(2) Je connais assez bien les sujets que j'aborde mais merci à Xavier d'avoir assuré la démonstration quand je me suis engagée trop vite sur une question de nucléaire.

Commentaires

1. Le mardi, 19 juin, 2018, 22h57 par Ordo Aurel

Concernant Twitter et les rezosocios d'une manière générale, n'oublions pas que nombre de personnes n'y ont pas accès et/ou n'en ont rien à cirer.

Vous évoquez les "bulles" de regroupement au sein d'un réseau social, mais là encore, le simple fait de participer à l'un de ces réseaux, c'est faire partie d'une "bulle" qui exclut de fait un grand nombre d'individus. Le nombre de comptes déclarés n'étant absolument pas conforme au nombre de comptes réellement actifs.

Ce qui explique également la sur-représentation, tout à fait déprimante, de fascistes et réactionnaires de toute sorte, professionnel-les de "l'influence" sur les réseaux.

Comme vous le soulignez bien, les véritables échanges se font en dehors, à portée... de claque. :)

Bien à vous.

2. Le mercredi, 20 juin, 2018, 08h42 par Aude

Merci pour cette invitation à prendre un peu de recul !

C'est sûrement vrai pour Twitter mais peut-être pas pour d'autres réseaux. Les Indonésien.nes, pour parler d'un pays que je connais un peu, sont à fond sur Facebook.

3. Le vendredi, 6 juillet, 2018, 11h31 par Aude

Un lien signalé par un camarade :

https://tradfem.wordpress.com/2015/02/22/le-probleme-du-twitto-feminisme-meghan-murphy/comment-page-1/

Twitter n’est pas un organe représentatif. Pourtant, nous avons l’air de croire le contraire. Twitter a tendance à amplifier certains points de vue et certaines voix et à en effacer d’autres. Soit parce que ces voix ne sont pas là, ou soit parce qu’elles ont trop peur de s’exprimer, sous peine de devenir la prochaine cible. Ça vaut le coup de réfléchir à qui est sur Twitter et qui on y entend le plus fort. Les femmes pauvres sont-elles sur Twitter ? Les personnes très occupées y sont-elles ? Est-ce que les personnes qui n’en peuvent plus d’être harcelées, intimidées et attaquées sur Twitter participent aux conversations ? Qui est là ? Qui se sent à l’aise pour y parler ? Je suis presque absolument certaine que les femmes marginalisées et qui luttent pour leur survie dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver n’alimentent pas quotidiennement le hashtag #SexWork, par exemple.

Ce n’est pas parce que vous voyez un point de vue largement partagé sur un média que cette opinion est représentative. Ou juste.


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