La Mentalité américaine
Par Aude le jeudi, 5 septembre, 2013, 10h22 - Lectures - Lien permanent
A propos de Howard Zinn, La Mentalité américaine. Au-delà de
Barack Obama, Lux, Montréal, 2009
Je m'étais promis de ne pas faire mon américaniste à deux sous, parce
qu'un billet d'avion et un permis
touristique ne sont une condition ni nécessaire ni suffisante pour
connaître une culture et gloser à son sujet. Mais le bouquin d'Howard Zinn me
permet de céder à la tentation de parler de la culture politique des USA, une
culture dont j'ai pu constater qu'elle était trop mal connue et considérée, y
compris par des visiteurs/ses plus assidu-e-s que je ne l'ai été.
Suite à l'élection de Barack Obama, qui a donné à l'Amérique un visage plus
tolérant et généreux que celui des dernières décennies, les éditions Lux
(auxquelles on doit dans la même collection L'Ordre moins le pouvoir
de Normand Baillargeon et Pour une anthropologie anarchiste de David
Graeber, deux excellents bouquins didactiques et précis) ont réuni quatre
interventions de Zinn, certaines actuelles et d'autres plus anciennes, toutes
abordant la « mentalité (politique) américaine » à travers ce geste
qu'on appelle la désobéissance civile. Comme dans sa fameuse Histoire
populaire des États-Unis, Zinn documente de nombreux recours à la
désobéissance civile, au-delà de l'emblématique nuit passée en prison par
Thoreau, particulièrement le mouvement pour les libertés civiles et
l'opposition à la guerre du Vietnam. Ils sont couronnés de succès ou réprimés,
mais tous sont inséparables d'un certain esprit américain, d'une certaine
culture politique unanimement partagée. Zinn rappelle ici que le refus d'obéir
à des lois injustes n'est pas qu'une injonction morale, mais l'un des principes
constitutionnels états-uniens... au point d'emporter plus souvent qu'on ne
l'imaginerait l'assentiment de magistrats bien capables de faire la différence
entre légalité et légitimité. Il faudrait ne pas oublier que ce principe a
figuré une seule fois dans la constitution de notre pays : en 1793, lors
d'une des pages les plus controversées de notre histoire. On se trouve ainsi
dans l'obligation de réévaluer l'histoire américaine. Certes elle est liée dès
ses premiers jours au capitalisme et à la domination économique :
planteurs, barons voleurs et cartels ont aussi fait les États-Unis. Mais la
mentalité américaine, comme l'exprime Zinn, ne leur est pas réductible, elle
est capable du meilleur comme du pire. Et pas seulement du pire, comme on se
complaît à le penser en France – un pays où le bon sens de désobéir à une
autorité injuste n'est pas aussi partagé.
Je voudrais en profiter pour soulever le même paradoxe sur un autre sujet. Les
États-Unis sont vécus comme un pays « individualiste » parce que la
protection sociale et les droits des travailleurs/ses y sont moindres. La
situation est en effet rude, et puisque quatre années ont passé depuis la
publication du bouquin de Zinn et son actualité, il n'est pas bien compliqué de
dire que l'élection d'Obama n'a pas beaucoup changé la situation des plus
pauvres aux USA : travailleurs/ses multipliant les petits boulots,
étudiant-e-s endetté-e-s, enfants pauvres, personnes âgées toujours contraintes
de bosser. Mais cela ne fait pas pour autant des USA un pays individualiste,
cela en fait un pays inégalitaire et anti-étatiste. Car à côté du refus de
protéger les plus faibles par cette structure sociale qu'on appelle l’État,
s'organisent toutes sortes d'actions collectives, autour de communautés qui ont
une base géographique, politique, religieuse, sexuelle, etc. Et chacun-e
appartient à une ou plusieurs communautés où s'exprime la solidarité. Bien
insuffisamment au regard des gratifications de notre État-Providence, mais plus
sûrement... Car nous, dans un face à face morbide avec l’État (manifs contre la
énième réforme des retraites, indignation envers l'ANI), nous ne faisons plus
que des concessions et avons abandonné les prétentions à l'auto-organisation
populaire qui ont fait les riches heures du mouvement ouvrier. Loin de moi
l'idée de saluer la qualité du sort fait aux USA aux plus fragiles, mais il
nous faudra un jour faire des bilans moins complaisants du rôle de l’État et se
rendre compte de la manière dont son existence nous a permis de déployer un
individualisme bien plus inquiétant pour l'avenir que celui dont on accuse les
États-unien-ne-s.
« L’histoire des États-Unis, rappelle Howard Zinn, a forgé des dispositions politiques qui freinent le progrès social et briment la liberté, et d’autres qui les rendent possibles. Le contexte politique actuel exige plus que jamais qu’on sache les distinguer. »