Huit semaines de plus en trop

Cela faisait huit semaines maintenant que nous étions suspendu·es à la menace d'un reconfinement. Le bon côté des choses, c'est que nous vivions dans l'angoisse depuis tout ce temps. L'autre bon côté des choses, c'est que nous sommes sur un plateau haut et que 2 000 personnes meurent chaque semaine du Covid (1). Et le pompon, c'est quand après tout ça, cette angoisse pour rien, ces morts évitables (combien sur les 16 000 de cette période ?), on apprend qu'on sera reconfiné·es et qu'on a gagné sur les deux tableaux.

Non, la vraie bonne nouvelle, c'est que cette fois nos vies sont un peu épargnées et on se rapproche de l'idée qu'on peut confiner sans attenter aussi fortement à nos libertés mais en fermant les activités et les lieux qui suscitent nos déplacements. Les confinements précédents avaient fermé les parcs et jardins urbains, ils nous laissaient prendre un bol d'air pur et de nature dans un rayon d'un kilomètre et pour une durée d'une heure, sans considération pour celles et ceux qui habitent au milieu des barres, derrière le périphérique, ou qui simplement vivent en appartement, sans jardin. Cette fois nous avons le droit de nous déplacer et de profiter de l'extérieur, charge à nous de ne pas nous entasser à l'intérieur dans des lieux privés et sans protection.

Et pour les entassements en intérieur contraints, l'école et le boulot, ça avance aussi. Le lycée est à mi-jauge, enfin, six mois après les mouvements de lycéen·nes qui le demandaient, et les activités d'extérieur seront plus nombreuses à l'école et au collège. Peut mieux faire mais on part de très, très loin. Les emplois qui ne requièrent pas de présence sur place sont censés être tenus en télétravail quatre jours par semaine. Mais puisque cet encouragement était peu contraignant, quelles mesures de rétorsion contre les trous du cul de patrons qui vous feront venir malgré tout et ne rendront pas obligatoire le port du masque ?

Côté culture sanitaire, la fabrique de l'ignorance recule. Le gouvernement semble même avoir enfin reconnu l'intérêt des activités d'extérieur pour la réduction des risques, et pas seulement pour notre bonne santé générale, qui contribue à notre résistance au virus. Bientôt peut-être l'aérosolisation (la diffusion du virus par les aérosols légers qui stagnent dans une atmosphère confinée) sera-t-elle communément comprise et personne ne nous servira plus de « oui on était dix mais c'était un dîner de travail et les chaises étaient écartées » ? Peut-être même qu'on pratiquera communément l'aération des locaux, complément indispensable au masque ? J'ose même espérer que le masque ne sera un jour plus obligatoire là où il n'est pas nécessaire (en plein air, hors rassemblements) et que le relâchement se fera en extérieur plutôt qu'en intérieur.

Mais c'est peu de dire que ces mesures arrivent trop tard.

Ce retard pris, ce ne sont pas seulement des morts et des Covid longs évitables, des dizaines de milliers de personnes à pleurer…

Ce retard est regrettable parce que le confinement du printemps, cette restriction des libertés d'aller et de venir qui était une solution de dernier recours, que nous avons payée si cher individuellement et collectivement… nous n'avons pas capitalisé dessus, nous n'en avons rien fait. Contrairement aux pays qui ont tenu une stratégie zéro Covid, où aujourd'hui on vit mieux et où les difficultés économiques sont moindres (2).

Pas seulement parce que les mesures prises lors du déconfinement puis cet automne ont été inefficaces, illisibles, inéquitables et donc incompréhensibles et impropres à susciter l'adhésion. Je rappelle l'obligation du masque dans les transports mais pas dans les autres lieux publics clos jusque fin juillet et les cinémas jusque fin août… On peut parler de « Gaulois réfractaires » et mettre l'irrespect des consignes sanitaires sur le compte de « les gens » mais quand ces consignes sont inadaptées, changeantes, mal expliquées (y compris à celles et ceux qui ont le plus de difficultés pour les comprendre), il faut remettre en cause les leaders autocrates qui ont refusé toute démocratie sanitaire. Nous sommes rincé·es, en colère et notre adhésion est maintenant beaucoup trop faible.

Ce retard pris, c'est aussi une latitude donnée au virus pour muter et multiplier et mettre ainsi en danger nos futures stratégies sanitaires – et celles du reste du monde, y compris les pays plus pauvres et les pays zéro Covid qui ont fait leur boulot. Imaginons que le virus circule très peu dans le monde entier, car il aurait été combattu partout avec application, sauf dans le Brésil de Bolsonaro, et qu'aujourd'hui arrive un variant brésilien. Voilà le cadeau que la France et l'Europe font au reste du monde. Comme une hydre de Lerne dont on aurait paresseusement coupé une tête après l'autre plutôt que de l'abattre d'un coup. Nous voyons donc débarquer le variant indétectable dans le nez, le variant qui résiste au vaccin…

Il est fort probable que Macron ne reçoive jamais le prix Nobel de médecine qui récompenserait ses studieux travaux pour devenir en six mois épidémiologiste et virologue, lui à qui on demandait seulement de mettre en place des instances de concertation entre savant·es, soignant·es et société civile, entre nos intérêts divergents, immédiats et de long terme, économiques et sanitaires. Il n'ose même plus nous regarder dans les yeux à 20 h. Je sais que le « bug humain » consiste à vouloir tout, tout de suite sans penser à l'avenir mais non, nous ne sommes pas si demeuré·es qu'il lui ait été nécessaire de nous flatter aussi bassement en laissant filer la pandémie pendant huit semaines de plus. Outre que c'est une stratégie toxique, ça commence à être insultant, à force.

(1) Un petit mot pour les écologistes radicaux/ales qui notent la faible « dangerosité » du Covid. Avec 90 000 morts, cette maladie a tué en France en un an presque deux fois plus de monde que la pollution de l'air (48 000 morts chaque année). Sans compter la surmortalité non-Covid attribuable au désespoir des ancien·nes, aux défauts de soins, à la pauvreté et aux difficultés psychologiques. En quoi la souffrance de la maladie et la douleur des proches sont-elles moins graves pour le Covid que pour les maladies dues à la pollution de l'air ?
(2) Je ne suis pas une apôtre du PIB mais la tropicalisation de l'Europe, globalement appauvrie et où les inégalités économiques ont explosé, au point qu'on y a couramment faim, ne constitue pas un début de décroissance. La décroissance, ce n'est pas une agriculture hyper productiviste et hyper exportatrice pendant que 15 % de la population va faire la queue pour recevoir les invendus. La décroissance, c'est une agriculture écologique, plus sobre en énergie et plus autonome, qui répond aux besoins de tou·tes d'une alimentation de qualité. Aussi la crise économique est grave en soi et la malnutrition d'une part de la population contribue à faire baisser notre résistance collective au virus.

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