Vivre avec un Covid par temps de dépression

Je suis tombée malade du Covid il y a quelques jours, avec des symptômes assez classiques et plutôt légers. Les premiers symptômes ressemblant à n’importe quelle crève, j’ai dans un premier temps pris des précautions et je ne suis allée me faire tester qu’à l’emblématique disparition de mon odorat. Et, une fois n’est pas coutume puisque d’habitude je suis plutôt un mauvais esprit, j'étais positive, donc confinée et en arrêt maladie.

Qu’avez-vous fait pour mériter ça ?

Un peu par désœuvrement et un peu par civisme, j’ai entrepris de répondre à une enquête de l’institut Pasteur qui est proposée aux personnes positives au Covid. Je réponds gentiment jusqu’aux questions sur les gestes barrière. On me demande si je me lave bien les mains et combien de fois par jour. Mes parents m’ont expliqué pourquoi se laver les mains et je fais partie de la petite moitié de gens qui se lavaient les mains en rentrant chez eux avant l’épidémie, je ne vais pas arrêter. Mais cette lubie des mains propres m’énerve autant que la contamination par aérosols est, au contraire, le parent pauvre de la communication sanitaire, on y reviendra.

Il n’est question que de moi dans les questions, si je mets bien le masque et tout et tout. Les questions sont bizarrement formulées car mon port du masque dépend aussi bien du degré d’intimité que j’ai avec les gens (ce que l’étude cherche à documenter) que de la situation dans laquelle je les vois (dehors ou dedans, obligatoire ou laissé à mon appréciation) et répondre aux questions ne fait vite plus sens. Mais surtout, au fil du questionnaire me revient cette impression désagréable de surresponsabilisation individuelle. Oui, si j’ai chopé le Covid, c’est forcément parce que je me comporte comme ci comme ça. Sauf que non, alors parlons-en.

Un cluster d’éducation populaire

J’ai été contaminée le 25 février sur mon lieu de travail. Je le sais avec précision car c’est le seul endroit où j’ai croisé des personnes dont j'ai appris plus tard qu'elles étaient positives. Et parce que je n’y vais qu’un jour par semaine, ayant imposé à mon employeur, aidée par le fait que je n’ai pas vraiment de collègue, le télétravail. Les quatre ou cinq réunions que j’ai par semaine sont désormais toutes en visio. L’association pour laquelle je travaille a pris beaucoup de précautions en annulant toute rencontre depuis octobre, malgré la moindre qualité du travail qui est accompli en ligne. Ces nécessités ne valent pas pour tout le monde puisque sur mon lieu de travail, où je suis accueillie par une autre association d’éducation populaire que celle pour laquelle je travaille, depuis la rentrée de septembre le télétravail n’a pas l’air très répandu, tout le monde est là, une quinzaine de personnes, quelque soit le jour que je choisis pour venir, sauf la responsable RH qui semble avoir négocié quelques jours.

Le port du masque dans les locaux est en outre laissé à l’appréciation de chacun·e, à son attitude devant le risque, à sa connaissance et à sa compréhension des dits risques et de leur réduction, ainsi qu’à son altruisme. Notre situation est un peu compliquée par le fait que la moitié de l’équipe vit ensemble et ne porte pas le masque à la maison, cela fait donc beaucoup moins sens de le porter au bureau et moi-même j’avoue ne le porter fréquemment que depuis le deuxième confinement. La responsable RH le porte tout le temps, le directeur jamais (il doit savoir mieux que tout le monde) et la personne avec qui je partage un bureau ce jeudi 25 février le porte d’une manière un peu particulière : jamais à son bureau mais toujours pour se déplacer dans les locaux. Cela témoigne d’une grande ignorance concernant les modes de transmission, en particulier le fait que le virus ne circule pas seulement dans les gouttelettes (qui ne résistent pas à la distanciation) mais aussi dans les aérosols, qui sont plus fins, se diffusent dans toute la pièce et imposent donc, en plus de l'usage continu du masque, d’aérer autant que possible les lieux clos partagés.

Cette ignorance est assez commune, je vois beaucoup de gens ne porter le masque qu’en présence rapprochée d’autres personnes : le vendeur du magasin bio, la libraire, les collègues d'une copine n’ont visiblement pas compris le principe de l’accumulation du virus dans l’air confiné. Et pour les derniers, les pauvres ne peuvent pas aérer (c'est un bâtiment d'architecte très moderne et très prestigieux) alors que c’est un complément indispensable à l’usage du masque. Bon courage ! Quant à moi j’ai beaucoup aéré la pièce où je travaille et le 25 je me promettais de le faire encore plus, vu l’absence de masque de la personne en face de moi, mais j’en ai eu marre. Marre de jouer les Cassandre, les meufs flippées ou flippantes, les personnes qui ne savent pas profiter du plaisir d’être… au boulot. Marre d’imposer le bruit de la rue et un inconfort thermique passager à des personnes qui ne comprennent pas mon geste, ont peut-être entendu les annonces à la radio qui disent qu’il faut le faire mais n'expliquent pas pourquoi. Je ne saurais leur en vouloir puisque mon kiné m’expliquait encore le mois dernier les gestes barrière version printemps 2020, alors déjà en retard sur l’état des savoirs, et passait sous silence la contamination par les aérosols (lire à ce sujet Christian Lehmann, souvent cité ici, sur la préférence gouvernementale très idéologique pour la contamination par les surfaces, un peu comme le nuage de Tchernobyl était tenu de s’arrêter aux frontières).

Côté éducation populaire, ni l’association qui peine à protéger ses salarié·es et les salarié·es de ses locataires, ni la communication sanitaire du gouvernement n’assurent. On nage encore en pleine ignorance, incapables de se protéger collectivement avec des gestes compris et acceptés de tou·tes – en commençant par les responsables.

C’est vraiment la faute à pas de chance si j’ai été contaminée ce jour-là.

Et ce sera encore la faute à pas de chance si mes autres ami·es exposé·es au risque au travail dans des conditions proches de celles que je décris ici sont aussi contaminé·es.

« Suite à notre conversation téléphonique »

Et puis tout est à l’unisson, c’est ça qui est bien. Une fois mon cas rapporté, l’Assurance maladie doit m’appeler pour régler de menus détails : vérifier que j’ai bien compris tout ce que je dois savoir, m’informer de ma date de sortie, me demander les coordonnées de mes cas contact (tout le monde est prévenu et d’accord), vérifier que mon confinement n’est pas compliqué par des facteurs matériels, sociaux ou médicaux. Que j’ai des proches assez sympa pour m’approvisionner en produits frais, par exemple (c’est bon, merci pour les nombreuses offres !).

J’ai une affection longue durée qui complique un tout petit peu mon isolement, je souffre d’une grave dépression. Et j’ai peut-être besoin d’un peu de soutien spécifique.

Aussi reçois-je donc, trois jours après mes résultats, un lien vers une plateforme en ligne sur laquelle je trouverai un pdf qui « suite à notre conversation téléphonique » (qui n’a pas eu lieu, menteurs) m’expliquera la situation. Je n’ai reçu aucun des six appels qui m'ont été adressés car mon numéro a été mal recopié par le labo, mon médecin qui a vu l’erreur n’était pas qualifié pour la corriger sur la plateforme et on ne m’a envoyé aucun mail me demandant de confirmer mon numéro. Mon jour de sortie a été fixé dans l’ignorance du jour du début de symptômes, à partir du jour de mon test (comme les personnes asymptomatiques) plutôt qu’en demandant à mon médecin qui avait lui aussi cette information, et je dois appeler pour remettre en cause ce choix arbitraire. La personne de la « brigade » que j’ai au téléphone m’explique que les médecins sont écartés du dispositif car il vaut mieux voir tout directement avec moi (1), change ma date de sortie puis me demande pardon.

Mais c’est l’« effet apéro » qui serait responsable du niveau top 20 mondial de la pandémie dans ce pays. Ce serait l'effet profiter d'un rayon de soleil pour se retrouver dehors, dans des conditions plus sûres qu'en intérieur, alors il faut vite envoyer les CRS pour les dégager. Ce serait l'effet avoir un peu de temps pour faire les courses avant de rentrer chez soi le soir. Ce n'est surtout pas en raison de l’incurie des dirigeants, petits et grands, qui organisent si mal notre protection, par ignorance, bêtise ou refus de dépenser ce qu’il faudra pour qu’on s’en sorte.

Le confinement auquel je me suis tenue pendant dix jours, dans ces conditions, est un cadeau que j'ai fait aux autres, pas aux tas de merde qui nous envoient au turbin sans protection.

Lire aussi « Vivre avec une dépression par temps de Covid ».

(1) Depuis la première vague pendant laquelle une moitié d'entre ils et elles n'avaient plus de patient·es (ni de revenu), les médecins de ville sont tenu·es à l'écart de la gestion de la pandémie. Lire à ce sujet une tribune datée d'octobre 2020.

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