Dans l’impasse, comment faire sauter les murs ?

Il est poignant de constater, alors que les colères contre la réforme des retraites restent vives, à quel point les garde-fou nous manquent. Où que l’on regarde, le pouvoir semble absolu. Une police et une gendarmerie en roue libre, à laquelle l’IGPN et l’IGGN distribuent des jokers à tour de bras, même quand les illégalismes sont avérés et dénoncés. Un Conseil constitutionnel si fragile (trop proche du pouvoir et trop peu savant en matière de droit constitutionnel) qu’il est incapable de sanctionner un usage irrégulier de procédures pensées à d’autres fins qu’une absence de majorité aux élections législatives. Un président dont l’hubris bêtasse de gamin de 15 ans premier de la classe, qui fait enfin pitié au monde entier, ne semble plus connaître aucune limite. Une Constitution depuis toujours problématique, taillée sur mesure pour des régimes autoritaires, et dont les critiques se recrutent désormais de la France insoumise au Financial Times (1). Des préfets qui tentent d’interdire des manifestations pour la seule raison qu’elles déplaisent aux puissants… Ah non, là il reste encore quelques magistrat·es réveillé·es pour retoquer leurs arrêtés, maigre consolation.

Cet affaiblissement à vue d’œil de l’état de droit n’est ni nouveau ni inattendu, il tient à l’épuisement des caractères démocratiques de ce gouvernement et de tant d’autres, incapables de modérer la violence du capital alors que sa voracité ne cesse de croître. Des partis libéraux font alliance avec ceux d’extrême droite partout en Europe et quand ils ne sont pas au gouvernement c’est leurs idées qui sont appliquées (2). Apparent paradoxe du libéralisme : celui-ci peut aussi bien se faire autoritaire.

Le mouvement social, malgré le succès des mobilisations, est dans une impasse dont les deux extrémités seraient également fermées. Car après la réforme des retraites, il faudrait subir une réforme de la Sécurité sociale puis du Code du travail, deux projets urgents sur lesquels planchent déjà les ministères. L’objectif reste le même, à peine caché et toujours inique : réduire nos rémunérations pour engraisser le capital, assurer ses super-profits, nourrir le train de vie des plus riches et leurs investissement qui seront les pollutions de demain et encore plus de profits après-demain. Après des décennies de consensus mou et de moyennisation des classes sociales qui satisfaisaient les groupes sociaux les plus larges et les mieux représentés, les conflits d’intérêt s’éclaircissent.

Devant ce spectacle navrant, la colère monte. C’est bien simple, même Pierre Rosanvallon est en colère. Et même nous qui ne sommes pas comme lui historien·nes de la démocratie voyons le pouvoir se débattre et compenser de n’importe quelle indignité sa faible légitimité, maniant d’une main l’épouvantail de la haine des minorités et de l’autre la répression et la violence. Comme de vulgaires fascistes.

Autour de moi j’observe que la violence semble pour beaucoup la seule sortie possible de l’impasse. C’est la question que se posent des dirigeants syndicaux pourtant habitués au compromis, si ce n’est à la compromission. Elle taraude même celles et ceux qui n’ont pas fait grève, qui n’ont pas manifesté, qui ne sont pas sorti·es avec leur casserole. Même celles et ceux qu’on n’imaginait pas si politisé·es commencent à se projeter dans une réponse violente à la violence qui nous est faite. Pourtant nous le savons, que si notre société sombre dans la violence, notre camp (les démocrates, modéré·es et radicaux·ales) n’est ni le mieux préparé, ni le plus vaillant, ni le plus haineux. C’est une perspective vertigineuse quand on la considère à tête reposée et c’est sûrement la dernière chose qui retient notre colère. En attendant, je rêve la nuit que les caisses de grève soient employées, comme la prime de licenciement dans le film Louise Michel (3), à mettre des contrats sur les connards qui nous gouvernent.

(1) « La France ne peut pas continuer comme cela. Il est temps d’en finir avec la Ve République, avec sa présidence toute-puissante – la plus proche dans le monde développé d’un dictateur élu – et d’inaugurer une sixième République moins autocratique. » Financial Times, cité par Martine Orange dans « La finance internationale prend ses distances avec Macron », Mediapart, 28 mars 2023. Martine Orange est par ailleurs la co-autrice d’un ouvrage qui met en lumière les origines autoritaires de cette Ve République.
(2) Dernier épisode en date, la chute de la Suède à l’automne 2022. Le gouvernement est bien composé de ministres de la droite fréquentable mais l’extrême droite n’en a été tenue éloignée que par des accords sur la politique qu’il mènera. On appréciera la nuance.
(3) Film de Gustave de Kervern et Benoît Delépine, 2008.

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