Comment peut-on être français·e ?

Il y a quelques semaines une députée du Rassemblement national, Jacqueline Eustache-Brinio, disait à propos de jeunes qui avaient pris la rue suite à l’assassinat de Nahel et au dévoilement des mensonges des policiers : « Vous allez me dire que la plupart des gens arrêtés sont français. D’accord. Mais ça ne veut plus rien dire aujourd’hui. Ils sont comment français ? » Ils sont français comme vous et moi, pourrait-on lui répliquer, soit que l’un·e de leurs parents soient français·e, soit qu’ils soient nés en France de parents étrangers, y résident habituellement et en aient fait la demande. Je ne suspecte pas la députée de l’ignorer. Que manque-t-il donc aux jeunes pour être vraiment français puisqu’ils le sont déjà ? Mystère… Si au moins Eustache-Brinio avait le courage de critiquer frontalement les lois de son pays et de proposer leur réforme on saurait s’il faut pour être français·e avoir appris par cœur la Marseillaise, avoir tel niveau d’éducation (au hasard : le sien), être macroniste, catholique ou blanc·he. Mais les racistes de la République ont cette particularité de ne pas être bien courageux et courageuses, et de manier l’hypocrisie avec un talent consommé.

En attendant, leurs hurlements sont théoriquement en contradiction avec tous les textes qui supposent l’égalité entre citoyen·nes. Si le fascisme a une particularité, c’est de s’attacher à déchirer le corps social, à monter les un·es contre les autres. Cela en fait quoi ? Des factieux, des séparatistes ? Rien de cela, ils servent à faire oublier les problèmes qui fâchent (paupérisation organisée, destruction des richesses collectives et sédition policière).

Je parlais d’hypocrisie car non seulement ces gens-là n’osent pas aller jusqu’au bout de leur pensée en proposant des statuts différenciés selon le niveau de francité (établi sur la distance d’avec un « nous autres » choisi par les classes dominantes (1)) mais ils persistent à ne pas nommer l’objet de leur haine.

Prenons les choses dans l’ordre. On pourrait donc être Français·e de première classe ou de deuxième. Ce statut a existé, il s’appelait « indigénat » (2) et il concernait les personnes des pays colonisés. C’est un statut qui a évolué puisque les Juif·ves d’Algérie ont été « indigènes » et que les habitant·es des Antilles aussi ont fini par accéder à un statut supérieur. La couleur de peau n’a pas été toujours intrinsèquement liée au statut d’indigène mais descendre des populations qui avaient encore le statut d’indigène après guerre, c’est voir sa francité déqualifiée a priori. C’est cela que les Eustache-Brinio ne cessent de dire sans le dire car leur geste de déqualification est de fait un crachat à la gueule des grands principes sous lesquels nous sommes censé·es vivre.

Beaucoup a déjà été dit sur le refus en France de produire des statistiques sur l’origine ethnique qui permettraient de mettre en lumière le traitement spécifique qui est fait aux Français·es qui ne sont pas perçu·es comme blanc·hes. Pas de chiffres (3), pas de problème. Aussi est-il assez ironique de voir le ministre de l’intérieur Darmanin-démission faire le tour des commissariats et regarder les prénoms des prévenus pour y déceler, comme dans une boule de cristal, leur fameuse origine ethnique. Après une étude approfondie, le trafiquant d’influence a fait part de ses conclusions scientifiques : « Oui, il y a des gens qui, apparemment, pourraient être issus de l’immigration. Mais il y a eu beaucoup de Kevin et de Mattéo, si je peux me permettre. » C’est bien connu, Kevin et Mattéo sont blancs (ce sont d’ailleurs les prénoms d’un joueur de basket français de Guyane, de footballeurs français d’origine marocaine, togolaise ou haïtienne).

La droite française blanche confond trop souvent l’autre avec un menu de restaurant dans lequel il serait possible et juste de choisir pile ce qu’on veut prendre. Elle prend le couscous, le rougail saucisses et le boudin antillais mais elle refuse toute autre culture que la sienne ; elle prend les colonies et leurs espaces maritimes exclusifs mais elle refuse un traitement républicain de ses habitant·es ; elle prend les travailleurs mais à condition qu’ils lui rapportent, quitte à les choisir comme un raton-laveur fait son menu dans une poubelle (il faut avoir vu ça, les ratons-laveurs ont de longs doigts experts). Elle cultive l’incohérence et le déni de ce qu’elle est : inhumaine et bête.

NB : On m’informe que Jacqueline Eustache-Brinio est en fait affiliée aux Républicains. Dont acte.
NB : Je le savais.

(1) Après le désaveu des membres du corps social sur des critères ethno-nationalistes, il faut anticiper celui qui se profile sur des critères politiques et le déni d'appartenance à la communauté fait aux personnes solidaires des Soulèvements de la Terre puis tout ce qui déplaira au gouvernement. (Tandis que les personnes qui disent « pour autant » en début de phrase ou « je vous partage ce document » garderont, elles, leur nationalité, malgré leurs attaques répétées contre mes oreilles.)
(2) C’est pour ça qu’en français on ne traduit pas indigenous ou indígenxs par indigène mais par autochtone.
(3) Sauf à de rares exceptions fortement encadrées, comme les enquêtes « Trajectoires et origines ».

PS : Pour suivre l'actualité de ce blog et vous abonner à sa lettre mensuelle, envoyez un mail vide à mensuelle-blog-ecologie-politique-subscribe@lists.riseup.net et suivez la démarche

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : https://blog.ecologie-politique.eu/trackback/440

Fil des commentaires de ce billet