Autonomie, camarade !
Par Aude le vendredi, 25 mars, 2016, 17h51 - Textes - Lien permanent
Les usages contemporains mettent en avant « une autonomie qui consiste à
donner aux individus le sens de l’initiative, tout en leur faisant porter la
responsabilité de se débrouiller "librement". […] À contre-courant donc de tout
ce qu’enseigne la philosophie politique classique [qui] considère l’autonomie
comme une liberté incarnée dans la capacité à se poser des règles, [à] savoir
limiter sa puissance »
Lou Falabrac, « Ma mairie est-elle devenue gauchiste ? Quand les élites vantent
l’autonomie », L'An 02, n°7, printemps 2015.
Lors des quelques entretiens d'embauche qu'il m'est arrivé de faire, je ne me
suis jamais présentée comme une personne « autonome ». Si la question m'est
posée, j'explique que j'apprends facilement et que je m'adapte mais
certainement pas que je me donne à moi-même ma propre loi, comme c'est le sens
du mot « autonomie ». La loi, c'est celle des recruteurs, je l'accepte parce
que ça m'arrange mais qu'ils se débrouillent avec leurs scrupules.
D'où vient qu'on est capable de demander à des gens, y compris à des gens qui ont dix ans de chômage dans la gueule, d'être « autonomes » dans un environnement pourtant traversé de contraintes ? Encore une fois, cela tient à la vision malade que nous avons de ce qui nous relie. L'interdépendance est honnie et à chacun-e de trouver des ressources en « travaillant sur soi ». Même les plus fragiles sont sommés d'être responsables et autonomes, à l'instar des personnes qui les dominent. Alors qu'il est question avec l'autonomie de se donner sa propre loi, une vision individualisante de cette notion nous force à envisager une loi qui n'est plus commune mais individuelle. Autant dire que c'est un régime, une règle qu'on s'impose comme pour obtenir un ventre plat et une santé de fer. Malheurs aux vaincus, aux pauvres qui se laisseront aller. Pendant ce temps, le monde social nous rend toujours plus hétéronomes, contraints par l'économie, des normes techniques, etc. mais nous feignons de l'ignorer en focalisant sur notre petit complexe de Robinson (1). L'injonction de tous et toutes à la même « autonomie » flatte nos ego et exacerbe la violence des rapports sociaux. Loin de constituer des bases politiques intéressantes, si l'« autonomie » n'est pas une création collective mais une qualité individuelle à mettre en avant dans les entretiens d'embauche, cela ressemble à un accompagnement de l'abjection en cours. À tout prendre, je préfère être hétéronome et savoir ce que je dois aux autres.
(1) Robinson Crusoe croit ne devoir qu'à soi-même le petit monde qu'il se construit alors qu'il est le récipiendaire de savoir-faire qui lui ont été transmis par l'éducation et qu'il fabrique sa maison et ses outils… avec les outils trouvés dans son bateau naufragé.
Commentaires
OUI ! Magnifique réflexion sur le sujet dans : "Le Paradoxe de Robinson, " de François Flahaut éditions mille et une nuits !