Condamner le viol pour renforcer la culture du viol

Ça arrive comme ça, d'un coup, et ça prend tout le monde par surprise. Alors certes il y a des secousses qui font espérer que… et puis non. Ou plus tard. Matthieu Foucher était parti « à la recherche du #MeTooGay » en septembre 2020 mais celui-ci est arrivé quatre mois plus tard, télescopant le #MeTooInceste qui venait d'exploser. Nous voilà donc scrollant les deux hashtags et likant à tour de bras, espérant signifier notre reconnaissance et donner un peu de courage à celles et ceux qui en ont déjà beaucoup. On vous croit, on est derrière vous, vous n'avez rien à vous reprocher. C'est leur faute.

Et puis régulièrement un compte masculin débarque et explique que le mieux à faire, contre les violences sexuelles, c'est de tuer, torturer, mutiler leurs auteurs. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce genre de comportement appartient pleinement à la culture du viol. Si vous aussi ça vous met mal à l'aise, c'est pour ça.

mix-viol.png, janv. 2021

Comment fait-on pour que les hommes cessent de violer ?
Thibaut : On leur coupe la bite. Résolu. Fin.

Thomas : Moi si je connais le nom des agresseurs incestueux. (Photo d'hommes opérant des mitrailleuses.)

Pierrick : J'ai été flic au tribunal. J'ai emmené devant le juge un mec de 40 ans soupçonné d'avoir violé sa nièce de 3 ans. Dans les couloirs il m'a avoué avec un sourire qu'elle a aimé. Il est malencontreusement tombé dans un escalier en colimaçon. (Ce tweet a été édité pour des raisons de compréhension… et par maniaquerie ortho-typographique.)

The King : Quand je lis toutes les horreurs sur #MeTooInceste : Nous ne pouvons pas attendre que Dieu fasse tout le travail. (Photo psychédélique d'homme menaçant en chemise d'uniforme de police, gilet pare-balles et arme à feu.)

D'abord vous aurez remarqué la délicatesse : pas un mot pour les personnes qui ont le courage de témoigner. Mais alors, si ces mecs-là ne font pas ça en pensant aux personnes qui ont subi les faits, à qui pensent-ils ? Probablement à leur gueule : se poser en chevalier blanc, en mec qui jamais oh non… c'est flatteur. C'est dégueulasse, d'instrumentaliser les malheurs des autres, mais ça paye : le policier, par exemple, a été amplement remercié sur Twitter par des personnes qui l'ont traité comme un héros et lui ont « fait des cœurs avec les mains ». C'est une partie du problème que j'ai déjà abordée ici en posant la question des gratifications recherchées par des hommes dans des postures féministes.

Ces réactions violentes témoignent aussi d'une grande ignorance. Le viol, c'est partout. Le violeur, c'est potentiellement n'importe qui. Ça n'est pas un monstre qui se repère de loin, c'est le copain qui ne se vante pas de forcer son épouse quand elle ne veut pas ; c'est le collègue qui dit après un verre que de toute façon c'est toutes des salopes, même les petites ; c'est le tas de merde qui se vante d'en choper plein alors qu'objectivement il est moche comme le cul de DSK ou de Trump. Vu la prévalence du viol dans la vie des femmes, et comme ces violences ont majoritairement lieu dans des espaces privés entre proches, ces violeurs ne sont pas quelques dizaines de monstres multi-récidivistes dont on pourrait « se débarrasser » mais des milliers de n'importe qui qu'on croise partout. Ce n'est donc pas les personnes qui sont à éliminer mais la culture qui doit changer. Les mecs qui se déchaînent contre des monstres fantasmatiques ont le droit d'ignorer ça, personne n'est tenu·e de s'intéresser à tout. Mais si on l'ignore c'est qu'on s'en fout, au fond, alors pas la peine de sortir les menaces violentes et le costume de justicier.

Croire ou faire croire que le violeur est un monstre à qui on réserve bien évidemment les pires châtiments, c'est contradictoire avec la réalité des faits : sous-déclarés, les viols ne sont pas non plus punis comme le prévoit la loi (1). 10 % des viols font l'objet de plaintes (2), et sur ces 10 %, 10 % à 20 % font l'objet d'une condamnation, avec de nombreuses requalifications de « crime » en « délit ». Pourquoi ce grand écart entre les déclarations de principe et la réalité ? Parce que LE viol, c'est horrible, tout le monde est d'accord. Mais dans la vraie vie ce n'est jamais le viol parfait, dans lequel la contrainte, le pouvoir et le refus sont des évidences pour tout le monde (3). Ce qui se passe vraiment, c'est qu'une majorité de personnes blâment les victimes, ne comprennent pas leur comportement et excusent pour x ou y raisons celui du violeur (4). Là tout de suite, « tomber » pour viol alors qu'1 à 2 % seulement des faits font l'objet de condamnations, c'est vraiment pas avoir de bol et faire partie de la mauvaise classe d'hommes (5). Alors que l'imaginaire de disponibilité sexuelle des femmes aux hommes est présent partout, dans tous les pays et tous les milieux, y compris bourgeois, intellectuels ou militants de gauche.

Les propos ultra-violents envers un violeur fantasmatique participent en fait au déni de ce qu'est le viol. Ils valorisent en outre une masculinité violente ou des actes hors-la-loi (c'est particulièrement le cas de ce policier qui se fait juge, oubliant les principes du régime politique déjà pas bien exigeant qu'il est censé servir) qui, loin d'être la solution, contribuent au problème. Qui, au fond, est un problème de toute-puissance masculine.

Merci à Noémie Renard, autrice d'En finir avec la culture du viol (Les Petits Matins, 2018), et à Valérie Rey-Robert, autrice d'Une culture du viol à la française (Libertalia, 2019), sans qui je n'aurais pu comprendre mon malaise devant ces manifestations violentes.

(1) La loi qualifie le viol de crime et prévoit de le punir de quinze ans de prison, plus quand les circonstances sont aggravantes.

(2) Éric Dupond-Moretti a été nommé ministre de la justice après avoir défendu maints violeurs en tant qu'avocat (tout le monde a droit a un procès mais il y a des avocats comme EDM qui font fructifier la culture du viol en blâmant les victimes, en suggérant que le refus d'une femme est incompréhensible, etc.). Cet été, il a demandé dans le cadre de ses fonctions comment on pouvait avoir des données sur des violences qui ne font pas l'objet de plaintes. On peut donc être avocat pénaliste puis ministre de la justice sans connaître le principe des enquêtes de victimation ? Celles-ci (comme l'Enveff, « Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France », ou l'enquête « Cadre de vie et sécurité » de l'Insee ou encore Virage, « Violences et rapports de genre », de l'Ined) sont faites dans la population générale avec des méthodes sociologiques quantitatives pour connaître la prévalence des agressions, différente du nombre de plaintes.

(3) « Dans le Val-d'Oise, une enfant de 11 ans a eu une relation sexuelle avec un inconnu de 28 ans. Elle l'a suivi, puis a subi l'acte sans protester, ce qui fait dire au parquet qu'elle était consentante. L'homme devait être jugé pour "atteinte sexuelle", et non pour viol. » Michaël Hajdenberg, « Relation sexuelle à 11 ans : le parquet de Pontoise ne poursuit pas pour viol », 25 septembre 2017.

(4) Cas d'école, cet extrait qui ironise sur une accusation de viol qui serait trop tardive : « Huit ans après une coucherie de fin de soirée, dans l'ivrognerie partagée, la fille s'estime victime d'un viol. » Tom J'aurais, l'auteur du texte, est un ami de l'accusé et il a des mots d'une belle empathie pour une seule femme dans cette histoire… l'actuelle compagne du violeur présumé. « Alors du coup », 2019, sur les meilleurs sites web. J'en parlais déjà ici à propos de la nécessité de faire mieux quand des agressions sont commises dans les milieux libertaires, notamment en ne traitant pas les gens comme des monstres.

(5) C'est l'une des raisons pour lesquelles les peines de prison ne servent à rien, ce qu'explique brillamment Gwenola Ricordeau, à qui l'on doit Pour elles toutes. Femmes contre la prison (Lux, 2019).

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : https://blog.ecologie-politique.eu/trackback/364

Fil des commentaires de ce billet