mardi, 29 novembre, 2011

Comment parle-t-on d'écologie aux enfants ?

Article paru dans Citrouille, automne 2011.

C'est peu de le dire, l'édition jeunesse sur les questions d'environnement est pléthorique, et les libraires n'en peuvent plus des Mon doudou c'est la Terre ou Je ferme le robinet qui s'entassent dans leurs rayons. Il est désormais impossible d'appréhender cette production autrement que par des coups de sonde arbitraires, mais on peut aussi s'amuser à la classer par grandes familles, selon les partis pris des auteurs.

Les classiques

C'est dans les années 1960 que Shel Silverstein et Iela Mari publient L'Arbre généreux ou La Pomme et le papillon, toujours réédités à l’École des loisirs. Si Silverstein adopte le registre sensible, Mari hésite avec une approche savante, la compréhension nourrissant l'émerveillement. Les Sciences naturelles de Tatsu Nagata (Seuil) ou des livres originaux comme le Jouets de plantes de Christine Armengaud (Plume de carotte), qui enseigne la fabrication de menus objets à partir de feuilles, fruits ou tiges, continuent cette tradition, alors que les deux approches sont maintenant le plus souvent opposées.

Les savants

Documentaires sur le cycle de l'eau, sur les animaux de la forêt tropicale... ces livres d'environnement, très bien documentés et un peu ennuyeux, sont des incontournables, apparus bien avant la vague écologiste des années 2005-2007. Ils sont aujourd'hui un peu démodés, et on trouve plus facilement des livres savants avec une dimension normative ou politique.

L'année 2010 de la biodiversité a par exemple suscité la parution d'ouvrages sur ce sujet. Le Gorille et l'orchidée (Rue du monde) vaut le coup d’œil, comme souvent chez cet éditeur, mais à mettre en valeur un par un ses animaux et plantes en danger, il s'avère incapable d'exprimer ce qu'est un écosystème, à savoir les interactions entre flore, faune, sols, climat. Sa valeur scientifique reste plus faible que celle de Petites et Grandes Histoires des animaux disparus, d'Hélène Rajcak et Damien Laverdunt (Actes Sud), qui a été élaboré en collaboration avec le Muséum national d'Histoire naturelle et explore la fiction en donnant une dimension narrative forte aux extinctions d'espèces dont on connaît l'histoire. La biodiversité c'est la vie, de Denis Cheyssoux et Frédéric Denhez (Hoëbeke), est le moins attirant des trois, avec sa présentation plutôt moche, mais c'est celui qui adopte l'approche la plus globale, en considérant les écosystèmes dans leur entier, et sans oublier la dimension sociale des dangers qu'il décrit. Ainsi la perte de biodiversité n'est pas un problème facile à résoudre avec un peu de volontarisme, mais qui a des causes socio-économiques bien ancrées et mettant en jeu de nombreux intérêts : par exemple non pas l'agriculture en général, et que voulez-vous on ne peut pas s'en passer, mais une certaine agriculture productiviste avec une farouche volonté exportatrice.

Même approche politique et globale dans le généraliste L'Environnement, de Jean-Baptiste de Panafieu (Gallimard), qui se paye le luxe d'une belle introduction, avec des partis pris forts, qui mêle approche historique et culture scientifique. Le livre contient une entrée « société de consommation » et, plutôt que de simplement stigmatiser, explique : « la société industrielle pousse les pays riches à produire et à consommer (…) toujours plus ». Avec des ambitions similaires, Environnement et écologie, de Catherine Stern (Actes Sud-Ademe), fait la part moins belle au social, mais se veut néanmoins volontariste, proposant expériences et actions concrètes qui le font pencher du côté du normatif. L’Écologie, de Stéphane Ledu (Milan) se montre résolument scientiste (« les solutions pour respecter la nature » sont uniquement techniques) et fait la morale aux jeunes consommateurs/rices avides, du haut de ses pages... en plastique.

Les politiques (et les dépolitisés)

La politique, c'est la concertation entre intérêts opposés. Si sauver la planète est un objectif consensuel, l'écologie en revanche est un sujet politique. C'est une dimension qu'on trouve peu dans les ouvrages jeunesse... comme dans les apologies de l'éco-citoyenneté à l'attention des adultes. Les conflits autour de la conciliation des intérêts, les responsabilités variées, tout cela y apparaît peu. Le très beau et très dur Quand nous aurons mangé la planète, d'Alain Serres et Silvia Bonanni (Rue du monde), construit autour d'une citation des Indiens Cree, n'explicite pas ce qui se trouve derrière le « nous » culpabilisant du titre et du texte, et comment l'être humain peut menacer d'engloutir les dernières glaces de cette banquise où il ne figure pas. Même si la biologiste et journaliste Rachel Carson est parfois citée, seul Philippe Godard fait apparaître dans Demain le monde (La Martinière) l'histoire de la pensée des relations entre sociétés et nature, à travers des théoriciens et des acteurs politiques, tandis que Le Grand Livre pour sauver la planète (Rue du monde) réduit le propos des écologistes à des « slogans ».

Les normatifs et les prétextes

Toujours avec une dimension informative forte, d'autres livres basculent franchement dans le conformisme. Il s'agit de répandre un mode de vie « éco-citoyen » basé sur quelques symboles (dont le fameux tri des déchets) sans remettre en cause ce qui fait l'essentiel de la prédation que nous exerçons sur les ressources naturelles mondiales, la mise au turbin 40h/semaine de la population adulte en vue de gagner la guerre économique. L'Ademe communique (peu) sur le fait qu'un quart seulement de notre empreinte écologique repose sur nos choix de consommation et de mode de vie, et que le reste dépend de notre organisation sociale, de notre agriculture, de notre industrie, de notre système de transports... Qu'à cela ne tienne, les jeunes générations seront éco-conformes. Les bouquins made in China de L’Élan vert disent ainsi J'éteins la lumière, Je ferme le robinet, Je trie les déchets, J'ai un sac d'école écologique, Je regarde avant de traverser et Dis bonjour à la dame (ces deux derniers n'ayant pas été consultés pour cette sélection, mais à quoi bon se priver du plaisir de les citer ?). Le monde s'y réduit à ma famille, mon école, ma rue. Rien qui fâche, et même si le livre est français, dans J'éteins la lumière les auteur-e-s n'ont pas jugé bon de faire apparaître les 17 % du nucléaire dans la listes des sources d'énergie. Les éoliennes doivent être moins anxyogènes pour les petits, mais comment éviter de parler du nucléaire à des enfants qui ont beaucoup de chances de prendre un jour l'autoroute A7 ou un train Lyon-Marseille, et de voir défiler les centrales nucléaires de Cruas et du Tricastin ? Faudra-t-il leur fermer les yeux pendant toute la durée du voyage ?

L'approche normative se rencontre aussi seule, sans valeur ajoutée savante ou sensible. Les Animaux du monde ou Le Bon Geste, de Frédérique Fraisse (Quatre Fleuves) ont le redoutable privilège d'être les seuls de la sélection à ne rien faire d'autre que la leçon. Le tout sur papier kraft, façon écolo... made in China. Malgré son ambition graphique supérieure, Range ta planète de Chacha Boudin (L'Initiale), qui mêle des visuels façon 1950's à des dessins d'enfants, ne cultive non plus aucune sensibilité particulière aux choses de la nature. Alain Chiche, dans C'est ma nature ! (Le Sorbier), ainsi que Noé Carlain et Cécile Bonbon dans Mon doudou c'est la Terre (L’Élan vert), frôlent aussi l'insignifiance.

Comme si l'écologie était une toile de fond à la mode, devant laquelle on peut dérouler toutes sortes d'histoires, déconnectées de leur arrière-fond. Le superbe pop-up Dans la forêt du paresseux, d'Anouck Boisrobert et Louis Rigaud (Hélium) met en scène la destruction d'une forêt et sa spectaculaire renaissance, plus haute et plus forte, grâce à quelques graines et un peu d'huile de coude. Mais Popforêt n'est pas Popville, et à se servir du milieu naturel comme simple thème visuel, les auteur-e-s partagent leur ignorance sur sa spécificité et sur le caractère irrémédiable de sa destruction. Optimiste ? Indifférent !

Les sensibles

Ce n'est pas le même mensonge qui est servi aux jeunes lecteurs/rices de Tuvalu, une île en tête de Barroux (Mango). On a là un vrai sujet, traité sous une forme elle aussi très belle, mais où le retournement positif de situation doit moins à l'ignorance qu'à une stratégie délibérée de laisser les enfants ignorer quelques années de plus comment les Hommes ont l'indécence de se traiter les uns les autres, ici les Néo-Zélandais en n'accordant (contrairement à ce qui est raconté dans l'album) aucun refuge aux habitant-e-s de Tuvalu submergée par l'océan. Cette stratégie pose la question : « comment parler d'écologie aux enfants, puisque nous ne parlons d'écologie et de respect de la biosphère qu'à partir du moment où la situation a fini par nous préoccuper ? » Avons-nous le droit de leur faire partager notre angoisse ? Avons-nous le droit de leur mentir, puisqu'il est avéré que nous nous mentons déjà à nous-mêmes en parlant de « développement durable » et autres oxymores, litotes et mécanismes de défense psychologiques ? Quel optimisme pouvons-nous partager avec eux : une naïveté à toute épreuve ou l'optimisme de la volonté ? Celui-ci peut passer à travers des récits de lutte, comme celle de Wangari Maathai pour replanter d'arbres le Kenya, racontée par Claire A. Nivola dans Mama Miti, la mère des arbres (Le Sorbier-Amnesty International).

Il est aussi vital de partager avec les plus jeunes la sensibilité que nous pouvons avoir pour la nature, et pas seulement les grands espaces exotiques. Yancuic le valeureux, du journaliste d'investigation Fabrice Nicolino (Sarbacane), raconte la relation entre un petit Indien d'Amazonie et son animal de compagnie. Il nous fait partager l'émerveillement de Yancuic devant une forêt pour nous inatteignable, mais le cœur de l'histoire, les mauvais traitements infligés à l'animal au grand regret de son propriétaire, parle aussi très concrètement au petit garçon ou à la petite fille qui côtoie des animaux domestiques.

Si l'on juge que les enfants n'ont droit qu'à une vision partielle et édulcorée de la réalité, au moins ne leur servons pas des explications simplistes, n'emportons pas leur adhésion à un conformisme qui dans dix ans nous fera sourire (jaune), mais mettons sur leur route les livres de tou-te-s ces artistes attentifs/ves aux choses de la nature et qui ont eu à cœur de les faire découvrir aux plus jeunes.

NB : Merci à Mara, Agathe et Gonzague du Bateau livre (Lille) pour leur sélection, et à Nathalie Ventax (Comptines, Bordeaux) pour sa chronique de Mama Miti.

mercredi, 2 mars, 2011

Chico Mendes : « Non à la déforestation »

Roman documentaire d'Isabelle Collombat, Actes Sud Junior, 2010

La forêt brésilienne suscite tous les appétits, en même temps qu'elle fait vivre nombre de petites gens. Populations autochtones et pauvres du Nordeste poussés vers l'Amazonie (la Nouvelle Frontière brésilienne) se confrontent ainsi aux intérêts de riches éleveurs de bovins, cultivateurs de soja et exploitants de bois tropicaux. Né dans une famille de seringueiros, qui arpentent la forêt pendant des heures chaque jour pour y cueillir la sève d'hévéa qu'ils transforment ensuite en caoutchouc, Chico Mendes est le protagoniste de ce roman de l'engagement. On le suit dès son enfance, tenant à s'éduquer pour assurer un sort meilleur à son entourage, découvrant le marxisme et devenant la figure qui rend sensible au monde entier le sort de la forêt amazonienne dans les années 1980.

Malgré son assassinat en 1988 par de riches propriétaires, la lutte contre la déforestation de l'Amazonie continue. Le Brésil n'a pas cessé de ronger sa forêt... à un rythme moindre depuis l'avènement du Parti des Travailleurs, dont Chico Mendes a été membre.

Isabelle Collombat fait une histoire sociale et politique de la lutte menée par les seringueiros contre la déforestation. Mais elle n'oublie pas les raisons écologiques qui en font un combat vital à l'échelle mondiale: «Au début, je pensais que je me battais pour sauver les hévéas, puis j'ai pensé que je me battais pour sauver la forêt amazonienne. Maintenant, je sais que je me bats pour l'humanité», dit Chico lors d'un discours à New York. L'ouvrage est complété par une recension de grands mouvements contre la déforestation ou pour la reforestation (les Chipko de l'Inde, le Green Belt Movement de Wangari Maathaï, et d'autres moins connus) et par un cahier de photographies dans lequel on reconnaît la véritable héritière de Chico Mendes, sénatrice et candidate verte en 2010… la fille de seringueiros Marina Silva. Une histoire sensible et qui reste accessible sans céder à la tentation de trop simplifier les enjeux sociaux et environnementaux des combats qu'elle retrace.

Peut-on tout dire aux enfants ?

A propos de deux livres jeunesse...

Tuvalu. Une île en tête, Barroux
Mango jeunesse, 2011, 12,50 euros, imprimé en France

Dans la forêt du paresseux, Anouck Boisrobert et Louis Rigaud
Hélium, 2011, 15,90 euros, imprimé en Chine avec encres végétales et papier certifié FSC

Peut-on tout dire aux enfants ? La question se pose au moment d’aborder certaines questions environnementales, au fort potentiel anxiogène. Une forêt qui disparaît sous les assauts des bulldozers, un archipel noyé par les marées et qui sera bientôt submergé par les eaux du Pacifique… Ce sont les sujets de deux très beaux ouvrages parus en ce début d’année.

Anouck Boisrobert et Louis Rigaud nous présentent sous forme de pop-up une forêt où « tout est vert, tout est vie », et où le vert et les épaisseurs d’arbres cèdent page après page la place au blanc, sous les coups d’engins toujours plus nombreux, et alors que les silhouettes humaines et animales s’enfuient en désordre. Seul le paresseux reste accroché à son arbre, le dernier à tenir bon, mais qui ne sera pas épargné pour autant. Sur une page blanche désolée vient un planteur d’arbres providentiel qui « travaille durement pour réparer le sol blessé ». Dès la page suivante, les jeunes pousses qui apparaissent par le miracle de la tirette accueillent de nouveau… le paresseux, revenu d’on ne sait où. Et la forêt a repoussé, plus haute que jamais, laissant rouiller dans ses fourrés une pelleteuse abandonnée. Vitalité quasi-magique de la forêt, qui laisse imaginer que les ravages que nous infligeons à la nature sont réparables avec un peu d’huile de coude. Comme s’il ne fallait que du temps, comme si une forêt primaire pouvait retrouver un jour sa biodiversité, floristique et faunistique. Mais d’où reviennent le paresseux, les tapirs et les perroquets qui s’égaient dans la (superbe) dernière double page ? D’un séjour en club offert le temps des travaux par l’entreprise de déforestation ?

Même angélisme dans l’album de Barroux, qui mêle un dessin simple et délicat à des touches de peinture, grands ciels bleus et doux nuages blancs. Le narrateur, un homme fait, inquiet de voir son île subir de trop fortes marées, scrute son environnement, imagine comment combattre l’inéluctable envahissement par les eaux. « Il faut évoluer ou disparaître », c’est le mot d’ordre qui est proposé aux habitant-e-s de Tuvalu, qui sont finalement invité-e-s par leurs voisin-e-s (montagnes hautes et herbe verte, moutons et femmes blondes ou rousses vêtues de tweed, on aura reconnu une Nouvelle Zélande de carte postale, sans les Maoris) à entamer une nouvelle vie ailleurs, loin des îles de leurs ancêtres. Tout est bien qui finit bien, ouf ! Sauf que… l’Australie n’accueillera pas les réfugié-e-s climatiques du Pacifique Sud, et la Nouvelle Zélande leur réserve des conditions à peine meilleures. Pour pouvoir dire « allez, hop ! » avec les personnages du livre, il faudra avoir entre 18 et 45 ans, parler correctement anglais, avoir une offre d’emploi sur le territoire néo-zélandais, être en bonne santé. Et faire partie des 75 heureux/ses élu-e-s annuel-le-s, alors que l’archipel compte plus de 11.000 habitant-e-s (pacte « Pacific Access Category »).

Alors quoi ? Faut-il partager avec les enfants nos angoisses devant le changement climatique, la déforestation, et l’ensemble du désastre écologique en cours ? Certainement pas. Mais les rassurer en leur servant les mêmes mensonges (ou peu s'en faut) qu'on sert aux adultes pour dire que tout va très bien, madame la marquise, que les accords internationaux, les innovations techniques, ou même le temps qui passe résoudront tout avec une stupéfiante facilité ? Certainement pas ! D'autres livres jeunesse existent, qui par exemple mettent en valeur des actions positives et volontaristes (celle de Chico Mendes, celle de Wangari Maathaï, etc.) et sont plus propres à former de nouvelles générations conscientes des dangers, mais qui à l’optimisme béat propagé par ces deux ouvrages-ci auront préféré « l’optimisme de la volonté ».

lundi, 4 janvier, 2010

Le Travail des enfants

Texte de Marc Hélary, illustré par Anne Cresci, Milan jeunesse, Toulouse, 2009, 60 p., 16 euros

S'attaquant à un sujet difficile, Marc Hélary nous livre un aperçu des conditions de la vie de nombreux enfants dans le monde, et cela sous la forme d'un ouvrage élégant, à l'iconographie et à la présentation soignées. Portraits et données chiffrées accompagnent un cheminement en trois parties : le travail des enfants, entre la loi et le fait ; la diversité des tâches dont ils peuvent être chargés ; les pistes politiques permettant d'éradiquer cette conséquence (et cause à son tour) du mal-développement et de la misère. Qu'il nous soit permis, une fois notée l'utilité d'un tel livre à l'attention des plus jeunes, de faire remarquer quelques-uns des défauts de cette initiative courageuse.

Touffu, l'ouvrage est aussi confus. Les portraits semblent fictionnés, mais il y a une ambiguïté à ce sujet : la 4e de couverture nous parle aussi de « témoignages » et les personnages dessinés cèdent parfois le pas à des portraits photographiques. Les données chiffrées sont très nombreuses (un enfant sur sept travaille, un agriculteur sur trois est un enfant), parfois trop, et elles finissent par devenir complexes à force de jongler avec des pourcentages et des fractions, des milliers et des unités. « 85 % des pays en développement ont une législation sur l'école obligatoire mais 25 en sont encore dépourvus » : on s'y reprendra à deux fois pour comprendre ce que cela signifie. Certains de ses chiffres sont réitérés, et on finit par trouver répétitifs ces nombreux portraits qui illustrent la variété du travail des enfants, entre aide familiale et exploitation marchande, agriculture et « services », pays pauvres et classes pauvres des pays riches, contrainte et choix. Cette dernière catégorie méritant plus qu'une illustration au fil du livre, mais une véritable réflexion sur la contrainte économique et la violence exercées sur les enfants, et les différents niveaux auxquels elles peuvent s'exprimer.

Dernière confusion, les enfants prostitués ou soldats semblent faire un « métier » parmi d'autres, juste après les enfants producteurs (ouvriers, disait-on jadis) et les enfants domestiques. Il n'est même pas sûr que l'auteur tranche un débat houleux et prenne ce parti à la mode de considérer la soumission au désir de l'autre comme un simple travail du sexe, confondant l'usage de son corps par le travailleur avec son abandon à un autre. D'autant que la spécificité du statut de soldat, sommé de tuer, torturer, violer, en un mot détruire au lieu de produire, n'est elle non plus pas interrogée. Si la qualité documentaire est au rendez-vous dans Le Travail des enfants, elle nous paraît hélas abandonnée par la qualité de la réflexion. C'est d'autant plus regrettable que la question est exigeante : pourquoi par exemple « le droit de l'enfant d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail susceptible de nuire à son développement moral ou social » ne s'appliquerait-il plus... passé 18 ans ?

dimanche, 30 août, 2009

Quand nous aurons mangé la planète

Album d'Alain Serres & Silvia Bonanni, Rue du Monde, 2009

Quand nous aurons mangé la planète est une variation sur l'adresse des Indiens Cree aux colons nord-américains: « Quand le dernier arbre aura été abattu et le dernier poisson pêché, alors vous vous rendrez compte que l'argent ne se mange pas ». Les richesses environnementales que nous sommes désormais en mesure de détruire sont illustrées une par une (banquise, forêts, animaux) dans la première partie de l'ouvrage. Viennent ensuite les conséquences de cet usage inconsidéré : les êtres humains sont devenus des Midas, incapables de manger l'argent et l'or qui sont tout ce qui leur reste. La situation – traitée graphiquement de manière moins catastrophiste que dans le texte – est dépassée par la présence possible d'un enfant « aux poches remplies de graines de vie ».

Silvia Bonanni tire parti de l'organisation thématique du propos pour construire des doubles pages dont chacune a sa couleur et son ambiance visuelle. Elle travaille avec le collage, qui lui permet de faire entrer dans l'album des objets bruts, éléments tantôt naturels, tantôt artificiels, sans logique apparente. Le feuillage d'un arbre peut être figuré avec un tissu ou la carte routière d'une campagne, tandis que les billes de bois sont faites de bois. Le résultat consiste en de grands tableaux sans relief et d'apparence naïve, qui donnent une impression d'étrangeté.
Le propos d'Alain Serres répond-il à l'ambition affichée en quatrième de couverture, à savoir écrire « une histoire qui donne envie aux enfants de faire tourner la planète un peu plus rond » ? On a du mal à comprendre comment cet objet très beau, bâti autour d'un paradoxe exprimé avec une grande force, peut être aussi œuvre didactique. Ou bien il faudra l'accompagner, pour expliquer aux plus petits comment l'être humain peut menacer d'engloutir les dernières glaces de cette banquise où il ne figure pas. Et qui est ce « nous » mystérieux et culpabilisant qui mange ainsi la planète…

Le Grand Livre pour sauver la planète

Documentaire de Brigitte Bègue et Anne-Marie Thomazeau, illustrations de Pef, direction éditoriale Alain Serres
Avec la participation de Yann Arthus-Bertrand, Allain Bougrain-Dubourg, Jean-Louis Étienne, Jean-Marie Pelt et Aminata Traoré
Rue du Monde, 2009

Tout savoir sur l'écologie, le retour du retour. Le Grand Livre pour sauver la planète n'est le premier ni de sa collection (chaque question de société a son Grand Livre chez Rue du Monde), ni du concept « bouquin encyclopédique et de sensibilisation des 8-13 ans aux questions d'écologie ». Le résultat est encore une fois impressionnant, riche non seulement en illustrations (les gags de Pef et des photos en noir et blanc dont on sent que certaines acceptent mal de quitter leurs couleurs originelles), mais aussi en informations, dans le texte principal et dans ses à-côté (les « bonnes nouvelles », « alertes », autres notes marginales et grands témoins dont l'entretien clôt chaque séquence de deux chapitres). Le livre, pour foisonnant qu'il soit, respire agréablement, sa langue et sa mise en page sont claires.

La progression est assez classique, qui met d'abord en avant de grands dossier environnementaux (eau, forêt, air et pollutions, climat, déchets). Chacun est abordé depuis son versant scientifique, avec force chiffres, avant de devenir un thème de société. Toujours la même hésitation au sujet de l'écologie, discipline scientifique devenue pensée politique. Une approche sociale (l'indispensable solidarité avec nos six milliards de colocataires de la planète Terre) vient compléter l'ouvrage, qui s'achève sur des réponses (les éco-gestes, l'engagement associatif) à la malheureuse question : « mais qu'est-ce qu'on peut faire ? ». Air connu donc, et ici Rue du Monde ne rompt pas avec les bonnes habitudes.

L'une d'elles consiste à dépolitiser les questions écologiques, pour permettre aux plus jeunes (dont le devoir sera de « faire passer le message » aux générations perdues, comme le souhaite Allain Bougrain-Dubourg) d'intégrer la vulgate écologique du moment. D'emblée l'écologie politique est désavouée, avec la mention de « slogans inscrits sur des tracts ou des banderoles, comme c'est le cas depuis plus de trente ans ». Les théoriciens de l'écologie, de Serge Moscovici à René Dumont, en passant par Jacques Ellul et André Gorz, apprécieraient de voir leur œuvre réduite à des « slogans ». Plus loin, crédit est fait aux associations et partis qui se sont emparés de la question écologique d'avoir sensibilisé les auteurs des politiques publiques en la matière. Ouf.

Mais cette incohérence n'est ni la première ni la dernière, et le livre fourmille de propos modalisés (« les consommateurs que nous sommes sont toujours un peu responsables »), de réserves (« la France se contente de conseiller aux agriculteurs et aux jardiniers d'être prudents en manipulant (les pesticides) ») immédiatement suivies de cris de victoires (« les coccinelles et les fleurs sauvages vont se réjouir ! ») ou surmontées par un optimisme de bon aloi (« c'est déjà ça ! » pour le Grenelle, « c'est mieux que rien » pour l'évaluation a minima des substances chimiques présentes sur les marchés européens – ou projet REACH). C'est le royaume des mais, néanmoins et malgré tout, avec une hésitation constante à propos de la tête sur laquelle faire porter le chapeau.

Manque de « discipline », de « responsabilité », « d'efforts » de la part des individu-e-s ? Ou emprise des entreprises sur la vie publique ? Si certaines responsabilités sont nommément citées (l'exploitant de forêts boréales et fabricant de Kleenex Kimberly-Clark), d'autres restent tues (ah ! ce drame de l'exploitation des bois tropicaux africains dont il serait indélicat d'accuser le papetier français Bolloré, patron de presse et ami du président de la République). Et toujours l'on tourne autour du pot : les hommes d'affaires, les industriels, l'organisation du commerce, les grands groupes… ne seraient-ils pas des substituts au gros mot capitalisme ? Aminata Traoré crache le morceau et avoue la faute au « système économique libéral ». Enfin ! On avait fini par imaginer que les problèmes de sous-alimentation au Sud n'étaient qu'un problème de production agricole… On apprécie quelques partis pas si facile à prendre, comme les arguments en faveur du nucléaire qui n'arrivent pas à balancer ceux qui s'y opposent, ou la relativisation de l'impact climatique de la Chine, quand un-e Chinois-e émet encore deux fois moins de gaz à effet de serre qu'un-e Français-e. Il aurait été plus facile de se contenter de la condamnation des 4x4, des OGM et de l'inaction de gouvernements abstraits.

Mais d'autres prises de position auront de quoi faire hurler les écolos: « la bio ne peut répondre aux besoins alimentaires de toute la planète », le TGV est plus écologique que le train, la décroissance est un mouvement réactionnaire qui ne propose que du moins. Car si ce Grand Livre semble dépolitisé, il est néanmoins porteur des valeurs productivistes qui irriguent toujours notre pensée. Progressiste: « depuis six millions d'années les hommes ne cessent ainsi d'améliorer les conditions de vie »… On demande à voir, entre détérioration de l'environnement et régression sociale, si le mouvement de l'Humanité a toujours été celui d'un progrès égal. Et si, fruit de ce progrès, le grille-pain est vraiment aussi indispensable à une vie confortable que le lave-linge! Techniciste : tour à tour le dessalement de l'eau de mer, les avions solaires et les vaccins pour neutraliser la flore intestinale des vaches et les empêcher d'émettre du méthane sont présentés comme des solutions qui permettront (dans un futur imprécis) de résoudre nos petits soucis écologiques tout en ne changeant rien (à notre sur-consommation de viande, par exemple). Pourtant l'aventure racontée ici du pot catalytique, dont les bienfaits se sont trouvés noyés dans l'usage accru de la bagnole, aurait pu aider à remettre en question le recours si pratique à la solution technique.

L'ouvrage ne se déprend pas non plus d'une confusion entre l'être humain et son milieu, dans une anthropomorphisation de la nature, qui dit merci à la dame (les rivières sont contentes, les coccinelles ravies) tandis que la planète qu'il s'agit de sauver signifie aussi bien, dans une métonymie qui commence à devenir fatigante, « milieu de vie de l'être humain », « conditions de la vie humaine dans ce milieu », parfois même « Humanité ». D'où le rappel de Jean-Louis Étienne: « c'est l'homme qu'il faut sauver, pas la planète ! ». Les auteures de Rue du Monde, sous la direction d'Alain Serres, ne sortent pas des sentiers battus de l'écologie à l'usage des jeunes générations et nous livrent un nouveau bouquin ambitieux, bien fichu et, malgré ses grandes qualités, limité. Leurs hésitations et leurs incohérences ne leur sont toutefois pas propres, et viennent plutôt d'une pensée qui domine toujours en matière d'écologie et qu'il faudra un jour cesser de transmettre aux plus jeunes…

lundi, 20 octobre, 2008

Yancuic le valeureux

Album de Fabrice Nicolino, illustré par Florent Silloray, Sarbacane, 2007

Fabrice Nicolino, dont on connaît les ouvrages les plus récents sur les pesticides ou les agro-carburants (1), investit le domaine de la fiction pour faire passer ses préoccupations écologistes. Son héros, Yancuic, est un jeune garçon qui vit dans la forêt amazonienne au moment où les premiers hommes blancs pénètrent le continent sud-américain. L’histoire ne se joue pas autour de cette rencontre, mais autour d’un défi, dont l’enjeu est Sarilou, un petit singe dont Yancuic a su gagner l’amitié. Le défi perdu, Sarilou devient la propriété d’un autre enfant, cruel et violent, qui le laisse mourir, jusqu’à ce que…

Le récit des malheurs du petit singe est touchant, et peut nous engager à nous demander si nous éprouvons de l’empathie pour l’animal, ou pour l’enfant qui l’aime ; quels devoirs nous avons envers les animaux. L’interrogation de notre rapport à la nature est subtile, étroitement mêlée à la fiction et jamais prise en charge explicitement par l’auteur. Plutôt qu’à un formatage des futurs éco-citoyens, ce genre d’ouvrage participe à la formation culturelle et sensible d’une génération ouverte sur les questions d’écologie.

(1) Pesticides : Révélations sur un scandale français, avec François Veillerette, éd. Fayard, 2007 ; La Faim, la bagnole, le blé et nous : une dénonciation des biocarburants, éd. Fayard, 2007.

Le Voyage d’Henry

Le Voyage d’Henry, D.B. JOHNSON, Casterman, coll. Récits d’aujourd’hui, 2001 et 2007, 13,95 euros
(Henry hikes to Fitchburg, 2000)
Lecture parue dans EcoRev'

Voici un album jeunesse passé inaperçu en France, malgré son accueil enthousiaste aux USA : meilleur album jeunesse de l’année d’après le New York Times, belles ventes et depuis l’ouvrage se voit consacrer une page sur Wikipedia. C’est Casterman qui a tenté l’aventure de proposer Le Voyage d’Henry au public francophone et ce, dans deux éditions successives. Et rien.

Pourtant, on est ici devant une curiosité. Car l’auteur a relevé la gageure d’expliquer en quelques pages à un public très jeune la notion de « vitesse généralisée » popularisée dans les années 1970 par Ivan Illich et Jean-Pierre Dupuy. Rien que ça. Rappelons, pour ceux et celles qui ont ignoré Énergie et équité (une série d’articles parus dans Le Monde en 1973, désormais disponible dans le premier tome des Œuvres complètes chez Fayard), ce qu’est la vitesse généralisée. La vitesse d’un véhicule se calcule selon la distance qu’il parcourt en un temps donné. Les embouteillages font déjà considérablement baisser cette vitesse. Mais Jean-Pierre Dupuy pousse le vice jusqu’à ajouter le temps passé à recueillir l’argent nécessaire à l’achat et à l’entretien de la voiture, le temps passé à l’amener au garage, à la laver, etc. Dans les années 1970 cette vitesse généralisée était de 7km/h, aujourd’hui elle est de 6km/h.

Soyons justes, le tour de force que constitue Le Voyage d’Henry tient surtout à l’intuition géniale qu’a eue de la contre-productivité de la technique Henry David Thoreau, auteur de Walden, texte autobiographique publié à Boston en 1854. Dans l’album qui nous intéresse, quand un ami lui propose à d’aller en train à Fitchburg, à 40km de là, Henry répond qu’il préfère faire la distance à pied, plutôt que se contraindre à réunir les 90 cents nécessaires au voyage. Car l’ami d’Henry ne mettra pas une heure à rejoindre Fitchburg dans un train bondé, mais toute la journée, qu’il consacrera à faire de menus travaux rémunérés chez ses voisins. D.B. Johnson propose en montage alterné les journées respectives de l’ami anonyme d’Henry et de ce dernier. Page de gauche, l’ami trime : repeindre une clôture, rentrer du bois... à droite de chaque double page, Henry jouit de la nature. C’est justement ce plaisir de marcher dans la nature, faire la sieste sous un arbre ou cueillir des mûres qui fait arriver Henry à Fitchburg quelques minutes après son ami !

Le Henry de D.B. Johnson est un personnage anthropomorphe vaguement canin, qui évolue dans un décor un peu cubiste et déstructuré aux couleurs profondes. Un style original, loin de l’illustration laborieuse, qui ajoute au plaisir de la lecture. Le Voyage d’Henry est le premier ouvrage que l’auteur a consacré au personnage de Thoreau, sa collection s’étant étoffée de Henry construit une cabane, Henry escalade une montagne et... Henry travaille. Casterman va-t-il publier ces titres ? Espérons qu’un autre éditeur francophone s’en chargera. Car même si cette maison propose sur son site un excellent dossier qui accompagne le livre, il est à remarquer que cette ode à la lenteur, au voyage de proximité, à l’attention portée à la nature sous nos pieds... a été imprimée à Singapour, en pur produit de cette mondialisation inhumaine qui contribue à détruire la planète.

Pour suivre le voyage d’Henry : le site web de l’auteur, sur lequel on peut lire le livre en ligne (en anglais)

D'autres chroniques de bouquins jeunesse sur des questions d'écologie sur le blog de Comptines.

mardi, 11 mars, 2008

Demain le monde

Documentaire de Philippe Godard, illustrations d'Elizabeth Ferté et Vincent Odin, La Martinière, 2007

Rappelez-vous, 2007, l’année où l’on découvre l’écologie : Nicolas Hulot ou Al Gore permettent au grand public de s’inquiéter enfin de l’effet de serre ou de la biodiversité. Côté édition jeunesse, on ne laisse pas passer l’occasion de ce surgissement médiatique, et les nouveautés du documentaire jeunesse ont souvent à voir avec le « développement durable ». Souvent orientés « les gestes pour sauver notre planète », ces bouquins mettent en scène l’éco-citoyenneté. Parfois de manière assez fine, quand une double page « au supermarché » voit commenté chaque point noir : surgelés, produits suremballés, surconsommation de viande, etc. Mais toujours de façon partielle, car l’éco-citoyenneté est justement un concept qui refuse une compréhension globale des problèmes écologiques. Mis de côté les enjeux de l’inégalité ou de l’organisation sociale, il ne reste plus qu’une unanimité de bon aloi. Aussi le simplisme relatif de ces titres n’est-il pas dû uniquement à la volonté de s’adresser à un public très jeune.

Philippe Godard propose des documentaires pour un lectorat plus âgé, pré-ado ou ado. Cela lui permet de présenter l’écologie comme une idéologie à part entière, dans son opposition à une autre idéologie, le productivisme. Son Dico de l’écologie (La Martinière, 2006) ne présente donc pas que des entrées sur des sujets techniques (énergie, déchets, climat, etc), mais aussi des figures de l’écologie, théoriciens ou acteurs politiques. Demain le monde, sans se réclamer de l’écologie, présente sous une forme quasi-encyclopédique les difficultés auxquelles seront confronté-e-s plus que jamais le monde et ses habitant-e-s. Problèmes environnementaux, mais aussi sociaux (démographie, inégalités, migrations, guerres, etc) ou géopolitiques. Ces trois parties, très équilibrées, de l’ouvrage, sont complétées par des questions de l’auteur sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Citons : « Demain, le travail sera-t-il encore nécessaire ? », qui aborde le choix entre fuite en avant de la production/consommation ou réduction du temps de travail. Ou encore « La vitesse nous fait-elle gagner du temps ? », question paradoxale que l’écologie a su poser au monde devant les exploits techniques de la vitesse et de la simultanéité.

Le livre est d’une lecture (mais on suggère plutôt la consultation régulière) très agréable. 200 pages maquettées de manière dynamique, avec des dessins pleins d’humour, où l’on rebondit sans cesse d’un encadré à un texte bien rythmé, en passant par quelques cartes, tableaux ou schémas. L’engagement et la précision du propos se rejoignent dans une volonté de faire savoir, de faire comprendre, quel que soit l’âge de la vie.